« Avec l’invitation à implorer la miséricorde divine par laquelle chacune de nos misères devient lieu de profond et vrai amour », Mgr Francesco Follo commente les lectures de la messe de dimanche prochain, 28 avril 2019, 2ème Dimanche de Pâques ou de la Divine Miséricorde (Année C).
Mgr Follo rappelle la liste des oeuvres de miséricorde spirituelle et corporelle.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose aussi comme lecture patristiques deux extraits de saint Grégoire de Nysse.
AB
La paix du Ressuscité remplit notre cœur de miséricorde
1) La miséricorde est l’amour de Dieu qui aime et pardonne les pécheurs.
Il y a huit jours, à Pâques, nous avons remercié le Seigneur qui, par sa résurrection, a montré que son amour est plus fort que la mort et le péché.
Aujourd’hui nous célébrons cet amour qui se révèle et s’accomplit comme miséricorde dans notre vie quotidienne et qui pousse chacun de nous à avoir à son tour « miséricorde » envers le Crucifié. En fait, c’est la vie du bon chrétien qui consiste dans le saint désir de Dieu, l’aimer et aimer son prochain et même ses « ennemis ».
Le Christ ne révèle pas seulement que Dieu est Amour, mais que Dieu est miséricorde. Non seulement Dieu aime l’homme juste et bon, mais le Ressuscité montre que Dieu aime l’homme coupable. Il n’aime pas seulement les bons enfants, mais aussi les enfants rebelles, des êtres fragiles qui ne sont pas dignes, utiles ou agréables, ni en eux-mêmes, ni bons pour Lui.
Et ceux qui sont plus loin et plus pauvres, ceux qui sont plus hostiles et plus mauvais, ceux qui ont aimé et aimé.
Cet amour n’a pas non plus été prodigieux seulement en lui-même et pour le bonheur intime de Dieu ; mais il l’a été aussi pour les êtres indignes qui en sont l’objet inexplicable. C’est un amour rédempteur.
En aimant le pécheur, Dieu donne paternellement un exemple de bonté suprême, le sauvant par un pardon qui recrée. La miséricorde se penche sur le méchant, non pas pour qu’il reste pécheur et pour que la justice ne soit respectée, mais plutôt pour que la justice soit recomposée dans ses droits et ait sa revendication. Dieu aime le méchant non pas parce qu’il est mauvais, mais pour le rendre bon ; et tandis qu’il pousse la miséricorde au point d’effacer les conséquences fatales du péché, il restaure l’absolu de la loi morale en y ramenant le pécheur.
Cette relation singulière de la miséricorde avec la justice est l’un des problèmes les plus profonds et les plus clairement résolus du christianisme. Personne ne pense que la miséricorde de Dieu, annoncée comme il se doit, et révélée dans sa source et dans son terme – l’Amour- soit complice du mal et affaiblisse la force de l’impératif moral. La miséricorde manifeste à tout le monde qu’elle, et elle seule, est capable de récupérer le bien perdu, de rembourser par le bien le mal fait et de générer de nouvelles forces de justice et de sainteté.
Aujourd’hui comme toujours, la célébration liturgique n’est pas seulement une commémoration des événements passés, ni une expérience intérieure mystique particulière, mais elle est essentiellement une rencontre avec le Seigneur ressuscité qui vit dans la dimension de Dieu, au-delà du temps et de l’espace. Pourtant le Christ ressuscité se rend vraiment présent au sein de la communauté. Il nous parle dans les Saintes Écritures et rompt pour nous le pain de la vie éternelle. Par ces signes nous vivons ce que les disciples ont vécu, c’est-à-dire le fait de voir Jésus et en même temps de ne pas le reconnaître. Il nous arrive à nous aussi de toucher son Corps, un corps eucharistique vrai, réel, véritable, qui donne la paix.
A cet égard, il est utile de rappeler que Jésus, dans les deux apparitions aux Apôtres rassemblés au Cénacle, salue plusieurs fois en disant « Paix à vous ! » (Jn 20, 19, 21.26). La salutation traditionnelle, avec laquelle nous nous souhaitons la paix, devient ici une chose nouvelle. Elle devient le don de cette paix que seul Jésus peut donner, car elle est le fruit de sa victoire radicale sur le mal. La « paix » que Jésus offre à ses amis est le fruit de l’amour de Dieu qui l’a conduit à mourir sur la croix, à verser tout son sang, comme un Agneau doux et humble, « plein de grâce et de vérité » (Jn 1,14). C’est pourquoi saint Jean-Paul II a voulu donner à ce dimanche après Pâques le nom de « dimanche la Miséricorde divine « , avec une icône très précise : celle du côté percé du Christ, d’où le sang et l’eau sortent, selon le témoignage oculaire de l’apôtre Jean (cf. Jn 19, 34-37). Mais maintenant Jésus est ressuscité, et de Lui jaillissent vivants les sacrements pascals du baptême et de l’Eucharistie : quiconque les approche avec foi reçoit le don de la vie éternelle.
L’Évangile de ce dimanche montre comment le Ressuscité aide, confirme cette foi en l’Apôtre Thomas et en chacun de nous. Comme cet Apôtre nous voulons rencontrer le Christ en le touchant. Ce passage de l’Évangile, en effet, montre la bonté miséricordieuse du Christ qui, pour aider la foi de saint Thomas l’Apôtre, – pour aider la foi de saint Thomas l’Apôtre réapparaît de nouveau dans Cénacle et demande à cet apôtre, qui était absent lors de sa première apparition, de poser les doigts sur ses côtes transpercées d’où coulaient le sang et l’eau lorsqu’ il était sur la croix.
Aujourd’hui, il nous est demandé de nous souvenir de la rencontre d’un homme incrédule, qui a pu poser sa main sur les côtes du Christ, dont du cœur transpercé par le péché, jaillit encore la grande onde de miséricorde. Même si nos péchés étaient noirs comme la nuit, la miséricorde divine serait plus forte que notre misère. Il faudrait une seule chose : que le pécheur entrouvre la porte de son propre cœur…Dieu fera le reste.
Chaque chose débute dans sa miséricorde et se termine dans sa miséricorde, écrivait Sainte Faustine Kowalska. C’est pour cela que Sain Jean-Paul II a dédié le deuxième Dimanche de Pâques à la miséricorde.
En effet, la liturgie d’aujourd’hui, à partir de la prière initiale, est une liturgie de miséricorde.
Certes, la décision de Jean-Paul II fut aussi inspirée par les révélations privées reçues par Sainte Faustine Kowalska. Celle-ci vit partir des côtes du Christ deux rayons de lumière, un rouge qui représente le sang et l’autre blanc, qui représente l’eau.
Si le sang évoque le sacrifice de la croix et le don de l’eucharistie, l’eau rappelle le baptême et le don du Saint Esprit (Jn 3,5; 4,14; 7,37-39).
A travers le cœur transpercé du Christ crucifié, la miséricorde divine rejoint les hommes.
Jésus est » l’Amour et la miséricorde en personne » (Sainte Faustine Kowalska, journal, 374).
La miséricorde est le deuxième nom de l’Amour (Dives in Misericordia, 7), dans son aspect plus profond et tendre, dans sa capacité et disponibilité de subvenir à chaque besoin, surtout au besoin du pardon. « A la grande blessure de l’âme correspond la grande miséricorde de Dieu « (Saint Eusèbe).
Jésus utilise l’onguent de la plaie de ses côtes pour soigner le cœur de Thomas, blessé par l’incrédibilité. La médecine de sa miséricorde est plus grande des erreurs humaines.
Il va à l’ encontre de Thomas, des autres apôtres et, aujourd’hui, vers chacun de nous, et ne demande pas « qu’as-tu fait? » Mais « m’aimes-tu », comme demanda Pierre après la résurrection.
Pierre et nous aussi, nous n’avons que notre douleur comme réponse au Christ. Mais cela lui suffit. Comme il fit avec Pierre, il nous confirme son Amour miséricordieux, un Amour qui libère, guérit et sauve.
Nous sommes une chose petite et fragile. Mais nous pouvons être dans la joie et nous disons : » Seigneur Jésus, j’ai confiance en toi » (comme il fut suggéré à Sainte Faustine, journal 327).
L’annonce de cette miséricorde est source de joie : Jésus est miséricorde. Il est envoyé par le Père pour nous faire apprendre que la caractéristique suprême de l’essence de Dieu pour l’homme est la miséricorde.
Demandons-nous si nous sommes toujours conscients que nous vivons pour la miséricorde de Dieu, pour son aumône, qui nous donne vie, liberté, amour, espoir, pardon et chaque grâce.
Nous devons nous demander aussi si nous pratiquons l’aumône. L’aumône est un fait qui touche les racines de la vie de l’homme, parce qu’il est acceptation du mode de vie du Christ, lequel » il était riche, s’est fait pauvre pour vous, pour vous enrichir à travers sa pauvreté » (2 cor 8,9). C’est accepter que le Christ soit la richesse de notre vie, et on le suit sans regretter nos propres biens (cf. Mt 19,21).
L’aumône-miséricorde n’est pas pure et simple philanthropie, mais Amour pour Christ que nous rejoignons à travers nos frères pauvres : » ce que vous avez fait à un de ces petits, vous l’avez fait à moi » (cf. Mt 25). Tel est vrai que le Christ accepte que son parfum précieux se dégrade au lieu de le vendre aux pauvres : le Christ le fondement valable de chaque amour pour le prochain.
2) la miséricorde comme vocation.
Saint-Thomas, touchant l’homme et reconnaissant Dieu » mon Seigneur et mon Dieu », crut et fut confirmé avec les autres apôtres dans la vocation d’annoncer l’Evangile de miséricorde : » comme le Père m’a envoyé, moi je vous envoie ». A partir de ce moment, le « vent » de Dieu porta les disciples jusqu’ aux extrêmes frontières de la terre et ….jusqu’au martyr.
Comme dans une nouvelle création, l’Esprit du Ressuscité rend capable les disciples de quelque chose d’inouï : pardonner les péchés. Les hommes et les femmes, sous tous les cieux, ont besoin de miséricorde et de pardon.
Même la douleur est renversée : a partir du moment où Jésus est ressuscité « toute la douleur qu’il y dans le monde n’est pas douleur d’agonie, mais douleur d’accouchement » (Paul Claudel). Alors, la vie peut être vécue comme une fête, le Ressuscité offre imagination et courage pour créer le » nouveau ». Pendant que les idéologies et les utopies humaines se brisent toutes contre le rocher de la mort, Jésus, ouvre les portes de l’espoir chrétien, qui ne déçoit pas et ne se résout pas en « un désir démenti ». Aucune croix, aucune preuve, aucun drame ne peut enlever la paix ou éteindre la joie qui vient de la Résurrection.
La Pâque de Résurrection montre que la mort gagne seulement » pour peu de temps » et n’a pas le dernier mot.
Notre vocation, comme celle de Thomas et des autres Apôtres, est d’annoncer l’ Evangile de Miséricorde, de raconter la Miséricorde de Dieu le Père, à travers notre capacité de pardon et de rémission des péchés (pour les prêtres): tous les laïcs et prêtres sont appelés à être catalyseur de miséricorde.
A la lumière de l’Evangile, l’expression « Pitié et Tendresse est le Seigneur » (Ps 110/111, 4) est très claire; Son Fils unique, notre Rédempteur nous en a donné avec une indicible bonté.
A travers l’Eglise, faisant l’expérience du grand Amour avec lequel Dieu nous a aimé (Eph 2, 4), nous accueillons sa miséricorde et proclamons-le dans la communauté chrétienne et dans le monde, appartenons au Christ et partageons sa mission, celle d’être catalyseur de miséricorde pour faire resurgir le monde.
Nous en avons l’exemple dans le visage de la Mère de Jésus, refléter dans le visage des vierges consacrées, qui s’efforcent de suivre le Maître Divin et, d’être pour l’humanité le signe de la miséricorde et de la tendresse divine.
Comme nous invite le Pape François « apprenons à être miséricordieux avec tous ». Invoquons l’intercession de la Mère de Dieu qui a eu dans ses bras la Miséricorde de Dieu (Pape François, Angélus, 14 mars 2013). La Vierge Marie fut la première a contempler le visage de la miséricorde du Père (cf. Id. 11 avril 2015). C’est pourquoi le Pape François ne se lasse jamais de répéter que « le prénom de Dieu est miséricorde » (12 janvier 2016 – ce sont quelques-unes des nombreuses citations parmi les nombreuses fois où le Pape François parle de miséricorde, la dernière pour le moment étant celle du 19 avril 2019).
La miséricorde est l’amour « excessif » que les vierges consacrées vivent en se donnant complètement au Christ, la mesure pleine et débordante qui va au delà de la justice, non proportionnel au mérite de l’autre, ni à ses propres intérêts. Elles évangélisent à travers la miséricorde, parce que dans la virginité, elles accueillent sur leurs genoux le Christ dépose de la Croix et en proclament le pardon.
Elles sont certaines de l’Emmanuel, du « Dieu avec nous » à qui elles offrent la vie pour être avec lui Hostie de miséricorde qui pardonne et renouvelle la vie.
En expérimentant le pardon et le pardon de Dieu, nous devenons toujours certains que Sa puissance est plus grande que notre faiblesse. Certains du fait que « Dieu est avec nous ». C’est de cette certitude que la joie peut venir, c’est de la certitude de « Dieu avec nous » que la joie peut venir. Nous devons nous demander si nous sommes toujours conscients que nous vivons de la miséricorde de Dieu, de son aumône qui nous donne vie, liberté, amour, espérance, pardon et toute grâce. La miséricorde du Christ à travers elle continue à « être un don de vie, de vie vécue dans le Christ, avec le Christ par le Christ-Miséricorde ».
Les vierges consacrées sont appelées d’une manière particulière à être témoins de cette miséricorde du Seigneur, en qui l’homme trouve son propre salut. Ces femmes gardent vivante l’expérience du pardon de Dieu, parce qu’elles sont conscientes qu’elles sont des personnes sauvées, qu’elles sont grandes quand elles se reconnaissent comme petites, qu’elles se sentent renouvelées et enveloppées de la sainteté de Dieu quand elles reconnaissent leur propre péché.
Elles donnent ainsi l’exemple que l’humble reconnaissance de leur propre misère permet d’’avoir pleinement confiance en la miséricorde de Dieu, en son amour qui n’abandonne jamais.
NB : pour la réflexion et la pratique, je propose l’étymologie du mot aumône, la liste des oeuvres de miséricorde corporelle et spirituelle et une homélie de Saint Grégoire de Nasse sur la miséricorde.
Aumône, en anglais alms, en italien elemosina, vient du grec elemosyne : miséricorde, compassion (spécialement envers les pauvres, donc bienfaisance, du même thème elèemon, pietoso, èleos : pitié, eleèo : avoir compassion. Cela se traduit par ce que l’on donne aux pauvres par charité. Voir les réflexions que j’ai proposées pour le premier dimanche de Carême, 17 février 2013.
L’ Eglise – en se servant de la Bible – mais aussi de sa propre expérience bimillénaire- résume le comportement positif envers celui qui est en difficulté, avec deux séries d’œuvres de miséricorde, corporelles et spirituelles.
Les sept œuvres de miséricordes corporelles
1) Donner à manger aux affamés
2) Donner à boire aux assoiffés
3) Habiller les nus
4) Loger les pèlerins
5) Visiter les infirmes
6) Visiter les prisonniers
7) Enterrer les morts
Les sept œuvres de miséricorde spirituelles
8) Conseiller les dubitatifs
9) Enseigner aux ignorants
10) Avertir les pécheurs
11) Consoler les affligés
12) Pardonner les offenses
13) Supporter patiemment les personnes gênantes
14) Prier Dieu pour les vivants et les morts
Rappelant à deux reprises le numéro 7, l’Eglise donne à ce numéro la valeur symbolique recueillie dans la Bible. Dans ce numéro, qui signifie complétude, on veut exprimer tout ce qui concerne l’aide envers le prochain.
Nous sommes donc sollicités à exercer un amour concret envers notre prochain dans une situation difficile.
Comme déjà le recommandait Saint Jean aux premiers chrétiens : « Mes enfants, nous devons aimer non pas avec des paroles et des discours, mais par des actes et en vérité » (1 Jn 3,18). Et St Jacques : « Soyez ceux qui mettent en pratique la parole, et non seulement auditeurs, en Vous faisant des illusions » (Jq 1,22).
Lecture Patristique
Saint Grégoire de Nysse
Homélies sur le Béatitudes
5e béatitude :
“Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde. » (Mt 5, 7)
« … la progression des béatitudes, les unes par rapport aux autres, nous prépare à nous approcher de Dieu, le bienheureux par excellence, fondement de toute béatitude.
Comme nous approchons de la sagesse par ce qui est sage, de la pureté par ce qui est pur, nous nous unissons au Bienheureux par la voie des béatitudes.
Or la béatitude appartient véritablement en propre à Dieu. Voilà pourquoi Jacob a dit que Dieu se dresse en quelque sorte au sommet de l’échelle. La participation aux béatitudes n’est donc rien d’autre que la communion avec la divinité, à laquelle le Seigneur nous conduit par ses paroles.
[…] La béatitude appelle l’homme à l’affection réciproque et à la compassion, à cause de l’inégalité et les différences des hommes, qui n’ont ni la même condition, ni la même constitution physique, ni les mêmes dispositions dans les divers domaines. La plupart du temps la vie nous offre des situations opposées : la puissance et l’esclavage, la richesse et la pauvreté, la mauvaise et la bonne santé, et toutes les autres différences.
Pour permettre à ceux qui sont dans le besoin d’arriver à égalité avec ceux qui ont d’abondantes ressources pour établir l’équilibre entre le trop et le trop peu, la compassion à l’endroit des plus pauvres est indispensable. Il n’est pas possible d’entreprendre de soulager la misère du prochain, si la pitié n’a pas attendri l’âme, de manière à lui en inspirer le désir. Car la compassion est l’opposé de la dureté. L’homme dur et brutal est inaccessible à son entourage, l’homme compatissant et miséricordieux partage avec ceux qui souffre, il s’unit à eux dans l’objet de leurs aspirations…
(5e Homélie sur les Béatitudes, 1 – 2)
Il nous est parfois difficile d’avoir de la compassion pour ceux qui sont faibles, d’être miséricordieux et pleins d’amour avec ceux dont les insuffisances nous irritent ! Nous les plaignons, et que de condescendance dans cette fausse attention que nous leur prêtons.
Pensons-nous alors parfois à l’amour total que Dieu a pour eux ? Ne sentons-nous pas le contraste entre cet amour de Dieu pour tous, pour les plus pauvres et les plus faibles en priorité, et notre compassion qui frôle très souvent le mépris ? Nous nous comportons souvent comme le pharisien de l’Evangile qui remercie Dieu (oui, il ose même rendre grâce !) de ne pas être comme le publicain qui n’ose s’avancer et qui implore la miséricorde de Dieu. Croyons-nous que nous aussi nous n’avons pas besoin de cette miséricorde ? Trop sûrs qu’elle nous est accordée au nom de nos mérites, alors qu’elle nous est donnée par grâce (parce que l’amour de Dieu est gratuit et n’attend pas nos mérites – qu’il risquerait d’attendre longtemps !), nous ne pensons même pas à implorer Dieu.
Pourquoi implorer Dieu, pourquoi demander alors qu’il sait ce qui nous est nécessaire ? Comme l’explique Augustin, il ne s’agit pas de dire à Dieu ce que nous désirons (comme s’il pouvait l’ignorer), mais bien plutôt d’exciter notre désir par la prière : « Dieu notre Seigneur ne veut pas être informé de notre désir, qu’il ne peut ignorer. Mais il veut que notre désir s’excite par la prière, afin que nous soyons capables d’accueillir ce qu’il s’apprête à nous donner. Car cela est très grand, tandis que nous sommes petits et de pauvre capacité ! » (Lettre à Proba, 15). Il s’agit donc d’élargir notre coeur, de le vider de tout ce qui l’encombre, et en premier lieu de le vider de nous qui le remplissons de notre suffisance !
Pour élargir déjà notre coeur au moins à la dimension du monde – ce qui est encore bien insuffisant pour contenir Dieu – quoi de meilleur que de regarder et d’aimer notre proche, en cessant d’abord de jauger ses capacités ou de le juger sur les apparences ? Chaque fois que nous aimons « le plus petit », c’est le Seigneur que nous aimons, et nous oubliant pour celui qui est près de nous, c’est le Christ que nous accueillons. Rappelons-nous cette parole de Jean dans sa première épître : « Si quelqu’un dit: « J’aime Dieu » et qu’il déteste son frère, c’est un menteur: celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, ne saurait aimer le Dieu qu’il ne voit pas. (1Jn 4, 20).
« Deux hommes montèrent au Temple pour prier; l’un était Pharisien et l’autre publicain. Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain ; je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que j’acquiers. Le publicain, se tenant à distance, n’osait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine, en disant : Mon Dieu, aie pitié du pécheur que je suis! Je vous le dis : ce dernier descendit chez lui justifié, l’autre non. Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s’abaisse sera élevé. » (Luc 18, 10-14)
Voilà qu’il nous faut maintenant dépasser notre cinquième échelon, si difficile à franchir, en continuant sur le chemin de la joie parfaite !
Saint Grégoire de Nysse, Homélie 15 sur le Cantique des Cantiques
PG 44, 1085-1087 (Trad. Canevet, Cerf, 1992)
« « C’est là mon bien-aimé, c’est là mon ami, filles de Jérusalem » (Ct 5,16). L’Épouse du Cantique montre celui qu’elle cherchait en disant : « Voici celui que je cherche, celui qui pour devenir notre frère est monté du pays de Juda. Il est devenu l’ami de celui qui était tombé aux mains des brigands : il a guéri ses plaies avec de l’huile, du vin et des pansements ; il l’a fait monter sur sa propre monture ; il l’a fait reposer dans l’hôtellerie ; il a donné deux pièces d’argent pour son entretien ; il a promis de donner à son retour ce qui aurait été dépensé en plus pour accomplir ses ordres ». Chacun de ces détails a une signification bien évidente.
Le docteur de la Loi tentait le Seigneur et voulait se montrer au-dessus des autres ; dans son orgueil il faisait fi de toute égalité avec les autres, disant : « Qui est mon prochain ? » Le Verbe alors lui expose, sous forme d’un récit, toute l’histoire sainte de la miséricorde : il raconte la descente de l’homme, l’embuscade des brigands, l’enlèvement du vêtement incorruptible, les blessures du péché, l’envahissement par la mort de la moitié de notre nature (puisque notre âme est restée immortelle), le passage inutile de la Loi (puisque ni le prêtre ni le lévite n’ont soigné les plaies de celui qui était tombé aux mains des brigands).
»Il était en effet impossible que le sang des taureaux et des boucs efface le péché » (He 10,4) ; seul pouvait le faire celui qui a revêtu toute la nature humaine – des Juifs, des Samaritains, des Grecs – en un mot, de toute l’humanité. Avec son corps, qui est la monture, il s’est rendu dans le lieu de la misère de l’homme. Il a guéri ses plaies, l’a fait reposer sur sa propre monture, et il a fait pour lui de sa miséricorde une hôtellerie, où tous ceux qui peinent et ploient sous le fardeau trouvent le repos (Mt 11,28). »
Mgr Francesco Follo, 17 déc. 2018 © Mgr Francesco Follo
"La paix du Ressuscité remplit notre cœur de miséricorde", par Mgr Follo
« Par la miséricorde divine chacune de nos misères devient lieu d’un amour profond et vrai »