Mgr Semeraro © Vatican Media

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"Le discernement est toujours nécessaire", explique Mgr Semeraro (traduction complète)

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Commentaire de  Gaudete et exsultate dans L’Osservatore Romano

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« Le discernement est donc toujours nécessaire : pas seulement « les moments extraordinaires, ou quand il faut résoudre de graves problèmes, ou quand il faut prendre une décision cruciale » (n. 169) », explique Mgr Marcello Semeraro dans L’Osservatore Romano en italien du 21 juillet 2018.
Mgr Semeraro est évêque d’Albano et secrétaire du Conseil des cardinaux (C9). Il commente sur ce point du discernement l’exhortation apostolique du pape François sur la sainteté Gaudete et exsultate.
Voici notre traduction complète de la réflexion de Mgr Semeraro.
Sur les sentiers du discernement
Marcello Semeraro
Dans son exhortation apostolique Gaudete et exsultate, le pape présente le discernement comme un chemin qui conduit à la source de la vie (cf. n. 170), un guide pour marcher sur le droit chemin. Et il ne fait aucun doute que c’est nécessaire, quand tout le monde, surtout les jeunes, est exposé à un zapping constant. « Sans la sagesse du discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du moment » (n. 167). Le discernement est donc toujours nécessaire : pas seulement « les moments extraordinaires, ou quand il faut résoudre de graves problèmes, ou quand il faut prendre une décision cruciale » (n. 169).
Ce discernement – dont il avait déjà indiqué dans Evangelii gaudium et Amoris laetitia les aspects personnels, pastoraux, vocationnels, pratiques – François le présente, dans cette exhortation, comme une manière de répondre à l’appel divin à la sainteté : Cet exercice est surtout nécessaire « quand apparaît une nouveauté dans notre vie et qu’il faudrait alors discerner pour savoir s’il s’agit du vin nouveau de Dieu ou bien d’une nouveauté trompeuse de l’esprit du monde ou de l’esprit du diable », et quand, au contraire, « les forces du mal nous induisent à ne pas changer, à laisser les choses comme elles sont, à choisir l’immobilisme et la rigidité, et donc à empêcher le souffle de l’Esprit d’agir » (n. 168). C’est un instrument de lutte pour mieux suivre le Seigneur, un moyen pour reconnaître les temps de Dieu et sa grâce, mais aussi pour ne pas laisser tomber son invitation à grandir.
Il y a aussi autre chose, parce que « le discernement nous conduit à reconnaître les moyens concrets que le Seigneur prédispose dans son mystérieux plan d’amour, pour que nous n’en restions pas seulement à de bonnes intentions » (169). Ainsi, François nous enseigne que le processus de discernement est aussi une aide pour passer des intentions aux actes. Un vieux proverbe nous dit qu’entre dire et faire il y a la mer ; le Pape, au contraire, explique que « le Seigneur prédispose dans son mystérieux plan d’amour, pour que nous n’en restions pas seulement à de bonnes intentions » (ibid.).
La volonté est que je devienne saint, écrivait saint Paul dans 1 Thessaloniciens, 4, 3, et saint Thomas commentait : « Tous les commandements de Dieu ont pour but d’être saints (Super 1 à Thessalonicenses, chapitre 4, l. 1). Mais il est aussi important de savoir comment répondre à cette volonté de Dieu, qui est précisément son appel à la sainteté. Comment, maintenant et ici, puis-je accomplir la volonté de Dieu ? C’est en cela que consiste le discernement. C’est précisément cette connaissance de l’ici et du maintenant, après tout, qui distingue le discernement du commandement. L’ un et l’autre ont pour but de répondre à la volonté de Dieu, mais d’un point de vue différent. Le commandement, en effet, indique la volonté de Dieu pour tous, toujours et partout. Le commandement, cependant, ne me dit pas comment je peux arriver à cette rencontre avec Dieu. Le commandement, en effet, est pour tous et toujours ; cependant, je suis « en situation ». Alors, comment puis-je atteindre mon objectif ? Avec discernement, précisément, qui est une sorte de « géoradar », lequel m’indique où je peux mettre mes pieds, pour marcher concrètement et vraiment vers Dieu ; il me suggère où et comment me déplacer, afin de ne pas gaspiller, ou rendre le chemin vain.
De ce point de vue, les pères du désert sont péremptoires et unanimes. Antoine le Grand les anticipe et les résume tous : « Il y a des gens qui ont épuisé leur corps dans l’ascèse et qui, n’ayant pas eu de discernement, ont fini par s’éloigner de Dieu » (Serie sistematica, X, 1). Le discernement, en effet, c’est cet « œil intérieur » qui, petit à petit, me permet d’observer la réalité et de l’évaluer du point de vue de l’Esprit. Jean Cassien écrivait : « La discrétion examine les actes et les pensées de l’homme, et choisit sagement ceux qui doivent être admis ». Il ajoutait même que celle-ci est le gouvernail de la vie et concluait que c’est pour cette raison elle peut être saluée comme la mère, la gardienne et la modératrice de toutes les vertus (cf. Collationes, II, 2.4).
Dans Gaudete et exsultate, le pape explique que le discernement spirituel n’exclut pas les apports de la sagesse humaine, existentielle, psychologique, sociologique ou morale. Mais il les transcende tous parce que dans notre cas il ne s’agit pas de mettre seulement en jeu « un bien-être temporel ni la satisfaction de faire quelque chose d’utile, ni le désir d’avoir la conscience tranquille non plus » : il s’agit plutôt « d’entrevoir le mystère du projet unique et inimitable que Dieu a pour chacun, et qui se réalise dans des contextes et des limites les plus variés ». François précise aussi que les sages normes de l’Église ne sont pas suffisantes non plus pour le discernement, parce qu’il s’agit d’une grâce. Le discernement selon l’Esprit, en fin de compte, avant d’être un art, est un don à demander à celui qui sonde les profondeurs de notre cœur et connaît le cœur de Dieu (cf. n. 170). Mais pour obtenir un tel don, il faut de l’attention, qui veut dire à la fois attente, tension et questionnement. L’indication au début de la section finale consacrée au discernement, est donc appropriée. Le pape dresse comme une liste de tous les moyens nécessaires pour effectuer le discernement. Il écrit, en effet, qu’il « ne requiert pas seulement une bonne capacité à raisonner ou le sens commun. C’est aussi un don qu’il faut demander. Si nous le demandons avec confiance au Saint Esprit, et que nous nous efforçons en même temps de le développer par la prière, la réflexion, la lecture et le bon conseil, nous pourrons sûrement grandir dans cette capacité spirituelle » (n. 166).
Nous devons ajouter quelque chose sur ces moyens. Quant au premier point, François avertit explicitement que dans le processus de discernement « il n’est pas possible de se passer du silence de la prière attentive pour mieux percevoir ce langage, pour interpréter la signification réelle des inspirations que nous croyons recevoir, pour apaiser les angoisses et recomposer l’ensemble de l’existence personnelle à la lumière de Dieu » (n. 171). Il indique aussi la réflexion, et pour bien comprendre ce que cela signifie, on pourra se référer à un apophtegme des pères du désert qui avertit: « Ne faites rien avant d’avoir examiné dans votre cœur si ce que vous allez faire est selon Dieu » (Serie sistematica, XXI, 21). Le grand effort du discernement, en effet, se trouve précisément ici. Il ne suffit pas d’évaluer objectivement la bonté d’un choix, ou d’une décision qui, en plus, sont souvent neutres et seulement bonnes en apparence. Ce qui, en revanche, donne à nos actions la qualité d’un choix, c’est l’intention. Notre cœur en reçoit la direction et cela nous permet de comprendre les vraies raisons pour lesquelles nous agissons d’une manière plutôt que d’une autre. Il faut donc toujours interroger ses propres pensées, c’est-à-dire les peser et les examiner, même lorsqu’elles se présentent à nous sous une belle, une bonne et même sainte apparence. De cette façon, on met notre propre cœur dans un écrin. Nous sommes, en effet, les portiers de notre cœur : appelés à prendre soin de notre cœur, à veiller sur la porte de notre intériorité. Par la prière et la réflexion, François indique aussi la lecture. Je pense qu’il se réfère certainement à la pratique de la lectio divina, mais entend aussi les autres lectures utiles pour la croissance morale et spirituelle de l’homme. La combinaison entre la lectio et d’autres lectures est généralement présente dans la tradition chrétienne et ne se trouve pas seulement dans les règles monastiques. Dans les Exercices Spirituels, en plus de la lecture des Évangiles, saint Ignace conseillait d’autres lectures, comme l’Imitation du Christ et la vie des saints, et saint François de Sales exhortait Philothée : « Je ne veux pas vous envoyer dans le désert, mais je pense que de temps en temps il serait bon pour vous de rester dans votre chambre, dans votre jardin ou ailleurs, où vous pouvez rassembler votre esprit dans votre cœur et restaurer votre âme avec de bonnes intentions et de saintes pensées, ou avec une bonne lecture ».
Parmi les moyens nécessaires pour obtenir et cultiver le discernement, le pape ne néglige pas d’ajouter le bon conseil. L’autogestion spirituelle et la prétention d’être des maîtres de soi-même est toujours un choix négatif, ne serait-ce que parce que contraire à l’humilité, qui induit toujours à reconnaître que nous avons besoin d’aide sur le chemin de l’adhésion à la volonté de Dieu. Un apophtegme des pères du désert répète que l’ennemi ne se réjouit de rien autant que de de ceux qui n’expriment pas leurs pensées (Serie alfabetica, poemen 101).
Il reste à ajouter une indication générale : le discernement comprte toujours une lutte ; c’est un combat spirituel. La vie selon l’Esprit n’est jamais une vie tranquille. Ceux qui s’y aventurent savent qu’ils doivent être des lutteurs, conscients que la première arme à utiliser contre leur adversaire et celle que le tentateur craint le plus est la Parole de Dieu ; inversement, les mauvaises pensées (loghismoi, comme Evagre les appelait) peuvent piéger l’âme et l’affaiblir si elles ne sont pas soutenues par la prière. Saint Barsanuphe de Gaza écrivait que « le discernement des pensées ne vient à personne sans fatigue du cœur » et dans une autre lettre il expliquait que « garder le cœur signifie avoir l’esprit vigilant et lucide de celui qui est en guerre » (Epistulae, 265, 166).
En termes de lutte, la citation de saint Bonaventure, que le pape reprend vers la fin de son exhortation, est également contextualisée. Le docteur séraphique (saint Bonaventure) expliquait comment, avec quelle logique (syllogisme, même), le Christ a vaincu le diable. Il parlait de sa résurrection, qui brise les sceaux du sépulcre et en déposant les linges de la mort manifeste les mystères ; il concluait : « C’est notre logique, c’est notre raisonnement à utiliser contre le diable qui se dispute constamment contre nous ». (Collationes in Hexaemeron, I, 30). Avec ce renvoi, le pape veut nous enseigner que le discernement doit certainement être placé dans la logique de la Croix : « Si quelqu’un entre dans cette dynamique, alors il ne laisse pas sa conscience s’anesthésier et il s’ouvre généreusement au discernement » (n. 174) ; il doit aussi s’exercer au pouvoir de la Résurrection et c’est ainsi que le discernement des esprits « libère de la rigidité qui n’est pas de mise devant l’éternel aujourd’hui du Ressuscité » (n. 173).
Traduction de ZENIT, Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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