Les « Escritos » du p. Fiorito « distillent la miséricorde spirituelle », explique le pape François, « cette grande oeuvre de miséricorde spirituelle qui consiste à enseigner et à discerner »: « Le discernement nous guérit de l’aveuglement spirituel, une triste maladie qui nous empêche de reconnaître le temps de Dieu, le temps de sa visite. »
Le pape a rédigé la préface des 5 volumes – plus de 2000 pages – qui rassemblent les écrits du p. Miguel Ángel Fiorito (1916-2005), publiés par « La Civiltà Cattolica » et édités par l’un des neveux du pape, jésuite, le p. José Luis Narvaja: on y découvre un « maître de prière et de discernement ».
Le pape résume: « Il a été un homme de combat contre un seul ennemi : l’esprit mauvais, Satan, le démon, le tentateur, l’accusateur, l’ennemi de notre nature humaine ».
Plus encore le pape a lui-même présenté cette édition, ce vendredi 13 décembre 2019, à l’occasion de ses 50 ans de sacerdoce, au siège de la curie générale des jésuites, à deux pas du Vatican, à 18h30.
Le pape a été accueilli par le p. Arturo Sosa, père général, et par l’éditeur, le p. Antonio Spadaro, directeur de la revue des jésuites italiens la Civiltà Cattolica.
Celui-ci a notamment souligné que grâce à cette édition la « paternité spirituelle » du p. Fiorito « arrive aujourd’hui à l’Eglise universelle ». Il a cité la préface du pape: « Cela fera du bien à toute l’Eglise ». Il a annoncé que le commentaire du p. Fiorito sur les Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola serait publié l’an prochain par les éditions italiennes Ancora.
Le p. José Luis Narvaja qui a rassemblé les écrits du p. Fiorito, a ensuite témoigné du fruit de ce travail, au niveau personnel aussi. Il a témoigné également de son émotion, lorsque, enfant, il y a 50 ans, il a assisté à l’ordination sacerdotale de son oncle Bergoglio!
Pour sa part, le pape n’a pas lu tout son discours préparé (8 pages), mais il a insisté sur certaines qualités de son père spirituel dont il a même été le « supérieur » en tant que provincial de la province d’Argentine de la Compagnie de Jésus. Il a souligné en particulier qu’il parlait peu mais avait une « grande capacité d’écoute », capacité de « discernement », fondement du « dialogue »? Et dans ce dialogue il laissait l’autre complètement « libre ». Il a souligné sa « patience », et son absence de « jugement ».
Il a aussi souligné, à la fin de sa vie, son « don des larmes », un don de « consolation »: il ne parlait plus mais il pleurait, paisiblement. Le pape l’a vu pour la dernière fois le jour de sa mort, un dimanche, le 9 août 2005.
Dans « François le Réformateur » (éd. Emmanuel, 2017), Austen Ivereigh consacre différentes pages au p. Fiorito en qui il voit un « guide spirituel » de la province jésuite, un « grand pionnier du renouveau spirituel jésuite » en Argentine, qui mettait l’accent sur « un retour aux sources » ignatiennes, au « charisme primitif », avec un grand rayonnement notamment grâce au Boletin de Espiritualidad, que le pape a cité à plusieurs reprises.
Voici notre traduction (Hélène Ginabat) de la préface publiée en italien par L’Osservatore Romano des 9 et 10 décembre 2019.
AB
L’édition des « Escritos » du p. Miguel Ángel Fiorito, sj, est un motif de consolation pour nous qui, pendant de nombreuses années, nous sommes nourris de ses enseignements. Ces écrits feront beaucoup de bien à toute l’Église.
Le Maître Fiorito – c’est ainsi que nous l’appelions familièrement, nous les jésuites d’Argentine et d’Uruguay – avait l’habitude de rappeler souvent une considération spirituelle de san Pedro Fabro (saint Pierre Favre) sur l’importance de savoir communiquer les choses de Dieu – un don, un charisme, l’Évangile même – avec un esprit aussi bon que Celui avec lequel elles ont été reçues (cf. note 223 de J. H. Amadeo et M. Á. Fiorito au n. 52 de P. Fabro, Memorial, Bilbao 2014). Savoir recevoir et savoir communiquer sont deux choses différentes et chacune d’elles requiert une grâce. C’est pourquoi il faut demander expressément au Seigneur la seconde, celle de communiquer avec un esprit juste le bien reçu. Je pense que cette édition des « Escritos » du p. Fiorito, réalisée avec soin par le p. José Luis Narvaja, sj, assume pleinement cette tâche.
Il faut rappeler que l’édition a été dirigée par l’un de ses disciples. C’est un témoignage de la vitalité d’une pensée qui a su faire école. Une caractéristique de l’École est que la pensée est commune et que les disciples peuvent la développer en suivant l’esprit de leur maître – pas seulement la lettre – avec liberté et créativité. En outre, la publication du « corpus » principal des écrits de Fiorito, tissés chronologiquement, a une force particulière ; elle permet de recomposer l’ensemble d’une existence à la lumière de ce que Dieu a fait en elle (cf. Gaudete et exsultate, n. 171), découvrant la signification du temps dans chaque fragment.
Je crois aussi qu’il est juste qu’une pensée qui a su se diminuer elle-même et même se consumer en publiant, commentant avec des notes et en faisant « sentir et goûter » à d’autres, soit maintenant présentée dans sa cohérente simplicité et avec un nom propre. Non par vaine gloire, mais dans le sens évangélique avec lequel le Seigneur indique la publicité que nous devons faire aux bonnes oeuvres : « … » (Mt 5,16). Les « Escritos » de Fiorito distillent la miséricorde spirituelle – des enseignements pour ceux qui ne savent pas, de bons conseils pour ceux qui en ont besoin, une correction pour ceux qui se trompent, une consolation pour celui qui est triste et des aides pour avoir patience dans la désolation « sans changer ses résolutions », comme le dit saint Ignace – toutes ces grâces qui conforment et se synthétisent dans cette grande oeuvre de miséricorde spirituelle qui consiste à enseigner et à discerner. Le discernement nous guérit de l’aveuglement spirituel, une triste maladie qui nous empêche de reconnaître le temps de Dieu, le temps de sa visite.
Le p. Fiorito a publié une immense quantité d’articles, notes et commentaires, mais seulement deux livres. Pour le second, qu’il a intitulé « Discernimiento y lucha espiritual » (Discernement et combat spirituel), il m’a demandé d’écrire le prologue, plus ou moins en 1985. Je reprends une affirmation qu’il avait exprimée alors : « Le discernement spirituel, c’est avoir le courage de voir dans nos traces humaines les empreintes de Dieu ».
Fiorito a laissé une empreinte chez un grand nombre et espérait que ces « Escritos » pourraient l’aider à l’imprimer sur beaucoup d’autres. Il nous a laissé l’empreinte divine que le Seigneur Jésus a imprimée dans sa vie : celle de la passion pour les Exercices spirituels, qui sont un instrument pour savoir « sentir et goûter » l’empreinte du Seigneur dans notre âme et une aide pour l’émonder de toute ambiguïté, de sorte que nous puissions la suivre, surtout dans les situations où l’esprit mauvais en invente de toutes les couleurs pour nous embrouiller.
Fiorito avait un odorat particulier pour « flairer » l’esprit mauvais ; il savait distinguer son action, reconnaître ses tics, le démasquer pour ses mauvais fruits, pour l’arrière-goût désagréable et la traînée de désolation qu’il laissait sur son passage. Dans ce sens, on peut dire qu’il a été un homme de combat contre un seul ennemi : l’esprit mauvais, Satan, le démon, le tentateur, l’accusateur, l’ennemi de notre nature humaine. Entre l’étendard du Christ et celui de Satan, il a fait son choix personnel pour Notre Seigneur. Dans tout le reste, il a chercher à discerner « autant… que » et il a été avec chacun un père plein d’amour, un maître patient et un ferme adversaire – si nécessaire – mais toujours respectueux et loyal. Jamais un ennemi.
Son autre livre, qu’il a intitulé « Buscar y hallar la voluntad de Dios » (Chercher et trouver la volonté de Dieu), nous parle du voyage et de l’aventure de suivre Jésus-Christ notre Seigneur, en cherchant à faire ce qui lui plaît le plus : « sa très sainte volonté », comme le dit Ignace. Pour nous, qui l’avons connu dans son environnement de travail, ce livre a les dimensions de sa bibliothèque personnelle. La bibliothèque de Fiorito avait une particularité : outre la partie commune, avec les étagères et les livres, il y en avait une autre qui occupait tout un mur de six mètres sur quatre de hauteur, formée de petits tiroirs dans chacun desquels il déposait, classifiés, ses « feuillets », ses fiches d’étude, prière et action, chacune avec un unique thème des Exercices ou des Constitutions de la Compagnie, que lui-même allait chercher en se levant, montant parfois dangereusement sur une échelle, pour la remettre sans ajouter grand chose à l’élève, en réponse à quelque inquiétude que ce dernier lui avait confiée, ou dont lui-même avait eu l’intuition en l’écoutant parler de ses affaires.
Comme le dit Narvaja, Miguel Ángel Fiorito a été fondamentalement un homme de dialogue et d’écoute. Il a enseigner à beaucoup à prier – à dialoguer, en amitié avec Dieu – et à discerner « les signes des temps » – dialoguant avec les hommes et avec la réalité de toutes les cultures. Son école de spiritualité est une école de dialogue et d’écoute, ouverte à écouter et à dialoguer avec tous, « avec un bon esprit », éprouvant tout et ne retenant que ce qui est bon.
Fiorito raconte dans un de ses écrits que, dans la seconde moitié de sa vie, il a fait l’expérience avec une plus grande intensité de la force spirituelle des Exercices et qu’il s’y est consacré, les préférant à d’autres engagements Le Maître donnait et recommandait les Exercices sous toutes leurs formes : les Exercices d’un mois dans la solitude absolue, les Exercices dans la vie quotidienne, selon l’annotation 19, et ceux, plus « légers », lors de retraites de quelques jours et dans le cadre de missions ou de neuvaines populaires.
En tant que jésuite, l’image du Psaume 1, celle de l’arbre planté au bord d’un cours d’eau, qui porte du fruit, lui correspond. Comme cet arbre de l’Écriture, Fiorito a su se laisser contenir dans le plus petit espace de sa chambre du Colegio Máximo de San José, à San Miguel, en Argentine, et il y a planté ses racines et a porté du fruit et des fleurs – comme l’exprime bien son nom – dans notre coeur à nous, qui sommes des disciples de l’École des Exercices. J’espère que maintenant, grâce à cette belle édition de ses « Escritos », qui ont l’envergure d’un grand rêve, il plantera des racines, donnera des fleurs et des fruits dans la vie de nombreuses personnes qui se nourrissent de cette même grâce qu’il a reçue et qu’il a su communiquer avec discrétion, en donnant et en commentant les Exercices spirituels.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat