Card. Parolin, Moscou (Russie) 21/08/2017 © facebook.com/arhieparhia/

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"Développer un lien authentique entre les peuples", par le card. Parolin (1)

«1919-2019. Espérances de paix entre Orient et Occident»

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À des situations et des problèmes nouveaux, explique le cardinal Parolin, l’Église répond « en exhortant à l’unité comme expression d’une exigence intrinsèque, qui pousse à développer un lien authentique entre peuples différents ».

Le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État du Vatican, a prononcé un discours lors de la Conférence internationale sur le thème « 1919-2019. Espérances de paix entre Orient et Occident », le 14 mai 2019, à l’Université du Sacré-Cœur de Milan, à l’occasion du Xème anniversaire de la fondation de l’Institut Confucius de cette même université. Son intervention était intitulée : « L’unité de la famille humaine du pape Benoît XV au pape François ».

« Le bien commun est devenu mondial » : reprenant à son compte cette récente formule du pape François, le cardinal Pietro Parolin évoque « la situation actuelle de mondialisation progressive » et « une ligne de pensée que le magistère de l’Église a développée de manière constante au long des cent dernières années ».

Dans un long discours, », le secrétaire d’État est parti de l’année 1919 et du déclin progressif du rôle hégémonique de l’Europe pour évoquer le rôle joué par le pape Benoît XV qui « lança une nouvelle approche du contexte international de la part du Saint-Siège et de l’Église catholique, en continuité avec l’œuvre de paix accomplie pendant la guerre ». Il rappela aussi que les missions « ne sont pas une extension de la chrétienté occidentale, mais l’expression d’une Église vraiment universelle » « au service de tous les peuples ».

Voici notre traduction de son intervention prononcée en italien.

HG/AB

Intervention du secrétaire d’État

Prémisse

Je désire avant tout adresser mes salutation cordiales à Mgr Erminio De Scalzi, représentant de l’archevêque, à Madame Anna Scavuzzo, adjointe au maire de Milan, au recteur magnifique  de l’Université catholique, le Professeur Franco Anelli, et à l’assistant ecclésiastique, Mgr Claudio Giuliodori. En même temps, je suis heureux d’exprimer ma profonde gratitude aux organisateurs de ce symposium, en particulier au Professeur Agostino Giovagnoli, Directeur du Centre de recherche de “World History” et au Professeur Elisa Giunipero, Directrice de l’Institut Confucius. Je souhaite cordialement la bienvenue aux évêques venus de Chine continentale, Mgr Joseph Li Shan de Pékin et Mgr Joseph Huang Bingshang de Shantou. [Je remercie enfin pour leur présence les représentants de la Direction Hanban]. Je salue aussi toutes les personnes présentes.

Comme nous le savons tous, il y a quelques jours, le pape François a lancé un appel aux Nations, afin qu’elles s’associent et travaillent ensemble parce que « le bien commun est devenu mondial ». Le Saint-Père a ensuite souligné que si « un État suscitait les sentiments nationalistes de son propre peuple contre d’autres nations ou groupes de personnes, il manquerait à sa mission. Nous avons appris de l’histoire où conduisent de semblables déviations ; je pense à l’Europe du siècle dernier ».

Ces paroles appliquent à la situation actuelle de mondialisation progressive une ligne de pensée que le magistère de l’Église a développée de manière constante au long des cent dernières années, puisant aussi à l’antique sagesse des Pères de l’Église qui, dans les premiers siècles, avaient déjà élaboré l’idée de l’unité de la famille humaine telle qu’elle apparaît dans le plan de salut de Dieu. En effet, c’est précisément au moment où l’humanité a connu la possibilité de devenir plus unie qu’elle a commencé à faire aussi l’expérience des divisions les plus déchirantes. L’Église répond à ces problèmes nouveaux en exhortant à l’unité comme expression d’une exigence intrinsèque, qui pousse à développer un lien authentique entre peuples différents.

Graduellement, s’est renforcé le sens de la corrélation osmotique entre la nature supranationale de l’Église catholique et l’unité de la famille humaine. En effet, le Concile Vatican II, dans « Lumen gentium », définit l’Église comme « en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ».

S’éloignant progressivement d’un contexte d’hégémonie européenne et d’une approche eurocentrique, le rappel à l’unité entre les peuples a aussi accompagné un intérêt ecclésial croissant pour les mondes non européens, en particulier africain, asiatique et latino-américain, soulignant une perspective toujours plus « mondiale ». L’Église s’est exprimée dans le temps sur de nombreux thèmes liés à l’unité de la famille humaine : contre la guerre et l’usage de la violence, d’une part, et pour la paix et la négociation dans les controverses internationales, d’autre part ; pour le développement de la coopération internationale et pour la promotion des organisations supranationales. En résumé, à des problèmes mondiaux, il convient de donner des solutions aussi mondiales. Dans cette enceinte, j’ai l’intention de me limiter à illustrer certaines lignes du magistère pontifical des cent dernières années et à donner quelques exemples.

Benedetto XV

Dans cette perspective, 1919 représente un tournant important de l’histoire en ce qui concerne le thème de l’unité de la famille humaine. Dans le climat des attentes suscitées par la fin de la Première guerre mondiale, Benoît XV lança une nouvelle approche du contexte international de la part du Saint-Siège et de l’Église catholique, en continuité avec l’œuvre de paix accomplie pendant la guerre.

Sa Note du 1er août 1917 est particulièrement connue : elle définissait la guerre comme un « massacre inutile ». Cette dénonciation du pape mettait aussi indirectement en lumière l’incapacité croissante des États européens à garantir l’équilibre du système international. Dans ce contexte, la voix du pape Dalla Chiesa sembla quasiment lettre morte, y compris au sein du monde catholique, là où semblaient souvent majoritaires les sentiments nationalistes et les choix interventionnistes. Mais Benoît XV voyait loin : dans la suite du XXème siècle, la paix et la guerre ne devaient plus se faire en référence, même lointaine, à des justifications « chrétiennes ». Ce pape inaugura un nouveau parcours du magistère pontifical de plus en plus critique à l’égard de la guerre comme instrument de solution des controverses internationales, attitude qui fut ensuite partagée et relancée par ses successeurs.

Dans l’encyclique « Pacem dei munus », Benoît XV invita peuples et nations à se réconcilier, prenant aussi position en faveur de la Société des Nations à peine fondée. La perspective du pape avait des affinités avec le projet social du président des États-Unis Woodrow Wilson, comme l’avait déjà fait observer Dom Luigi Sturzo ici même, à Milan, en octobre 1918. Les deux figures du pape et du président, se détachaient sur le fond du déclin progressif du rôle hégémonique de l’Europe. Mais leurs perspectives n’étaient pas les mêmes : Wilson a ouvert la voie à de nouveaux équilibres atlantiques entre l’Europe et les États-Unis, tandis que Benoît XV a regardé avec attention à ce qui se passait au-delà de l’Occident. À cet égard, son importante Lettre apostolique « Maximum illud » marqua une discontinuité précisément dans l’histoire des missions catholiques dans le monde. En effet, il s’agit du premier document missionnaire promulgué personnellement par le pape, alors que les précédents émanaient plutôt du dicastère du Saint-Siège compétent pour les missions. C’est comme si Benoît XV avait voulu, avec autorité, donner un nouveau départ et un nouvel élan à toute l’action missionnaire de l’Église catholique. Pour Benoît XV, l’Église devait recommencer à regarder avec davantage d’attention vers l’Orient et, d’une façon toute particulière, vers la Chine. En ce sens, la genèse même de « Maximum illud » est éloquente : les sollicitations qui l’inspirèrent venaient de la Chine, dénonçant une certaine mentalité colonialiste, qui était même liée à certains milieux missionnaires.

Au contraire, le christianisme ne devait pas apparaître comme « la religion de telle nation étrangère », si bien « que se faire chrétien, c’est, semble-t-il, accepter la tutelle et la domination d’une puissance étrangère et renier sa propre patrie ». La Lettre apostolique « Maximum illud » est empreinte de cette inquiétude évangélisatrice mondiale et recommande aux missionnaires l’abandon des comportements de supériorité vis-à-vis du clergé autochtone dont elle souhaite, au contraire, l’augmentation et la promotion à l’épiscopat. Elle eut pour conséquence, quelques années plus tard, la consécration dans la Basilique vaticane des six premiers évêques chinois. La Lettre affirma clairement que les missions ne sont pas une extension de la chrétienté occidentale, mais l’expression d’une Église vraiment universelle qui veut se mettre au service de tous les peuples.

Concrètement, la critique de l’attitude nationaliste de certains missionnaires européens s’insérait aussi dans une nouvelle perspective d’attention aux bonnes raisons des patriotismes non européens, comme celui qui grandissait dans la Chine de ces années-là. C’est dans ce contexte que se situe le dialogue, initié à l’époque entre le Saint-Siège et la Chine, en vue d’établir des relations diplomatiques, pour dépasser l’antique système des protectorats et acquérir un rapport institutionnel direct : c’est justement pour cette raison qu’une fois encore, une puissance européenne, dans ce cas-ci la France, s’opposa à l’initiative et en empêcha la réalisation.

(À suivre)

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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