L’écoute, le témoignage des laïcs, la collégialité et l’accompagnement constituent « quatre principes synodaux » pour une « réforme structurelle », indique le cardinal Blase Cupich, archevêque de Chicago (Etats-Unis), ce vendredi 22 février 2019, à 10h, deuxième jour de la rencontre mondiale des évêques réunis par le pape François au Vatican sur le thème de la Protection des mineurs (21-24 février). Il dit « non » à l’isolement de l’évêque face aux cas d’agressions sexuelles sur mineurs, non à la solitude des victimes et des familles.
Un témoignage de victime a été lu par le p. Hans Zollner SJ, au cours de la prière du matin, comme hier, 21 février. Il révélait cette solitude: « Quand Jésus était sur le point de mourir, sa mère était avec lui. Quand j’ai été abusé par un prêtre, l’Eglise ma mère m’a abandonné. Quand j’avais besoin de quelqu’un à qui parler dans l’Église de ma blessure et de ma solitude, ils se sont tous cachés, ainsi je me suis senti encore plus seul parce que je n’avais personne vers qui me tourner. »
Ce deuxième jour est en effet consacré à la « collégialité » et à la responsabilité « ensemble » de tout le corps ecclésial. Et le titre de l’intervention du cardinal américain était: « Synodalité: solidairement responsables ».
« Je sais que, parfois, la question de l’abus sexuel peut nous laisser ce sentiment d’être isolé ou sur la défensive pour comprendre la façon dont nous devrions avancer. C’est justement pour cette raison que nos efforts en faveur d’une réforme structurelle et juridique dans l’Église doivent être enracinés dans une vision profondément collégiale », fait observer le cardinal.
Le cardinal Cupich a aussi fait des propositions, pour la réforme des « structures institutionnelles et juridiques pour la responsabilisation », notamment pour « l’enquête des évêques », le « signalement des allégations » et les « étapes procédurales concrètes ».
A ce propos, l’archevêque de Chicago a indiqué 12 « principes » à observer, notamment que « les victimes et leurs familles, ainsi que les personnes qui signalent l’allégation, doivent être traitées avec dignité et respect, et doivent recevoir un soin pastoral approprié »: « Des efforts devraient être déployés pour s’assurer que les victimes reçoivent un conseil psychologique et d’autres soutiens. »
La première intervention du matin a été celle du card. Oswald Gracias (Inde) sur la « collégialité » et la mission « ensemble ». La troisième intervention de la journée a été donnée à 16h, par Mme Linda Ghisoni, une laïque, sous-secrétaire – « numéro 3 » – du Dicastère romain pour les laïcs, la famille et la vie, sur « Communion: agir ensemble ».
Voici la traduction, rapide, de travail, de l’intervention prononcée en anglais.
AB
D’après ce que nous venons d’entendre du Cardinal Gracias, nous devons comprendre notre rassemblement en ces jours comme un exercice en collégialité. Nous sommes ici, comme l’épiscopat universel dans l’union affective et matérielle avec le successeur de Pierre, pour discerner à travers un dialogue animé où notre ministère en tant que successeurs des apôtres nous appelle à affronter efficacement le scandale des abus sexuels du clergé qui a blessé tant de petits.
Tandis que nous partageons une responsabilité unique à cet égard comme Collège des évêques, il est également impératif que nous considérions le défi auquel nous faisons face à la lumière de la synodalité, d’autant plus que nous explorons avec l’Église tout entière les aspects structurels, juridiques et institutionnels de responsabilité. En effet la synodalité représente la participation de tous les baptisés à tous les niveaux – dans les paroisses, les diocèses, les organismes ecclésiaux nationaux et régionaux – dans un discernement et une réforme qui pénètrent dans toute l’église. C’est précisément un tel discernement pénétrant, si vital pour l’Eglise en ce moment, qui donnera naissance aux éléments de vérité, de pénitence et de renouveau des cultures qui sont essentiels pour remplir le mandat de protéger les jeunes au sein de l’église, et à leur tour au sein de la société élargie. Un processus qui ne fait que modifier les politiques, même s’il est le fruit des plus beaux actes de collégialité, ne suffit pas. C’est la conversion des hommes et des femmes dans toute l’Église – parents et prêtres, catéchistes et religieux, chefs paroissiaux et évêques – et la conversion des cultures ecclésiales sur tous les continents que nous devons rechercher. Seule une vision synodale, enracinée dans le discernement, la conversion et la réforme à tous les niveaux, peut amener à l’Église l’action globale dans la défense des plus vulnérables au milieu de nous, ce à quoi la grâce de Dieu nous appelle.
Un lien sacré
Dans cet esprit, je veux commencer par une histoire. Il y a 60 ans, en décembre dernier, un incendie a traversé l’école élémentaire catholique de NotreDame-des-Anges à Chicago, prenant la vie de 92 enfants et de trois sœurs religieuses. Pour marquer ce triste anniversaire, j’ai présidé une messe commémorative, fréquentée par de nombreux anciens élèves qui ont survécu au feu et aux membres de la famille de ceux qui étaient morts. Une des personnes que j’ai accueillies avant la messe était une mère de 95 ans de l’un des enfants qui sont morts dans l’incendie. Elle était une immigrante italienne, qui m’a dit dans sa langue maternelle, mais aussi par le regard pitoyable dans ses yeux pleins de larmes, que la piqûre de sa perte était encore aussi forte que le jour où sa fille de neuf ans a péri. Elle m’a montré la sainte carte avec la photo de sa fille. Elle l’a serré dans sa main comme quelque chose de très précieux. Elle avait gardé cette image pieuse pendant six décennies depuis le jour des funérailles de sa petite fille.
Cette histoire émouvante d’une mère en deuil, une Pietà moderne, qui a perdu son enfant il y a de nombreuses années, nous met en contact sur un plan profondément humain avec le lien sacré qu’un parent a avec un enfant. Je crois que trouvons notre motivation alors que nous nous engageons en ces jours à bâtir une culture de responsabilisation avec des structures adéquates pour modifier radicalement notre approche de la sauvegarde des enfants. Malheureusement, beaucoup de nos gens, pas seulement ceux abusés ou les parents des victimes, mais les fidèles en général se demandent si nous les dirigeants de l’église comprennent pleinement cette réalité, en particulier quand ils voient peu de soins donnés aux enfants abusés, ou pire encore, quand le crime est couvert pour protéger l’agresseur ou l’institution. Ils se demandent : « si les dirigeants de l’église pouvaient agir avec si peu de soin dans l’attention pastorale à accorder dans des cas aussi évidents d’un enfant sexuellement abusé, cela ne révèle-t-il pas à quel point ils sont détachés de nous les parents qui prennent soin de nos enfants comme la lumière de nos vies ? Pouvons-nous vraiment nous attendre à ce que nos leaders se soucient de nous et de nos enfants dans les circonstances ordinaires de la vie, s’ils ont répondu si cruellement dans des cas qui alarmeraient toute personne raisonnable ? » Cela est la source de la méfiance grandissante envers notre leadership, sans mentionner l’indignation de notre peuple.
Mon opinion est simple. Aucun des éléments structurels que nous adoptons en tant qu’Église synodale, aussi importants soient-ils, ne peut nous guider loyalement dans le Christ, à moins que nous n’ancrions toutes nos délibérations dans la douleur perçante de ceux qui ont été abusés et des familles qui ont souffert avec eux. L’Église doit devenir comme la mère en deuil, que j’ai rencontrée à Chicago; l’Église doit vraiment être la Pietà, brisée dans la souffrance, consolant et enveloppant dans l’amour, constante en orientant vers la tendresse divine de Dieu au milieu des douleurs de désolation de ceux qui ont été écrasés par l’abus du clergé.
Quatre principes synodaux pour mettre au point la réforme structurelle juridique et institutionnelle
Pour une Église cherchant à être une mère aimante face à l’abus sexuel du clergé, quatre orientations, enracinées dans la synodalité, doivent façonner toutes les réformes structurelles, juridiques et institutionnelles conçues pour répondre à l’énorme défi que représente en ce moment, la réalité des abus sexuels par le clergé.
Un : l’écoute radicale
La première orientation est une position perpétuelle d’écoute radicale pour comprendre l’expérience mortifère de ceux qui ont été abusés sexuellement par le clergé. C’est ainsi que nous avons à comprendre la demande du Saint-Père que nous nous préparions pour cette rencontre en entrant personnellement dans les expériences des survivants en leur rendant visite. L’Église, en tant que mère aimante, doit s’ouvrir continuellement à la réalité déchirante des enfants dont les blessures ne guériront jamais. Une telle attitude d’écoute nous appelle à jeter de côté la distance institutionnelle et les œillères relationnels qui nous empêchent de parvenir au face à face avec la destruction brutale des vies d’enfants et des personnes vulnérables que les abus sexuels du clergé véhiculent. Notre écoute ne peut pas être passive, en attendant que ceux qui ont été abusés trouver un chemin vers nous. Bien plus, notre écoute doit être active, recherchant ceux qui ont été blessés et cherchant à se mettre à leur service. Notre écoute doit être disposée à accepter le défi, la confrontation et même la condamnation pour les échecs passés et présents de l’église à garder sain et en sécurité le plus précieux du troupeau du Seigneur. Notre écoute doit être vigilante, comprenant que ce n’est que par l’enquête et la persévérance et l’action face aux signes d’abus sexuels que nous pouvons remplir le mandat de Dieu. Enfin, notre écoute doit porter avec elle la volonté de faire face aux lourd passé et erreurs d’incuries de certains évêques et supérieurs religieux dans le traitement des cas d’abus sexuels par le clergé, et le discernement pour comprendre comment établir une juste reddition de comptes pour ces échecs massifs.
Deux : le témoignage des laïcs
Le deuxième fondement qui doit orienter toutes les réformes structurelles pour traiter les abus sexuels du clergé dans une Église synodale est l’affirmation que chaque membre de l’Église a un rôle essentiel en aidant l’Église à éliminer la réalité horrible de l’abus sexuel du clergé. En grande partie, c’est le témoignage des laïcs, en particulier des mères et des pères avec un grand amour pour l’Église, qui ont souligné de façon émouvante et énergique combien est gravement incompatible la commission, la couverture et la tolérance de l’abus sexuel du clergé, avec le sens même et l’essence de l’Église. Ce témoignage de foi et de justice par les laïcs ne représente pas un défi conflictuel pour l’Église, mais un témoignage continuel et rempli de grâce, un témoignage de foi et d’action qui est essentiel au peuple pèlerin de Dieu pour accomplir sa mission salvifique en ce moment de l’histoire. Les mères et les pères nous ont appelés à rendre des comptes, car ils ne peuvent tout simplement pas comprendre comment nous, évêques et supérieurs religieux, avons souvent été aveuglés sur la portée et les dommages causés par l’abus sexuel des mineurs. Ils témoignent de la double réalité qui doit être poursuivie dans notre Église aujourd’hui: un effort incessant pour éradiquer l’abus sexuel du clergé dans l’Église, et un rejet de la culture cléricale qui a si souvent nourri cet abus.
La véritable synodalité dans l’Église nous appelle à voir ce large témoignage des laïc comme une consolidation et une accélération de la mission pour laquelle nous sommes réunis de toutes les Nations dans la poursuite de la protection des enfants de Dieu. Nous devons incorporer inébranlablement une large participation des laïcs dans tous les efforts pour identifier et construire des structures de responsabilisation pour la prévention des abus sexuels du clergé. En effet, l’histoire des dernières décennies démontre que la perspective unique et pleine de dignité des laïcs hommes et femmes, les mères et les pères, informe notre Église de manière si profonde sur cette tragédie que tout développement futur qui l’exclurait ou le diminuerait déformera inévitablement l’Église et déshonora notre Dieu.
Trois: collégialité
La troisième orientation pour notre travail de réforme et de renouveau a été soulignée par le Cardinal Gracias ce matin – l’établissement d’une collégialité soutenue qui est nécessaire pour toute vraie responsabilité regardant les abus sexuels du clergé. Je sais que, parfois, la question de l’abus sexuel peut laisser chacun de nous dans le sentiment d’être isolé ou sur la défensive dans la compréhension de la façon dont nous devrions avancer. C’est justement pour cette raison que nos efforts en faveur d’une réforme structurelle et juridique dans l’Église doivent être enracinés dans une vision profondément collégiale. Nous sommes réunis ici dans ce moment historique parce que le Saint-Père a vigoureusement cristallisé le dynamisme pour la réforme d’une manière qui met l’Église face ses responsabilités dans la protection des jeunes et pour exercer son rôle de Pietà dans un monde qui connait trop tragiquement la réalité de l’abus sexuel.
Une approche synodale et collégiale est marquée par l’échange réciproque de la connaissance mutuelle, dans la Curie Romaine, les conférences épiscopales et métropolitaines, et au sein de chacune d’entre elles dans le but du discernement. Plutôt que d’opérer isolément, nous devons communiquer les uns avec les autres dans un esprit de confiance, en reconnaissant tout le temps que nous sommes fidèles aux désirs du Christ qui nous a unis comme successeurs des apôtres dans le don du même Esprit. L’année dernière nous a enseigné que les échecs systématiques de tenir responsables les clercs de tous les grades sont dus dans une large mesure aux failles dans la façon dont nous interagissons et communiquons entre eux dans le Collège des évêques en union avec le successeur de Pierre. Mais ils révèlent aussi dans de trop nombreux cas une compréhension et une mise en œuvre insuffisantes des principales réalités théologiques comme la relation entre le Pape et les Évêques, les Évêques entre eux, les Évêques et les Supérieurs Religieux, les Évêques avec leur peuple et le rôle des Conférences Épiscopales.
Le pape François nous a rappelé dans une allocution à la Congrégation des Évêques : « Personne ne peut tout avoir en main, chacun pose avec humilité et honnêteté sa propre tesselle dans une mosaïque qui appartient à Dieu. 1» En d’autres termes, la responsabilisation au sein du Collège des Évêques, signée par la synodalité, peut être façonnée de sorte à devenir un réseau sûr d’orientation, une grâce et un appui qui ne laisse pas le leader individuel tout seul dans les situations difficiles, ni ne se fie à la fausse impression que le Saint-Siège doit trouver toutes les réponses.
Quatre: Accompagnement
Le dernier principe essentiel d’orientation pour des structures efficaces de responsabilisation pour l’abus sexuel du clergé est l’appel à l’accompagnement. Si l’église doit véritablement embrasser les victimes/survivants de l’abus de clérical dans ses bras comme une mère aimante, alors chaque structure de reddition de comptes doit inclure la sensibilisation et l’accompagnement qui soit vraiment compatissant. L’accompagnement implique véritablement de tenter de comprendre l’expérience et le cheminement spirituel de l’autre. Ainsi, les structures de signalement, d’investigation et d’évaluation des allégations d’abus doivent toujours être conçues et évaluées dans la compréhension de ce qu’endurent les survivants lorsqu’ils s’approchent de l’église et recherchent la justice. Chaque cas d’un survivant approchant l’Église, qu’il soit en quête de réconfort ou de justice, de compensation ou de paix, est une invitation pour que l’Église soit véritablement la Pietà, marquée par la tendresse et l’empathie.
De telles structures de responsabilisation doivent également être justes et sûrs, produisant des sanctions pour protéger les personnes vulnérables lorsque l’accusé est coupable, et des déclarations d’innocence lorsque l’accusé est irréprochable. L’appel de l’Église pour l’accompagnement des victimes exige un état d’esprit qui rejette catégoriquement les couvertures ou le conseil de prendre ses distances des survivants d’abus pour des raisons juridiques ou par crainte de scandale qui bloque le véritable accompagnement envers ceux qui ont été victimes. Cela exige également que nous érigions des structures et des dispositions juridiques qui préservent manifestement le devoir de protéger les jeunes et les personnes vulnérables comme leur premier et principal principe. Peut-être le plus important, l’appel à l’accompagnement exige que les évêques et les supérieurs religieux rejettent une vision cléricale du monde qui voit des accusations d’abus sexuels de clergé jeté dans un contexte de statut et d’immunités pour ceux dans l’état clérical. L’accompagnement authentique du Christ voit tous les égaux dans le Seigneur, et les structures enracinées dans l’accompagnement font que tous se sentent et apparaissent égaux dans le Seigneur.
Ces quatre principes synodaux de l’écoute, du témoignage des laïcs, de la collégialité et de l’accompagnement sont constitutifs de l’appel du Saint-Père à nous préparer et d’ouvrir nos cœurs à l’immensité et à l’importance de la tâche que nous entreprenons en ces jours.
Structures institutionnelles et juridiques pour la responsabilisation: un cadre
La tâche qui nous est soumise est de centrer ces principes sur la conception de structures institutionnelles et juridiques spécifiques afin de créer une véritable responsabilisation dans les cas liés au manquement des évêques et des supérieurs religieux, et leur mauvaise gestion des cas d’abus des enfants. Mais, cela exigera que nous nous rappelions mutuellement à une responsabilité évangélique, ancrée dans la justice et dans la sensibilité que Jésus a manifestée en étant « profondément ému par les souffrances des autres, combien son cœur était ouvert aux autres ». 2 Avec tout cela à l’esprit, nous nous tournons maintenant vers ce que l’application spécifique de la responsabilisation par le biais des structures institutionnelles et juridiques pourrait ressembler dans des cas impliquant la faute des évêques et leur mauvaise gestion des cas d’abus des enfants.
« Comme une mère pleine d’amour »
Nous avons déjà, bien sûr, un guide dans la lettre apostolique Come una Madre amorevole 3 [«Comme une mère pleine d’amour»], qui énonce des procédures qui regardent, entre autres choses, les évêques qui traitent mal les cas d’abus. Brièvement, un évêque, un éparque ou un supérieur majeur des instituts religieux et des sociétés de vie apostolique de droit pontifical peut être renvoyé si son manque de diligence à cet égard est grave, même s’il n’y a pas de faute intentionnelle sérieuse de sa part. La Congrégation compétente de Rome ouvre une enquête en accord avec le droit de l’église pour déterminer s’il existe une preuve fondamentale. L’accusé sera informé et lui sera donné la possibilité de se défendre. D’autres évêques ou éparques de la Conférence épiscopale ou synodale respective peuvent être consultés avant que la Congrégation ne prenne une décision. Si l’éloignement est le jugement, il est soumis au Saint-Père pour approbation, et s’il est retenu coupable, la Congrégation peut émettre un décret ou demander à l’évêque de démissionner dans les quinze jours. Sinon, la Congrégation peut procéder à sa destitution. 4 Nous devons lire et relire cette lettre.
La tâche à venir
Ce qui reste à promulguer sont des procédures claires dans les cas qui, pour des « raisons graves », pourraient justifier la destitution d’un évêque, d’un éparque ou d’un supérieur religieux tel que défini dans le motu proprio Sacramenentorum sanctitatis tutela 5 et le motu proprio, Come una Madre amorevole.
Ce que je propose ici, ce sont des facteurs pertinents qui doivent être considérés lorsque chaque conférence épiscopale adopte des procédures qui habilitent une église synodale à tenir pour responsables les évêques impliqués dans l’inconduite et la mauvaise gestion. Mon but est d’offrir un cadre qui soit conforme à nos traditions ecclésiologiques et canoniques afin de stimuler la conversation entre nous, sachant qu’il y a des différences dans la culture, les lois civiles et canoniques et d’autres facteurs qui doivent être pris en considération, et pourtant conscients de l’urgence de prendre des actions décisives sans délai.
Je vais regrouper mes remarques sous trois rubriques:
1. établir des normes pour l’enquête des évêques,
2. signalement des allégations et
3. étapes procédurales concrètes.
1. Établir des normes
Lorsque les conférences épiscopales, les provinces ou les diocèses établissent collégialement des normes pour mener les enquêtes sur les évêques, ils devraient impliquer et consulter des experts laïcs en accord avec le droit canonique et explorer les coutumes de l’archidiocèse, compte tenu de son rôle traditionnel dans l’organisation de la vie ecclésiale. Tout cela devrait se faire sans préjudice de l’autorité du Saint-Siège. Chaque fois que le droit civil exige la déclaration d’abus de mineurs, cette loi doit être suivie et les procédures doivent préciser ces exigences.
2. Rapports des allégations
Tous les mécanismes de signalement des allégations d’abus ou de mauvaise gestion des cas d’abus contre un évêque doivent être transparents et bien connus des fidèles. Il convient d’accorder une attention particulière à l’établissement de mécanismes de signalement indépendants sous la forme d’une ligne téléphonique dédiée et/ou d’un service de portail Web pour recevoir et transmettre les allégations directement au nonce apostolique, à l’archevêque métropolitain 6 de l’évêque accusé, ou selon nécessité son suppléant et tous les experts laïcs prévus par les normes établies par les conférences épiscopales. L’implication d’experts laïcs à l’assistance sur ce point est de loin utile pour le bien du processus et la valeur de la transparence. D’autres exigences et procédures pour faire le rapport aux autorités ecclésiastiques appropriées par les membres du clergé qui ont connaissance de l’inconduite d’un évêque devraient également être établies.
3. Étapes procédurales concrètes
A mon avis, il sera utile d’adopter des étapes procédurales claires qui sont à la fois enracinées dans les traditions et les structures de l’Église, mais en même temps répondent aux besoins modernes d’identifier et d’enquêter sur les comportements potentiellement illicites des évêques. Bien que les lois universelles puissent être émises par le Saint-Siège en ce qui concerne cette question – et le motu proprio Come una Madre amorevole en est l’exemple parfait – les Conférences Épiscopales, après des consultations appropriées, devraient envisager d’adopter des normes spéciales pour répondre aux besoins particuliers de chaque Conférence. Je crois que notre Église est mieux servie si les principes suivants trouvent leur chemin dans toute proposition législative dans ce domaine:
a. Les victimes et leurs familles, ainsi que les personnes qui signalent l’allégation, doivent être traitées avec dignité et respect, et devraient recevoir un soin pastoral approprié. Des efforts devraient être déployés pour s’assurer que les victimes reçoivent un conseil psychologique et d’autres soutiens, ce qui, selon moi, devrait être financé par le diocèse de l’évêque accusé.
b. Le signalement d’une infraction ne doit pas être entravé par le secret officiel ou les règles de confidentialité.
c. Aucune personne ne doit être discriminée ou subir des rétorsions, sur la base de la déclaration d’une allégation contre un évêque aux autorités ecclésiastiques.
d. Une attention particulière doit être accordée à l’inclusion de femmes et d’hommes laïcs compétents dans le processus, du début à la fin, par respect des principes de responsabilisation et de transparence que j’ai notés ci-dessus. 7
e. Chaque fois que cela est justifié, et à tout moment au cours de l’enquête, l’archevêque métropolitain devrait être en mesure de recommander à la congrégation romaine compétente que soient adoptées, des mesures de précaution appropriées, y compris le retrait temporaire et public de l’accusé de son bureau.
f. Si l’allégation a même l’apparence de vérité, que l’archevêque métropolitain devrait être libre de déterminer avec l’aide d’experts laïcs, l’archevêque métropolitain peut demander au Saint-Siège l’autorisation d’enquêter. La nature exacte de l’enquête, – qu’elle soit pénale ou administrative, – dépendrait des allégations.8 Cette demande doit être transmise sans délai et la Congrégation devrait réagir sans délai.
g. Une fois que l’archevêque métropolitain reçoit l’autorisation, il devrait rassembler rapidement toutes les informations pertinentes, en collaboration avec des experts laïcs, pour assurer l’exécution rapide et professionnelle de l’enquête et conclure promptement l’enquête.
h. Toute enquête doit être menée dans le respect de la vie privée et de la renommée de toutes les personnes impliquées. Cela n’exclut cependant pas que la Conférence épiscopale adopte des normes pour informer les fidèles de l’allégation contre l’évêque à n’importe quel stade du processus. Dans le même temps, il est important que la présomption d’innocence soit accordée à l’accusé au cours de l’enquête.9
i. A la fin de l’enquête, l’archevêque métropolitain ferait parvenir les actes, y compris toutes les informations recueillies avec l’aide d’experts laïcs, ainsi que son Votum, si demandé, au Saint-Siège.
j. Un fonds commun peut être établi au niveau national, régional ou provincial pour couvrir les frais des enquêtes des évêques10, en tenant dûment compte des normes de droit canonique pour son administration. 11
k. La compétence de l’archevêque métropolitain cesserait normalement une fois l’enquête achevée12, mais pourrait être prolongée pour assurer la continuité du soin pastoral, ou pour d’autres raisons spécifiques. Le traitement du cas d’un évêque procède de ce point selon les normes du droit universel13 . Conformément au droit canonique, le Saint-Siège peut soit prendre le cas d’un évêque à lui-même aux fins de résolution par un processus administratif ou pénal ou autre disposition, ou le Saint-Siège peut renvoyer l’affaire à l’archevêque métropolitain
avec d’autres instructions quant à la façon de procéder. 14
l. Bien sûr, sauf disposition contraire par loi spéciale, il appartient au Pontife Romain de prendre une décision finale. 15
Remarques finales
Ce que je présente ici est un cadre pour la construction de nouvelles structures juridiques de responsabilisation dans l’Église. Cet effort nécessitera une confiance et une ouverture inébranlable dans l’identification, avec l’aide de tous dans l’Église, et dans le respect des diverses cultures et de l’universalité de notre Église, des voies juridiques et institutionnelles pour protéger les jeunes gens de manière juste, compatissante et vigoureuse.
Saint Jean-Paul II a parlé de cette réalité dans sa Lettre Apostolique novatrice Novo millennio ineunte, quand il a observé que nous avons besoin de la sagesse de la loi pour fournir des règles précises pour garantir la participation de tous les baptisés, qui rejette tout arbitraire et reste conforme à notre tradition d’organiser la vie de l’Église. Dans le même temps, a-t-il souligné, il y a une spiritualité corrélative de communion qui « fournit à la réalité institutionnelle avec une âme ».
Nous devons nous organiser pour établir des lois et des structures robustes en ce qui concerne la responsabilité des évêques précisément pour suppléer avec une nouvelle âme la réalité institutionnelle de la discipline de l’Église en matière d’abus sexuels.
En terminant, je veux vous ramener à cette messe commémorative que j’ai célébrée à Chicago pour les enfants et les religieux qui étaient morts dans le feu à l’école de Notre-Dame des Anges. Pendant le chant de la procession, la mère immigrante âgée qui m’avait parlé plus tôt, tenant toujours fermement l’image dans sa main, m’a arrêté pour de me dire comme elle était réconfortée par la célébration, consolée que l’Église n’avait pas oublié son enfant. Puis elle a fait quelque chose de très extraordinaire. Elle a placé l’image dans mes mains, confiant son enfant à l’Église qu’elle a reconnue comme la Pietà, une mère aimante. Sœurs et frères, nous devons travailler sans relâche en ces jours pour justifier cette confiance et honorer une si grande foi.
Merci d’avoir écouté.
NOTES
1 Pape François, Discours à la Congrégation des évêques, 27 février 2014.
2 Pape François, Amoris Laetitia, 144.
3 Pape François, Lettre apostolique Comme une mère aimante, 2018.
4 En outre, un effort est actuellement en cours pour garantir que les procédures soient normalisées entre les congrégations, mais la loi est déjà applicable et en vigueur, comme on l’a vu dans des cas récents.
5 Cf. Normes sur Delicta graviora, art. 1-6.
6 Des alternatives au à l’archevêque métropolitain doivent être établies s’il est l’accusé ou si le siège métropolitain est vacant. Le suppléant pourrait être l’archevêque métropolitain le plus proche au sein de la même conférence épiscopale, ou un suppléant à partir d’une liste créée a priori par chaque conférence épiscopale. Sinon, l’allégation pourrait être transmise à l’évêque suffragant principal de la province, qui assume le rôle de l’archevêque métropolitain dans ces cas. Dans le cas d’une allégation contre un évêque d’une Église catholique orientale, elle pourrait être transmise au Patriarche, à l’Archevêque majeur ou au Métropolite des Églises métropolitaines sui iuris, selon la structure de l’Église catholique orientale, sauf disposition contraire du Saint Siège.
7 Il est reconnu que des professionnels laïcs possédant des connaissances spécialisées peuvent être dûment autorisés à mener une enquête, mais toutes les enquêtes doivent demeurer sous l’autorité ecclésiastique appropriée. Voir, par exemple, CIC, ch. 274 §1 ( » Seuls les clercs peuvent obtenir des postes dont l’exercice requiert le pouvoir d’ordre ou le pouvoir de gouvernance ecclésiastique « ) ; voir aussi CIC, cc. 1405, 1717. Cela n’empêche cependant pas les droits et devoirs des laïcs de faire connaître leur opinion aux pasteurs et au reste des fidèles chrétiens sur les questions qui concernent le bien de l’Église, cf. CIC, c. 212 §3.
8 Il ne s’agirait pas toujours d’une enquête préliminaire pénale en vertu du droit canonique, puisque Comme une mère aimante couvre également les fautes non pénales (telles que la négligence).
9 Toutes les mesures appropriées doivent être prises pour protéger l’exercice des droits conférés par le droit canonique. CIC, ch. 221 ; voir aussi Comme une mère aimante, art. 2 § 2.
10 Cf. CIC, c. 1274 §§ 3-5. 11 CIC, c. 1275. Des laïcs peuvent être choisis pour administrer les fonds. Cf. CIC, c. 1279. Si des fonds ne sont pas disponibles pour l’enquête, l’archevêque métropolitain doit faire une demande immédiate de financement à la congrégation romaine compétente.
12 Cf. CIC, c. 142 §1, cf. CIC, c. 142 §1.
13 Cf. Comme une mère aimante, art 2-5.
14 Cf. CIC, c. 1718; cf. Comme une mère aimante, art. 2-5. 15
Cf. CIC, c. 1405; Comme une mère aimante, art. 5.