Grave, triste, Audience générale du 24/01/2018 © Vatican Media

Audience générale du 24/01/2018 © Vatican Media

Chili : le pape appelle à un changement radical pour lutter contre la "culture de l'abus"

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Le cri des victimes est arrivé au ciel, écrit-il dans une lettre

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Le pape François appelle l’Eglise chilienne à un changement radical pour lutter contre la « culture de l’abus », dans une lettre aux Chiliens, publiée ce 31 mai 2018 au sujet des abus sexuels, de conscience ou de pouvoir commis ces dernières décennies. « Le cri des victimes est arrivé au ciel », écrit-il en s’attristant : « nous n’avons pas su écouter et agir à temps ». « Jamais plus », insiste-t-il dans ce message qui condamne les « atrocités » commises.
Dans ce texte de huit pages en espagnol, le pape fustige le cléricalisme, terreau qui a permis l’occultation des abus : « Chaque fois que nous cherchons à supplanter, réduire au silence, ignorer ou réduire à de petites élites le peuple de Dieu dans sa totalité et dans ses différences, nous construisons des communautés, des plans pastoraux, … des spiritualités et des structures sans racines, sans histoire, sans visage, sans mémoire, sans corps et en définitive, sans vie. Nous déraciner de la vie du peuple de Dieu nous précipite dans la désolation et dans la perversion de la nature ecclésiale… au sein du peuple de Dieu, il n’existe pas de chrétiens de première, seconde ou troisième classe. »
Il invite à « la lutte contre une culture de l’abus » : « La culture de l’abus et de la couverture est incompatible avec la logique de l’Evangile…  Disons-le clairement : tous les moyens qui attentent à la liberté et à l’intégrité des personnes sont anti-évangéliques. » Il s’agit désormais, insiste le pape, de promouvoir « une transformation ecclésiale qui nous implique tous », de « regarder le présent sans fuite mais avec courage, avec courage mais avec sagesse, avec ténacité mais sans violence, avec passion mais sans fanatisme, avec constance mais sans angoisse ». Le pape encourage à « changer tout ce qui met aujourd’hui en danger l’intégrité et la dignité de toute personne ; … affronter les problèmes sans rester piégés en eux, ni, ce qui serait pire, répéter les mécanismes que nous voulons éliminer ».
Le cri des victimes est arrivé au ciel
« Tout le processus de révision et de purification que nous sommes en train de vivre est possible grâce à l’effort et à la persévérance de personnes concrètes, qui contre toute espérance et discrédit, ne se sont pas lassées de chercher la vérité« , écrit le pape qui rend hommage « aux victimes des abus sexuels, de pouvoir et d’autorité et à ceux qui les ont crues et accompagnées. Victimes dont le cri est arrivé au ciel ». Il salue « leur courage et leur persévérance ».
« Je crois que réside là l’un de nos principaux manques et omissions, déplore-t-il : ne pas avoir su écouter les victimes. Ainsi se sont construites des conclusions partielles auxquelles il manquait des éléments cruciaux pour un discernement sain et clair. Avec honte, je dois dire que nous n’avons pas su écouter et agir à temps. (…) Comme Eglise, nous ne pouvons pas poursuivre le chemin en ignorant la douleur de nos frères. »
Désormais, poursuit le pape, « c’est le temps de l’écoute et du discernement pour arriver aux racines qui ont permis que de telles atrocités se produisent et se perpétuent, et ainsi de trouver des solutions au scandale des abus… avec tous les moyens nécessaires pour pouvoir assumer le problème dans sa complexité ». « La meilleure parole que nous puissions dire face à la souffrance causée est l’engagement pour une conversion personnelle, communautaire et sociale qui apprenne à écouter et à protéger spécialement les plus vulnérables », estime-t-il.
Le “jamais plus” à la culture de l’abus
Le pape François exhorte alors à dire un “jamais plus” « à la culture de l’abus et au système de couverture qui lui permet de se perpétuer » : cela exige « le travail de tous pour générer une culture de la protection qui engage nos modes de relations, de prier, de penser, de vivre l’autorité, nos coutumes et langages et notre relation avec le pouvoir et l’argent » et finalement « une nouvelle mentalité ».
Il demande à « tous les chrétiens, et spécialement aux responsables des centres éducatifs… centres de santé, instituts de formation et universités d’unir les efforts dans les diocèses et avec toute la société civile pour promouvoir lucidement et stratégiquement une culture de la protection ». Il invite aussi « tous les centre de formation religieuse, les facultés théologiques… les séminaires, les maisons de formation… à promouvoir une réflexion théologique qui soit capable d’être à la hauteur du temps présent, de promouvoir une foi mature, adulte, qui assume l’humus vital du peuple de Dieu avec ses recherches et ses demandes ».
« Nous serons féconds dans la mesure où nous développerons des communautés ouvertes… qui se libéreront des pensées fermées et autoréférentielles pleines de promesses et de mirages qui promettent vie mais qui en définitive favorisent la culture de l’abus », assure-t-il.
Ne pas dissimuler, cacher ni couvrir nos plaies
Encore une fois, le pape encourage à « ne pas dissimuler, cacher ni couvrir nos plaies » : « Une Eglise blessée est capable de comprendre et de s’émouvoir pour les plaies du monde d’aujourd’hui, de les faire siennes, d’en souffrir et de les accompagner, et d’agir pour les soigner. Une Eglise avec des plaies ne se met pas au centre, ne se croit pas parfaite, ne cherche pas à couvrir ou à dissimuler son mal, mais donne le seul qui peut soigner les blessures … Jésus Christ ».
En conclusion, le pape François appelle de ses vœux « une culture qui face au péché génère une dynamique de repentir, miséricorde et pardon. Et face au délit, la dénonciation, le jugement et la sanction ».
Cette lettre intervient dans le cadre du travail de vérité entrepris avec l’enquête de l’envoyé spécial du pape, Mgr Charles J. Scicluna, président du Collège spécial d’appel dans les cas d’abus sexuels sur mineurs de la part de clercs – au sein de la Congrégation pour la doctrine de la foi – sur le cas de Mgr Juan de la Cruz Barros Madrid, évêque d’Osorno, accusé par des laïcs de son diocèse d’avoir été au courant des abus sexuels commis par son ancien mentor, le p. Fernando Karadima.
Dans un premier temps, lors de son récent voyage au Chili et au Pérou (16-21 janvier), le pape avait défendu Mgr Barros. Reconnaissant, au terme de l’enquête, « de graves erreurs dans l’évaluation et la perception de la situation, notamment en raison d’un manque d’information véridique et équilibrée », le pape a demandé pardon, a reçu trois victimes d’abus le 25 avril, et a convoqué les évêques. Ces derniers ont participé à trois journées de réflexion au Vatican, au termes desquelles ils ont remis au pape leur démission, pour signifier leur volonté de remédier au système qui a permis l’occultation des abus.

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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