L’enquête diocésaine du procès en vue de la béatification et de la canonisation de la Servante de Dieu, Léonie Martin, Sœur Françoise-Thérèse, sera clôturée le samedi 22 février 2020 à 16h00, en la chapelle du monastère de la Visitation de Caen, par Mgr Jean-Claude Boulanger, évêque du diocèse de Bayeux et Lisieux, indique un communiqué du diocèse.
Les travaux de la commission historique seront officiellement transférés sous scellés de cire rouge à Rome à la Congrégation pour les causes des saints.
« L’enquête romaine va consister à vérifier les documents transmis par la commission historique pour ensuite étudier les vertus de la Servante de Dieu en vue de la déclarer Vénérable, nouvelle étape sur le chemin du procès en vue de la Béatification et de la Canonisation », explique la même source.
On se souvient que Léonie est la fille des saints époux Martin, et soeur de sainte Thérèse de Lisieux dont elle choisira la « petite voie d’enfance » et d’offrande à l’Amour miséricordieux.
Nous vous proposons de relire cet entretien avec Dominique Menvielle, membre de l’Institut Notre-Dame de Vie. Elle s’est penchée sur les archives de la Visitation de Caen pour répondre à la demande des Sœurs d’écrire un livre sur Léonie Martin, Sr Françoise-Thérèse.
Le livre est publié par les éditions de l’Emmanuel sous le titre : « Sacrée Léonie, cancre sur le banc des saints », avec une préface de Mgr Jean-Claude Boulanger, évêque de Bayeux-Lisieux. On peut feuilleter le livre en ligne.
Dominique Menvielle – La « pauvre Léonie » ! En effet, cette interjection revient souvent dans la correspondance familiale des Martin, pour désigner la troisième fille de la maisonnée. Il est vrai, qu’à la considérer parmi ses quatre sœurs, elle n’a ni leur constitution physique ni leur vivacité d’esprit. Ses premières années ont été une lutte entre la vie et la mort : se développant très lentement en taille et en poids, en moins de deux ans, elle a déjà subi une sorte de coqueluche chronique, une rougeole avec des convulsions, une tachycardie et une inflammation d’intestins, le tout couronné d’un eczéma purulent étendu à tout le corps et qui s’annonce inguérissable. Très vite, sa mère s’aperçoit qu’elle est lente à comprendre les choses, mais elle met cela sur le compte de ses ennuis de santé qui, bientôt espère-t-elle, se résorberont. Mais Léonie grandit et se montre insupportable, colérique, désobéissante. Certes, elle fait tache au milieu de ses sœurs : les deux aînées, Marie et Pauline, très proches l’une de l’autre puisqu’elles n’ont qu’un an ½ de différence, sont dociles, excellentes élèves, et spirituelles. La jeune Hélène qui la suit de près et mourra à l’âge de cinq ans, est « belle comme un ange » et très intelligente, puis viennent les deux dernières inséparables, Céline et Thérèse, l’artiste et la future sainte et docteur de l’Eglise. Léonie, elle, n’arrive pas à apprendre ses leçons ni à faire la moindre opération de calcul… Les essais scolaires en différentes écoles ne sont qu’échec, même au pensionnat de la sainte Tante Visitandine, Sr Marie-Dosithée : seule avec sa tante, tout se passait très bien, il. suffisait qu’elle rentre dans une classe d’élèves pour provoquer le désordre. Pourtant, lorsqu’il s’agira de se préparer à sa première communion, Léonie saura par cœur – non pas les prières toute faites qui l’assomment !- mais les réponses du catéchisme. Que faire pour ce petit cheval échappé ? Ses parents ont épuisé toutes les ressources de leurs cœurs et les intercessions célestes. Zélie Martin surtout est désolée de constater qu’elle a une fille qui ne l’aime pas ! Elle ne sait plus comment la prendre : « c’est à en perdre son latin », écrit-elle. Lui propose-t-elle de sortir avec elle ? Léonie refuse. Lui enjoint-elle d’aller jouer avec ses sœurs ? Léonie refuse. Et cela dure 9 ans ! jusqu’à cette année 1877, où Zélie lutte contre un cancer au sein car elle veut vivre pour sa famille, non pas tant pour les deux petites qui sauront se tirer d’affaires mais surtout pour Léonie, si instable avec ses colères, qui s’isole des siens, et qui se montre incapable de prendre une responsabilité.
On a beaucoup parlé aussi de ses échecs dans la vie religieuse, mais qui dans les conditions de l’époque n’aurait pas rebroussé chemin ?
Effectivement, Léonie s’y est reprise à quatre fois pour entrer au couvent. Non pas pour y trouver refuge mais pour répondre, sans aucun doute à un véritable appel de Dieu. Elle a 14 ans, en 1877, lorsqu’elle apprend que sa tante religieuse est en train de mourir. Elle s’empresse de lui écrire une lettre pour lui confier une grand intention : elle veut être religieuse, plus que cela, elle veut être une « vraie religieuse » ! Evidemment, vu son comportement, cela fait rire à la maison : imaginer Léonie encapuchonnée, mains jointes et arpentant sereinement les cloîtres d’un monastère !
Mais pour elle, il s’agit d’un don plénier qui aspire à la sainteté. Ce n’est pas un rêve, la réalité elle l’a eue sous les yeux durant son enfance, sous les traits de sa tante et de ses saints parents, et même de sa benjamine Thérèse dont elle a remarqué le comportement. Il suffit de lire la correspondance de Louis et Zélie pour voir les fondements de leur vie de famille qui l’a forgée : la vie sur terre n’a pour but que d’aller au Ciel, et tout invite à y contribuer. Il suffit de vivre l’Evangile.
Oui mais, quand les grands désirs rencontrent une faible volonté, que faire ? A notre époque, un suivi psychologique l’aurait sans doute remise sur pieds, mais de son temps, il n’en était guère question. Et la pauvre Léonie a porté longtemps le poids de son enfance abondamment pourvue en séparations, celles des nombreux deuils (en quatre ans : ses deux grands-pères qui vivaient sous le toit familial et quatre petits frères et sœurs morts en bas-âge), les mises en nourrice des plus jeunes, et les départs au pensionnat des aînées. Quel climat d’insécurité pour cette enfant fragile.
Sa mère Zélie, dans son impuissance à la comprendre, l’emmenait parfois avec elle au couvent des Clarisses d’Alençon. Elle était tertiaire franciscaine et s’y entretenait avec confiance de ses soucis familiaux. « Parmi elles se cachent de grandes saintes », aimait elle répéter. Léonie étant connue des sœurs, il était normal qu’elle frappe à cette porte de couvent. La transition entre le cocon familial et la sévérité de la vie monastique de l’époque furent-elles un choc trop difficile à supporter ? L’eczéma prit le dessus et motiva sa sortie deux mois plus tard (1er décembre 1886).
De Lisieux, elle se tourne alors vers la Visitation de Caen où elle est admise le 16 juillet 1887 et en ressort le 6 janvier 1888. Décidément, les supérieures sont trop sévères avec elle, incompréhensives. Il faut noter cependant que plusieurs autres postulantes ont dû renoncer à cette vie trop éprouvante physiquement, dans le froid et l’humidité. En 1893 – elle a 30 ans -, un deuxième essai est tenté : il durera deux ans, et encore est-elle allée au-delà de ses forces physiques et psychiques. Enfin, le troisième essai sera le bon : elle entre à nouveau à la Visitation en 1899 et y mourra en 1941.
« Vous verrez, après ma mort, Léonie entrera à la Visitation et elle y persévèrera » avait prédit Thérèse à sa sœur aînée Marie.
Ce furent des années de lutte incessante contre ses scrupules, son manque de volonté, ses maux divers, mais elle se montrera toujours heureuse dans sa vocation propre.
Au lieu de la « pauvre Léonie » ne peut-on pas dire en vérité la « bonne Léonie »?
La « pauvre Léonie », nous l’avons vue, est celle qui souffre de n’être bonne à rien, de provoquer du désagrément à son entourage, de n’aspirer qu’à mourir pour en finir avec les difficultés et ne pas s’imposer aux autres. La pauvre Léonie ne voit pas la part de lumière qui l’habite. Lorsqu’en famille, les unes et les autres sont appelées de façon valorisante : « mon diamant », « ma perle précieuse », « mon intrépide » « ma petite reine », d’être appelée tout simplement « ma bonne Léonie », n’est-ce pas le plus beau qualificatif ?
Car bonne, elle l’est de fond, et l’a toujours été… à sa façon. Témoin cette anecdote : durant les vacances, les filles Martin sont invitées à tour de rôle à la mer ou à la campagne chez leurs cousines Guérin. Le tour de Léonie arrive, l’invitation la met en colère : « Non, elle n’ira pas ! ». Caprice ? N’aime-t-elle pas sa tante et son oncle ? On découvrira plus tard, qu’elle voulait laisser son tour à sa sœur Céline qui en avait très envie. Ou encore, la voilà qui rapporte un oreiller plein de vermine à la maison des Buissonnets. Céline, maîtresse de maison, la rabroue fermement. Léonie a simplement aidé à mourir une pauvre vieille femme délaissée assumant aussi naturellement toutes les tâches ménagères.
L’élan généreux qui l’habite la suit au couvent. Malgré – ou en raison – de ses propres difficultés, elle se montre apte à soutenir les jeunes sœurs en difficulté, jusqu’en récréation où elle sait les amuser, chanter, conter, au point que son absence, lorsqu’elle est malade, est toujours fortement regrettée.
De son attention à rendre le moindre service à ses sœurs, ou d’effectuer parfaitement son travail, il faut parfois se préserver : le livre que vous avez déposé une minute le temps de vous laver les mains risque de disparaître, par souci de rangement ! Pour lui faire plaisir, il suffisait d’accéder à sa demande : « je suis prête à vous venir en aide ! » assurait-elle.
A Thérèse, elle avait adressé cette prière au sortir d’une retraite : « Je veux à tout prix me montrer avec mes sœurs douce, humble, affable, comme toi, ma sainte chérie, … tu étais pour elles le rayon de soleil qui dilatait tous les cœurs. Je compte tout à fait sur toi, pour m’aider à être bonne, aimable, condescendante envers toutes, qu’elles me soient sympathiques ou non, c’est tout un, puisque je ne veux voir en elles que Jésus auquel je désire plaire uniquement. » Comme en réponse, le meilleur encouragement lui arrive sous la plume de ses sœurs : « Oh ! comme tu suis bien la voie de notre petite sainte ! Quelles grâces elle t’accorde dans le secret, sans que tu t’en doutes. »
Le cœur de Léonie était large : ses sœurs carmélites et visitandines en ont fait l’expérience. Elle avait aussi souci des autres, dans les détresses dont elle entendait parler. Sa prière se faisait particulièrement fervente pour « ses » papes (elle en a connu cinq) et les évêques. Un prêtre normand écrivit à sa mort : « Je vois encore sa bonne figure ouverte et reflétant la droiture autant que la bonté et la simplicité. … Qui donc avait dit qu’elle était inférieure à ses sœurs ? Car elle m’apparaissait femme de grand bon sens et de haute humilité. Elle était elle aussi de la grande aristocratie spirituelle. »
Thérèse disait qu’elle allait persévérer à la Visitation : est-ce que la « petite voie » de sa petite sœur et l’Acte d’offrande à l’Amour miséricordieux ne vont pas être décisifs pour Léonie aussi ?
En fait, malgré leurs différences, Thérèse et Léonie avaient une secrète affinité de grâce. Toutes deux, à titres divers avaient fait l’expérience de l’Amour infini de Dieu qui cherche un cœur vide pour se donner plus complètement. C’est sans doute ce fil rouge, marqué particulièrement par la confirmation de Thérèse dont Léonie fut la marraine, qui relie les deux sœurs dans une même grâce. « Qu’il fait bon s’abandonner à Lui – l’Esprit Saint – sans réserve, être sans cesse aux écoutes de son souffle divin », écrivait Léonie à ses sœurs carmélites.
Thérèse avait-elle Léonie en tête lorsqu’elle suppliait Jésus d’abaisser son regard vers l’âme qu’il trouverait plus pauvre encore que la sienne, pour la combler ». (cf. Ms B, 5v°)
Thérèse, par sa petite voie de confiance et d’amour, offrait à Léonie la manière d’accepter cet amour divin et d’y répondre. Il n’y a pas de doute que Léonie s’est appliquée concrètement à elle-même toute la « petite doctrine » de Thérèse qui lui a permis de sortir d’elle-même, de ses déficiences, pour ne considérer que le désir de Dieu de se donner.
Au sortir d’une de ses retraites annuelles de dix jours, elle exposait ainsi ses résolutions : imiter Jésus-enfant, se modeler sur lui, le regarder sans cesse et donner à toutes ses actions le double cachet de l’amour et de l’humilité. « Me voilà donc en plein dans ma petite voie » constatait-t-elle, et toujours avec les mots de Thérèse, elle ajoutait : « Le petit ne cessera pas de « lever son petit pied ». Dans une lettre à sa sœur Pauline, Mère Agnès, elle expliquait :
« Ma spiritualité se simplifie toujours plus. Je veux faire plaisir au bon Dieu, c’est là mon unique désir. Dis-moi si je ne suis pas bien entrée dans l’état d’enfance spirituelle ? […] – oh ! oui! je suis bien, bien livrée, mais néanmoins je ne me dissimule pas les difficultés, sachant par expérience à quel point je suis faible et inconstante. Aussi vois-tu, je veux être, je suis si petite, si petite ! que Jésus est forcé de me garder dans ses bras et ce qui fait toute ma confiance, c’est que je sais bien, qu’il ne me laissera pas tomber. »
Audace et faiblesse vont de pair : ce sont les antinomies bien caractéristiques de la vie spirituelle si bien décrites par les grands maîtres du Carmel, Jean de la Croix et le bienheureux Père Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus[1].
Léonie avait découvert cela en lisant Histoire d’une âme après la mort de Thérèse. Alors, sans crainte, elle avoue : « Jésus sait bien que je vivrais mille ans, je serais tout aussi pauvre. Je m’abandonne à sa miséricorde puisque je suis la petite victime de son amour miséricordieux »[i]. Elle récitera alors chaque jour l’acte d’offrande à l’amour miséricordieux.
L’humilité lui est devenu le pain savoureux qui la fortifie dans les occasions fréquentes où elle se voit propre à rien. Elle livre cette confidence : « J’ai beaucoup souffert de mon infériorités j’ai senti très vivement l’isolement du cœur, de tout… à présent, c’est à peine si tout ce fatras vient effleurer, mon âme ! Dites un peu, si vous ne reconnaissez pas là l’ouvrage de notre Sainte chérie ».
L’année même de la canonisation de Thérèse, en 1925, Mère Agnès (Pauline) écrivait à sa sœur Léonie : « Je te l’assure, c’est un beau petit livre que celui de ta modeste vie », et elle affirmait : « tu es une montagne de miséricorde ».
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* Le tombeau de Sr Françoise-Thérèse se trouve dans la chapelle du monastère Sainte-Marie de la Visitation, au 3 rue de l’Abbatiale, à Caen.
Pour aller plus loin :
Prier 15 jours avec Léonie Martin, Nouvelle Cité.
Correspondance familiale – Louis et Zélie Martin (1863-1885), Cerf.
[1] Cf. Je veux voir Dieu, éditions du Carmel/Le Cerf.
[i] 24/02/1927