Cardinal élu Toribio Ticona @ Conferencia Episcopal de Bolivia (CEB)

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Bolivie : "Je partageais la pauvreté des autres", témoigne le card. Toribio Ticona Porco

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Entretien dans L’Osservatore Romano

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« Je partageais … la pauvreté des autres », explique le cardinal bolivien Toribio Ticona Porco, prélat émérite de Corocoro : « avant d’entrer au séminaire, j’ai travaillé comme cireur de chaussures, mineur, mécanicien et charpentier », « je vivais dans le campement des mineurs, parce qu’il n’y avait pas de presbytère pour le curé de la paroisse », « je n’ai jamais gardé d’argent pour moi ».
Dans une interview accordée à L’Osservatore Romano en italien du 18 juillet 2018, le cardinal Toribio Ticona Porco, créé par le pape François lors du consistoire du 28 juin dernier, raconte sa vie sur le haut plateau de Bolivie, où il manquait de tout : route, nourriture, électricité, confort. Il a connu le pape François « quand il était archevêque de Buenos Aires ». « Je le considère comme un grand ami, affirme le cardinal. Nous avions beaucoup d’estime l’un pour l’autre. »
Dans l’entretien avec Nicola Gori, le cardinal de 81 ans présente la réalité peu connue de Bolivie où la majorité des habitants sont indigènes et où environ 40% d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Dans ces régions à quatre mille mètres au-dessus du niveau de la mer, où les prêtres sont rares, le cardinal a « toujours essayé de former des catéchistes indigènes » : « Quand j’y étais, raconte-t-il, on arriva à cinq cents catéchistes, si bien que dans chaque communauté les Aymares étaient présents. »
« J’ai toujours essayé d’évangéliser en utilisant un langage compréhensible pour ceux que j’avais devant moi, affirme-t-il. J’adaptais mes propos selon que je devais parler aux enfants, aux adultes ou aux ouvriers. »
Aujourd’hui, estime le cardinal, « il faut évangéliser la culture, parce que je remarque un certain syncrétisme ».
Voici notre traduction de l’entretien avec le cardinal publié par L’Osservatore Romano.
MD
Entretien avec le cardinal Toribio Ticona Porco
Comment avez-vous accueilli la nouvelle que le pape avait l’intention de vous inclure dans le Collège des Cardinaux ?
C’était une surprise incroyable, je ne m’y attendais pas du tout. Je me l’explique simplement : étant resté l’un des rares évêques « campesino » et comme la Parole de Dieu s’accomplit dans les plus petits, j’ai reçu la pourpre. D’autre part, je reconnais que c’est une grande responsabilité pour ma personne et pour l’Église. En Bolivie, il y a des archevêques et des évêques qui pouvaient être créés cardinaux avant moi, mais le Seigneur en a voulu ainsi et je suis devenu le troisième cardinal dans l’histoire du pays, après José Clemente Maurer, un Rédemptoriste d’origine allemande, et Julio Terrazas Sandoval, le premier né en Bolivie, également religieux de la Congrégation du Très Saint Rédempteur.
À quand remonte votre amitié avec Jorge Mario Bergoglio ?
Je l’ai connu quand il était archevêque de Buenos Aires. Je le considère comme un grand ami. Nous avions beaucoup d’estime l’un pour l’autre. Notre première rencontre a eu lieu pendant les voyages que je faisais dans la capitale argentine pour évangéliser mes campesinos. Chaque année, en effet, je me rendais en mission à Buenos Aires et dans ses environs, où vivent environ deux millions d’émigrants boliviens.
Vous avez été maire de votre communauté. Quel souvenir avez-vous de cette expérience ?
Dans les années 1970, le régime militaire m’a nommé maire de Chacarilla, un village à trois mille huit cent cinquante mètres d’altitude, où se trouvait une importante mine de cuivre. Environ sept cents demandeurs d’emploi sont venus y habiter, augmentant la population d’origine aymara, descendante des Pacajaques. On y parlait donc deux langues : l’aymara et l’espagnol. Je me souviens que c’était une région très pauvre et qu’elle était peuplée précisément parce qu’il y a avait cette mine qui appartenait à une société asiatique. Il y avait beaucoup de problèmes et de tensions, parce que les propriétaires tentaient de ne pas payer d’impôts.
Combien de temps êtes-vous resté à cette fonction de premier citoyen ?
Pendant quatorze ans. Quand on m’a nommé maire, j’étais déjà prêtre, alors quand les jours de fête je finissais de prononcer le discours officiel, je courais me changer pour célébrer la messe. À mon arrivée, il n’y avait qu’une petite église dédiée à Notre-Dame du Rosaire. Elle était si petite que les enfants l’a remplissaient. J’ai décidé de l’agrandir, parce que c’était un problème d’y célébrer les mariages et les baptêmes : les gens ne pouvaient y entrer. J’ai demandé de l’aide et les mineurs ont collaboré à la construction en donnant l’équivalent de deux jours de salaire. D’un autre côté, je n’ai jamais gardé d’argent pour moi. Ce que je recevais était destiné à la construction de l’église et de la mairie. Je partageais aussi la pauvreté des autres, je vivais dans le campement des mineurs, parce qu’il n’y avait pas de presbytère pour le curé de la paroisse. Nous étions ma mère, mon frère, et moi, dans une pièce. On dormait par terre, chacun dans un coin.
La pauvreté a toujours été votre compagnie ?
Je suis né très pauvre, je n’ai jamais connu mon père. Je n’ai fait que l’école primaire. Avant d’entrer au séminaire, j’ai travaillé comme cireur de chaussures, mineur, mécanicien et charpentier. Les missionnaires belges payèrent mes études pendant mes années de séminaire. Ces missionnaires formèrent l’Association de la jeunesse ouvrière catholique et, pour les adultes, la Ligue des travailleurs catholiques, que j’ai dirigée. Dans la première phase, les Belges me payaient, puis les évêques allemands. Pourtant, je n’ai jamais étudié l’allemand. Quand la mine de cuivre ne fut plus rentable pour la propriété, ils ont décidé de la fermer, alors Chacarilla se dépeupla et je suis parti en Belgique étudier au Centre International de Formation Catéchétique et Pastorale « Lumen Vitae » à Bruxelles, tenu par les Jésuites. Et j’appris aussi le français.
Quel souvenir avez-vous en particulier de votre expérience à la prélature de Corocoro ?
En avril 1986, Jean-Paul II me nomma évêque auxiliaire du diocèse de Potosí. Puis, le 4 juin 1992, il m’a transféré à la prélature de Corocoro. Là, le problème était les distances et l’altitude, parce qu’on arrivait jusqu’à cinq mille mètres au-dessus du niveau de la mer. Dans ces sommets, il y avait un prêtre italien, Antonio Galbioni. C’était un missionnaire infatigable. Il restait des jours sans manger et dormir pour annoncer l’Évangile. En tant que prélat, j’ai visité toutes les communautés. Je l’appelais la grande paroisse des pauvres de langue aymara ou de langues ancestrales de nos ancêtres quechua. J’ai toujours essayé d’évangéliser en utilisant un langage compréhensible pour ceux que j’avais devant moi. J’adaptais mes propos selon que je devais parler aux enfants, aux adultes ou aux ouvriers.
Une activité pastorale donc pas simple ?
Je me réveillais à 4 ou 5 heures du matin et je me rendais tous les jours dans deux ou trois paroisses pour célébrer la messe, les mariages, les baptêmes. Il y a eu des problèmes et des difficultés qui ont mis ma vie en danger à plusieurs reprises. Je me souviens très bien qu’un jour, en regardant un fleuve de mon véhicule tout-terrain, le niveau de l’eau a submergé la voiture. Je me suis sauvé en grimpant sur le toit. À ce moment-là, j’ai senti la main de Dieu dans ma vie, parce que je pouvais mourir. Il y a cinq ans aussi, alors que je voyageais avec la jeep, un camion m’a jeté hors de la route. Je ne suis pas mort par miracle. Chaque fois que je m’en souviens et que je rencontre le pape, il me dit : « Tu n’es pas encore mort ? Tu ne dois pas manger du chat. Parce que dans ma vie, j’ai mangé aussi du chat. Un autre problème de ma prélature était l’altitude, à laquelle mon organisme s’est habitué. J’ai d’ailleurs un cœur plus grand que la normale. Cela m’a permis, lorsque je suis venu à Rome pour une visite ad limina, d’arriver en un instant au sommet des jardins du Vatican où a été installé la Vierge de Copacabana, très vénérée en Bolivie.
À quelle urgence êtes-vous confronté aujourd’hui pour annoncer l’Évangile dans votre pays ?
Il faut évangéliser la culture, parce que je remarque un certain syncrétisme. Je vois qu’il y a une partie de la société qui est religieuse et l’autre pas. Avant, dans la prélature de Corocoro, il y avait les missionnaires espagnols. Ils sont partis, mais s’est posé le problème du manque de clergé local pour que l’Église bolivienne soit autonome. Pendant ma permanence, j’ai ordonné vingt-sept prêtres nés en Bolivie pour la prélature. Un petit nombre, compte tenu des distances et de la grandeur du territoire. C’est pourquoi j’ai toujours essayé de former des catéchistes indigènes. Quand j’y étais, on arriva à cinq cents catéchistes, si bien que dans chaque communauté les Aymares étaient présents. J’ai été critiqué pour cela. On m’accusait de former une autre Église, différente de l’Église universelle. D’un autre côté, il n’y avait même pas de religieuses pour m’aider, parce que quand j’en demandais aux supérieurs, ils me répondaient qu’ils ne pouvaient pas les envoyer à cause de l’altitude.
Avec une traduction d’Océane Le Gall

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Océane Le Gall

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