Réfugiés en Grèce, à̀ Idomeni, Gabriele Casini © Save the Children

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Migration : aussi ancienne que l’humanité, elle est cependant un grand défi, déclare Mgr Auza

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Intervention du Saint-Siège à l’Université de Yale

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« La migration est aussi ancienne que l’humanité elle-même », a déclaré Mgr Auza, avant de dresser un panorama des grandes migrations dans le monde, à partir d’Abraham jusqu’au Nouveau Monde, en passant par le Bassin Méditerranéen au cours des derniers siècles avant notre ère et des premiers siècles de notre ère. Analysant ensuite le phénomène des mouvements de population actuels, il l’a défini comme « l’un des plus grands défis de notre époque et l’une des priorités qui définissent le pape François et les activités internationales du Saint-Siège ».

Mgr Bernardito Auza, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations Unies, est intervenu sur le thème « Le pape François et le défi mondial des migrations », au Centre McMillan pour les études internationales et régionales de l’Université de Yale, le 14 novembre 2018.

Mgr Auza a ensuite résumé la compréhension de la migration du Saint-Siège en trois points : Premièrement, « la migration est à la fois une réponse humaine naturelle à la crise et un témoignage du désir inné de chaque être humain de bonheur, de liberté, de plus grandes opportunités et d’une vie meilleure ». Deuxièmement, « le Saint-Siège croit à la fois au droit de migrer et au droit antérieur de ne pas migrer ». Enfin, « les droits humains fondamentaux de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, doivent être respectés ».

Voici notre traduction du discours de Mgr Auza.

HG

Discours de Mgr Bernardito Auza

Excellences

Professeurs distingués,

Chers étudiants, Mesdames et Messieurs,

Je suis presque certain que je ne suis ni le premier catholique ni le premier membre du clergé catholique à parler à Yale, une institution fondée à l’origine par le clergé congrégationaliste puritain pour former des ministres afin de purifier l’anglicanisme de tout vestige de l’Église catholique romaine! Je voudrais donc commencer par vous remercier pour cette aimable invitation et exprimer ma profonde gratitude pour votre intérêt pour la migration en tant que défi mondial.

J’examinerai le défi mondial de la migration du point de vue du pape François et du Saint-Siège, que je représente aux Nations Unies.

La migration est aussi ancienne que l’humanité elle-même. À l’aube de la partie historique de la Bible, nous avons Abraham qui, avec sa famille, a émigré d’Ur des Chaldéens, de l’actuel Irak, et s’est installé à Canaan. Quelles images bibliques du phénomène de la migration peuvent être meilleures que la migration de toute la maison d’Israël vers l’Egypte, fuyant la famine et cherchant à se réunir autour de Joseph, et la migration inverse, l’Exode, du peuple juif d’Egypte à Canaan afin de s’émanciper de la tyrannie et de l’esclavage.

Cette « migration aller-retour », pour ainsi dire, nous indique quels sont certains des principaux moteurs de la migration, à savoir : l’unification de la famille, avec la famille entière de Jacob rejoignant Joseph en Égypte; la pauvreté et le manque, à la suite de la famine à Canaan ; les violations flagrantes des droits de l’homme entraînant des conflits violents, lorsque les Israélites furent réduits en esclavage et poursuivis dans la mer Rouge par les forces égyptiennes; et, bibliquement et littéralement parlant, l’aspiration à une Terre promise.

Le Pentateuque, en particulier les Livres du Deutéronome, de l’Exode et du Lévitique, regorge d’injonctions pour accueillir les étrangers, car, comme l’a maintes fois rappelé Moïse : « Vous étiez vous-mêmes également des étrangers dans un pays étranger ». En tant que Directeur international des Affaires interreligieuses pour Le Comité juif américain, le rabbin David Rosen a déclaré : « Le judaïsme a une histoire ancienne de migrants, qui informe l’enseignement juif d’aider les autres en situation de vulnérabilité ». Le « souvenir éternel douloureux » de l’Holocauste, a ajouté le rabbin, « exige de nous encore plus de solidarité et de soutien envers les migrants et les réfugiés afin qu’ils ne soient pas victimes de la violence telle que nous l’avons vécue ».

Les autres grandes religions ont des injonctions similaires sur l’accueil et le soin des étrangers. Pour nous, catholiques, l’un des enseignements les plus explicites de Jésus à ce sujet se trouve dans la parabole du Jugement dernier, dans laquelle Jésus s’identifie complètement à l’étranger, lorsqu’il dit : « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » ( Mt 25,35).

Au cours des derniers siècles avant notre ère et des premiers siècles de notre ère, les Juifs et les Phéniciens, les Grecs et les Romains ont parcouru tout le Bassin méditerranéen. Au début du Moyen-Âge, les barbares n’étaient pas seulement aux portes ; ils se sont installés parmi les ruines de l’ancien empire romain. Le Nouveau Monde est né de mouvements de peuples, avec Christophe Colomb à Hispaniola en 1492, Vasco de Gama contournant le cap de Bonne-Espérance en 1497 et Ferdinand Magellan littéralement dans ma cour aux Philippines en 1521 (je suis né à quelques kilomètres du lieu où il a été tué dans la bataille de Mactan). Nous n’aurions pas le temps de discuter des vices et des vertus des siècles de colonisation. Il suffit de dire pour le moment que ces sites historiques ont marqué le début des migrations transcontinentales.

Aux États-Unis, au cours des trois derniers siècles, les Anglais, les Irlandais et les Italiens ont rapidement peuplé New York et les États de la Nouvelle-Angleterre, les Nordiques et les Allemands et les Polonais les Grands Lacs, et les Chinois, les Philippins et beaucoup d’autres Asiatiques sont arrivés en Californie. Les Indiens et les Latinos occupaient une grande partie de ce qui est maintenant le Sud-Ouest. Et les Africains ont été emmenés de force à travers l’Atlantique jusqu’au Sud des États-Unis et au-delà en tant qu’esclaves. Ces migrations volontaires et involontaires étaient les tesselles de ce qui est devenu la magnifique et prospère mosaïque que sont les États-Unis d’Amérique.

Aujourd’hui, examinons ces données : en 2017, 258 millions de personnes ont franchi les frontières internationales, ce qui représente une augmentation de 50% par rapport à 2000. Environ 68,5 millions de personnes ont été forcées de quitter leur pays d’origine en raison de guerres, de persécutions et d’autres violations flagrantes des droits fondamentaux  de l’homme. Le nombre de réfugiés est passé de 15,4 millions en 2010 à 25,4 millions en 2017, soit une augmentation spectaculaire de plus de soixante pour cent en sept ans. À cela s’ajoutent quelque 41 millions de personnes qui sont actuellement victimes de la traite et asservies, principalement à des fins d’exploitation sexuelle et de travail forcé.

Qui sont ces personnes en mouvement et pourquoi migrent-elles? De nombreux facteurs déterminent la migration. Il y a les facteurs d’incitation, ou les facteurs qui obligent les gens à partir, comme la guerre et les conflits, le manque extrême, l’insécurité, les violations des droits de l’homme, le manque d’opportunités, ainsi que les catastrophes naturelles causées par des désastres soudains ou lents provoqués par des changements climatiques. Il y a ensuite les facteurs d’attraction, qui incitent les gens à se rendre vers une destination spécifique, comme la recherche de meilleures opportunités, une vie dans une liberté plus grande, la réunification familiale ou les changements sur les marchés du travail.

En résumé, le phénomène des mouvements massifs de population pour toutes ces raisons est l’un des plus grands défis de notre époque et l’une des priorités qui définissent le pape François et les activités internationales du Saint-Siège.

Comment le Saint-Siège envisage-t-il la migration ? Quelle approche le Saint-Siège recommande-t-il ? Pour gagner du temps, je vais répondre brièvement à ces questions :

Sans prétendre être exhaustif, je voudrais résumer la compréhension de la migration par le Saint-Siège en trois points :

Premièrement, comme je viens d’essayer de l’illustrer, à partir d’Abraham jusqu’aux statistiques de l’ONU sur les migrants et les réfugiés 2017, la migration n’est pas un phénomène nouveau. La migration est à la fois une réponse humaine naturelle à la crise et un témoignage du désir inné de chaque être humain de bonheur, de liberté, de plus grandes opportunités et d’une vie meilleure.

Deuxièmement, le Saint-Siège croit à la fois au droit de migrer et au droit antérieur de ne pas migrer. Une migration volontaire, sûre, ordonnée, régulière et bien gérée contribue au développement et à l’enrichissement culturel. Au cours des négociations qui ont abouti à la Déclaration de New York de 2016 sur les réfugiés et les migrants, le Saint-Siège a suggéré une phrase qui est désormais consacrée dans la Déclaration. C’est un appel lancé à la communauté internationale pour « créer les conditions permettant aux communautés et aux individus de vivre dans la sécurité et dans la dignité dans leur propre pays ». Le Saint-Siège a également été le principal contributeur à l’actuel paragraphe 13 du Pacte mondial pour la sécurité, Migration ordonnée et régulière, qui stipule : « Nous devons travailler ensemble pour créer des conditions permettant aux communautés et aux individus de vivre en sécurité et dans la dignité dans leur propre pays ». Afin de réaliser ces conditions, les facteurs défavorables et les facteurs structurels qui contraignent les individus à quitter leur pays d’origine doivent être minimisés (Objectif 2). J’ai été heureux de trouver dans le Pacte mondial un « mantra » du Saint-Siège au cours du processus menant au Pacte mondial, à savoir que « la migration ne devrait jamais être un acte de désespoir ».

Troisièmement, les droits humains fondamentaux de tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, doivent être respectés. Au cours des négociations sur le Pacte mondial sur les migrations, le Saint-Siège a demandé une énumération explicite des services devant être fournis aux migrants comme découlant de leurs droits fondamentaux, et ne pouvant donc leur être refusés. Bien qu’il n’y ait pas eu de consensus à ce sujet, il existe néanmoins un engagement explicite « de veiller à ce que tous les migrants, quel que soit leur statut migratoire, puissent exercer leurs droits fondamentaux grâce à un accès sécurisé aux services de base » (Objectif 15).

En ce qui concerne l’approche que le Saint-Siège recommande pour bien prendre en compte le phénomène mondial de la migration, il existe une phrase que nous répétons aux Nations Unies presque à chaque tour, à savoir qu’un défi mondial exige une réponse mondiale ! Le phénomène de la migration est mondial et exige clairement une réponse mondiale. En un mot, cela signifie une responsabilité partagée.

Tout en reconnaissant et en respectant le droit souverain des États de formuler leurs politiques respectives en matière de migration – de toute évidence conformément à leurs obligations internationales respectives, au droit international et au droit international humanitaire – le Saint-Siège est un fervent défenseur et un partisan des cadres régional et mondial pour permettre une migration, sûre, ordonnée et régulière. Ainsi, dès le début, le Saint-Siège a apporté son soutien à l’ensemble du processus menant au Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières et au Pacte mondial pour les réfugiés.

Le pape François a résumé en quatre verbes l’approche globale de l’Église catholique face au défi mondial de la migration. Ces quatre verbes sont accueillir, protéger, promouvoir et intégrer.

Accueillir. Cela signifie offrir aux migrants de plus grandes options pour entrer dans les pays de destination en toute sécurité et légalement, et veiller à ce que leur rapatriement, qui est normalement volontaire, soit effectué dans des conditions justes et sûres. Les migrants doivent avoir la garantie de la sécurité personnelle et de l’accès aux services de base, quel que soit leur statut. Dans tous les cas, la centralité de la personne humaine nous oblige à traiter chaque migrant avec dignité et respect.

Protéger. Toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour défendre les droits humains fondamentaux et la dignité des migrants, quel que soit leur statut migratoire. Cette protection commence dans le pays d’origine et consiste à fournir des informations fiables et vérifiées avant le départ et à assurer la sécurité par rapport aux recruteurs illégaux, aux passeurs et aux trafiquants d’êtres humains. Cette protection doit être maintenue alors que les migrants passent par les pays de transit et arrivent dans les pays de destination. En préservant la dignité fondamentale de chaque migrant, nous devons nous efforcer de trouver des solutions alternatives à la détention. Le Saint-Siège ne considère pas la détention d’un enfant migrant comme étant dans l’intérêt supérieur de l’enfant, tel que défini dans la Convention relative aux droits de l’enfant.

Promouvoir. Au-delà de la protection des droits et de la dignité des migrants, des politiques et des programmes efficaces doivent être mis en place pour permettre aux migrants de contribuer à leur subsistance ou de la gagner, d’exercer leurs libertés fondamentales, d’améliorer leurs compétences et leur éducation, de participer à la vie sociale de leurs communautés d’accueil et de contribuer au bien commun.

Enfin, intégrer. Lorsque la migration est bien gérée et qu’une culture de la rencontre est favorisée, les migrants apportent une contribution positive à l’économie, à la vie sociale et culturelle et à l’enrichissement des communautés. L’intégration n’est pas une assimilation qui amène les migrants à supprimer ou à oublier leur propre identité culturelle; c’est plutôt un processus de connaissance mutuelle et d’ouverture réciproque à ce qui est bon et positif de l’identité culturelle de chacun. Nous savons tous que l’intégration est un défi de taille dans lequel, dans de nombreux cas, un échec dans l’adaptation peut conduire à l’exclusion et à la disharmonie sociales. Pour minimiser les impacts négatifs de la migration, des initiatives au niveau communautaire et des mesures législatives sont nécessaires pour réaliser l’intégration.

Mesdames et Messieurs,

Je voudrais terminer en soulignant que le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières constitue un progrès historique dans notre responsabilité commune d’agir de manière solidaire avec les personnes en mouvement, en particulier celles qui se trouvent dans des situations très précaires. Le Pacte mondial servira de point de référence international pour les meilleures pratiques et la coopération internationale en matière de gestion mondiale des migrations, non seulement pour les gouvernements, mais également pour les entités non gouvernementales, parmi lesquelles des organisations confessionnelles, qui comptent véritablement parmi les organisations les plus efficaces sur le terrain pour assister les migrants en difficulté. Notre responsabilité partagée ne peut se concrétiser que si nous nous engageons tous à faire et à donner concrètement. Quel que soit notre rôle dans cette responsabilité partagée, notre réponse doit être principalement motivée par notre profond sens de notre humanité commune avec le migrant et non par des calculs aléatoires qui pourraient porter atteinte à sa dignité humaine.

Merci de votre attention.

© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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