Si « la communauté internationale s’est effectivement mobilisée » contre la traite des êtres humains, fait observer le cardinal Parolin, « nos efforts ont été jusqu’ici loin d’être aussi efficaces qu’ils le devraient. Pour le bien de ceux qui sont actuellement asservis, la communauté internationale – ainsi que les individus et les gouvernements individuels et régionaux à tous les niveaux, les organisations non gouvernementales et les particuliers – doivent faire beaucoup mieux ».
Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Saint-Siège, chef de la délégation du Saint-Siège à la soixante-quatorzième session de l’Assemblée générale des Nations Unies, est intervenu lors du cinquième petit déjeuner ministériel du Groupe des amis unis contre la traite des personnes, à New York, le 26 septembre 2019.
« Faire beaucoup mieux », c’est notamment s’attaquer davantage aux causes du phénomène, a fait valoir le secrétaire d’État, en particulier « examiner honnêtement et courageusement les facteurs culturels et éthiques qui augmentent la demande du marché ». C’est aider et protéger les victimes, ce qui « exige un investissement à long terme » ; et aussi poursuivre les criminels : « comme nous le savons tous, a souligné le cardinal, il y a encore très peu de condamnations ».
Voici notre traduction du discours du cardinal Parolin.
HG
Discours du cardinal Pietro Parolin
Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres et membres du Panel, Mesdames et Messieurs,
Je voudrais exprimer les salutations sincères du pape François aux États membres du Groupe des amis unis contre la traite des êtres humains, ainsi que sa gratitude pour cette réunion ministérielle, alors que nous nous concentrons ensemble sur l’une des réalités les plus sombres et les plus révoltantes du monde actuel, qui touche 41 millions de femmes et d’hommes, de garçons et de filles.
La traite des êtres humains est, comme l’a souligné le pape François à maintes reprises, « une plaie ouverte sur le corps de la société contemporaine », un « crime contre l’humanité » et un « fléau atroce qui est présent dans le monde entier sur une grande échelle ». C’est un phénomène mondial, a-t-il ajouté, qui « dépasse les compétences d’une communauté ou d’un pays. Pour l’éliminer, nous avons besoin d’une mobilisation comparable à celle du phénomène lui-même ».
La communauté internationale s’est effectivement mobilisée. Il y a le Protocole visant à prévenir, supprimer et punir la traite des personnes, qui est entré en vigueur en 2003, le Plan d’action mondial contre la traite des personnes, les cibles 5.2, 8.7 et 16.2 de l’Agenda pour le développement durable 2030 qui nous engagent à éliminer le travail forcé, à mettre fin à l’esclavage moderne et à la traite des personnes, ainsi que la résolution 2331 du Conseil de sécurité. Diverses entités des Nations Unies ont également apporté leur infrastructure, leur leadership et leur expertise à la lutte, comme l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, l’Organisation internationale du Travail, les vingt autres agences du Groupe inter-agences de coordination contre le trafic des personnes et l’Université des Nations unies. En outre, plusieurs États membres ont formé des coalitions, comme les 20 pays qui composent le Groupe des amis unis contre la traite des êtres humains, ou les 22 pays et 217 partenaires organisationnels participant à l’Alliance 8.7. Ce sont tous des signes importants de progrès dont nous devons être reconnaissants.
En même temps, nous devons affirmer avec franchise, componction et conviction que cette mobilisation n’a pas été comparable en taille à celle du cancer métastasant de la traite des êtres humains. Bien que l’on reconnaisse plus clairement les dimensions du problème, les ressources nécessaires pour y faire face et l’engagement des gouvernements, des institutions et des individus à le combattre, le nombre de personnes réduites en esclavage ne cesse de croître. Comme l’a dit le Pape François lors de son discours à l’Assemblée générale il y a quatre ans, « les engagements solennels », bien que nécessaires, « ne suffisent pas ». Nous devons veiller, a-t-il souligné, à ce que nos efforts soient « vraiment efficaces dans la lutte contre » « la traite des êtres humains, la commercialisation des organes et tissus humains, l’exploitation sexuelle des garçons et des filles, le travail forcé, y compris la prostitution » et d’autres maux. (1) Nos efforts ont été jusqu’ici loin d’être aussi efficaces qu’ils devraient l’être. Pour le bien de ceux qui sont actuellement asservis, la communauté internationale – ainsi que les individus et les gouvernements individuels et régionaux à tous les niveaux, les organisations non gouvernementales et les particuliers – doivent faire beaucoup mieux.
Nous devons faire mieux pour prévenir la traite des personnes en nous attaquant à ses causes. D’importants progrès ont été accomplis dans l’identification et le traitement de nombreux facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui rendent les personnes vulnérables à la traite des êtres humains, dans la formulation de politiques et de programmes complets et dans l’élaboration de campagnes d’éducation et de sensibilisation. Dans le même temps, cependant, plusieurs facteurs de vulnérabilité se sont aggravés, comme les conflits armés et les migrations forcées. Il est également nécessaire d’examiner honnêtement et courageusement les facteurs culturels et éthiques qui augmentent la demande du marché d’exploiter d’autres êtres humains, comme l’avarice qui dirige le travail forcé et les pratiques comme la pornographie et la prostitution qui favorisent les comportements de dépendance sexuelle et la marchandisation d’autres personnes comme objets de satisfaction.
Nous devons faire mieux pour protéger et aider les victimes. Heureusement, il y a aujourd’hui une prise de conscience et une reconnaissance juridique accrues du fait que ceux qui sont piégés dans l’esclavage moderne sont effectivement des victimes plutôt que des « partenaires silencieux » ou, pire encore, des criminels. Davantage de services sont en place pour identifier et libérer les victimes, régulariser leur situation et les mettre sur la voie du rétablissement. Toutefois, en raison des traumatismes profonds subis, il est nécessaire de reconnaître davantage que le travail de réadaptation ne peut être un programme de courte durée, mais exige un investissement à long terme pour fournir la guérison et la formation nécessaires pour que les victimes commencent une vie normale, productive et autonome. Cet investissement doit comprendre une expansion considérable du nombre d’installations de traitement résidentiel.
Nous devons faire mieux pour poursuivre les personnes impliquées dans le crime de traite. Bien qu’il y ait eu divers progrès dans la formulation d’instruments juridiques adéquats pour enquêter sur les trafiquants, les poursuivre et les punir, débloquer les chaînes financières, comprendre les liens avec d’autres formes de criminalité organisée et de corruption et encourager la coopération aux frontières et au-delà, comme nous le savons tous, il y a encore très peu de condamnations, comme le Rapport mondial sur la traite des personnes 2018 l’indique clairement (2). Il faut beaucoup plus de sophistication et de ressources.
Enfin, nous devons aussi faire mieux pour promouvoir les partenariats entre les institutions gouvernementales, le secteur privé, les établissements universitaires, les médias, la société civile et les organisations confessionnelles afin d’éradiquer la traite et de réhabiliter les survivants. (3) Je voudrais mentionner ici deux partenariats mondiaux de ce type qui ont vu le jour dans l’Église catholique. Le premier est le Groupe Santa Marta, une alliance internationale de chefs de police et d’évêques travaillant ensemble, à tous les niveaux, pour promouvoir la coordination entre les forces de l’ordre et les organisations confessionnelles dans la lutte contre la traite des personnes selon les compétences spécifiques de chacun. Le deuxième est Talitha Kum, un réseau de religieuses catholiques fondé il y a dix ans, qui coordonne 22 associations régionales de sœurs dans 77 pays sur les cinq continents. Les sœurs de Talitha Kum coordonnent avec de nombreuses autres parties prenantes là où elles sont pour aider les victimes de la traite à s’émanciper, se réhabiliter et se réinsérer.
Plus tôt cette année, la Section des migrants et des réfugiés du Dicastère du Vatican pour la promotion du développement humain intégral a publié quelques « Orientations pastorales sur la traite des êtres humains » pour guider et renforcer le travail de l’Église catholique à travers le monde dans la lutte contre ce fléau. (4) Cela illustre divers aspects de l’approche que l’Église catholique tente de privilégier au niveau mondial à partir du citoyen de base. Je vous le recommande humblement comme ressource en vue de renforcer les partenariats avec les institutions ecclésiales dans cette lutte mondiale.
Excellences, Mesdames et Messieurs,
La seule réponse adéquate au phénomène mondial de la traite des êtres humains est une mobilisation mondiale de fraternité, de solidarité et d’engagement capable de remédier à la mondialisation de l’indifférence dans laquelle la traite des êtres humains se développe. Ceux qui sont réduits en esclavage attendent désespérément que nos efforts soient à la hauteur du défi. Ne les laissons pas tomber, en nous appuyant sur les progrès que nous avons accomplis et en traduisant d’urgence nos paroles en actes.
Je vous remercie beaucoup.
- Réunion avec les membres de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, 25 septembre 2015.
- Rapport mondial sur la traite des personnes 2018, Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, p. 23.
- Déclaration politique sur la mise en œuvre du Plan d’action mondial contre la traite des personnes, paragraphe 24.
- Orientations pastorales sur la traite des êtres humains, Section des migrants et des réfugiés du Dicastère pour la Promotion du Développement humain intégral, 2019.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat