Si « les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement font de plus en plus partie des causes de déplacements forcés », le nombre de personnes déplacées en raison des conflits est, lui aussi, « de plus en plus élevé », observe Mgr Jurkovič. Il s’interroge sur « la pertinence de nos instruments juridiques pour assurer la protection de toutes les personnes qui cherchent la sécurité dans leur propre pays ».
Mgr Ivan Jurkovič, observateur permanent du Saint-Siège aux Nations Unies à Genève, est intervenu à la 41ème Session du Conseil des droits de l’homme, sur le Point 3 : Dialogue interactif avec le Rapporteur spécial sur les droits des personnes déplacées, à Genève, le 28 juin 2019.
Le représentant du Saint-Siège souligne l’importance « d’instaurer une culture de la prévention et de fortifier les systèmes de préparation et d’alerte rapide ». Il invite aussi à « encourager les médias à ne pas ignorer les situations tragiques dans lesquelles se trouvent les personnes déplacées ». Ceci contribuerait, précise-t-il, à « promouvoir une réponse plus efficace de la part de la communauté internationale et l’allocation d’aides humanitaires ».
Voici notre traduction de l’intervention de Mgr Ivan Jurkovič.
HG
Intervention de Mgr Ivan Jurkovič
Monsieur le Président,
Si les causes profondes des déplacements forcés sont multiples, il y a toujours un dénominateur commun tragique, à savoir que des millions de personnes fuient leur foyer, leurs moyens de subsistance et, dans de nombreux cas, leur famille, en quête de sécurité, de paix et d’une vie digne. Comme indiqué dans le rapport du Rapporteur spécial, 41,4 millions de personnes sont restées déracinées dans leur propre pays en raison de conflits et 28 millions de nouveaux déplacements internes ont été enregistrés rien qu’en 2018, dont 17,2 dus à des catastrophes naturelles (1).
Les déplacements forcés ne sont pas seulement une question de « malchance » ou de vouloir plus ou mieux dans la vie. Le plus souvent, ce phénomène est alimenté par des politiques ou des idéologies injustes et indifférentes, par le racisme et d’autres formes de préjugés et de discrimination, par la violence systématique ou l’absence d’État de droit. Toute personne a le droit de rester dans son pays et d’éviter d’être déplacée. Tout comme dans le cas des réfugiés et des migrants, le nombre même des personnes déplacées peut facilement être ignoré. Pourtant, il est beaucoup plus difficile d’échapper aux tragédies humaines et aux histoires personnelles qui les accompagnent ainsi qu’aux graves conséquences humanitaires et socio-économiques pour de nombreuses communautés.
Monsieur le Président,
Ma délégation observe avec préoccupation que, dans le monde d’aujourd’hui, le nombre de personnes déplacées en raison des conflits est de plus en plus élevé. Cela soulève une question sérieuse quant à la pertinence de nos instruments juridiques pour assurer la protection de toutes les personnes qui cherchent la sécurité dans leur propre pays et quant aux moyens de mettre en oeuvre les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays ainsi que le Plan d’Action du GP20. Ce faisant, il est d’une importance capitale d’être guidé par la centralité de la personne humaine : les personnes déplacées sont avant tout des êtres humains dotés d’une dignité inhérente et de droits inaliénables.
Si la responsabilité première de protéger et d’assister des personnes déplacées relevant de leur juridiction incombe aux autorités de l’État, le Saint-Siège a souvent insisté sur la responsabilité partagée pour s’attaquer aux causes profondes des déplacements forcés. Cela requiert courage et volonté politique, de mettre fin aux conflits qui alimentent la haine, la violence et la vengeance, de lutter pour la paix et la réconciliation, y compris le dialogue interreligieux, et le respect des droits de l’homme et les libertés fondamentales. À cet égard, cette délégation souhaite rappeler le rôle des organisations confessionnelles qui sont souvent les premiers fournisseurs d’assistance aux personnes déplacées, notamment le soutien psychologique pour surmonter le lourd tribut des déplacements et pour répondre à leurs besoins spirituels.
Monsieur le Président,
La situation des personnes déplacées constitue souvent un phénomène « invisible » et caché. Il est regrettable que, dans de trop nombreux cas, la perte de leurs biens, ainsi que de leurs documents personnels, ne leur laisse pas d’autre choix que de recourir à des mesures désespérées, devenant souvent victimes de la traite, de la contrebande, de l’exploitation sexuelle et d’autres formes d’abus.
À cet égard, afin de brosser un tableau plus complet de la gravité des déplacements forcés, il importe d’encourager les médias à ne pas ignorer les situations tragiques dans lesquelles se trouvent les personnes déplacées. Ceci contribuerait également à promouvoir une réponse plus efficace de la part de la communauté internationale et l’allocation d’aides humanitaires.
Dans le même temps, nous devons attirer l’attention sur le fait que les catastrophes naturelles et la dégradation de l’environnement font de plus en plus partie des causes de déplacements forcés. Les effets néfastes du changement climatique et la fréquence accrue des catastrophes naturelles entravent de plus en plus l’exercice des droits humains, en particulier dans les sociétés rurales.
Le pape François a souvent condamné la « globalisation de l’indifférence », qui concerne également la dégradation de l’environnement, l’épuisement des ressources naturelles, les conflits fonciers et le mépris total vis-à-vis de notre maison commune, affectant principalement les plus pauvres et les plus vulnérables (2).
Monsieur le Président,
Nous ne pouvons pas laisser les tragédies humaines dicter le rythme de notre réponse aux déplacements forcés. Il importe d’instaurer une culture de la prévention et de fortifier les systèmes de préparation et d’alerte rapide. À cet égard, ma délégation aimerait demander à la Rapporteuse spéciale si elle pouvait partager les meilleures pratiques en expliquant comment les technologies novatrices et les médias sociaux ont contribué à prévenir et à atténuer les déplacements internes, ainsi qu’à sensibiliser davantage les communautés à risque.
Je vous remercie.
- Cf. document A/HRC/41/40, Rapport du Rapporteur spécial sur les droits des personnes déplacées dans leur propre pays.
- Cf. Pape François, Laudato Si’.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat