« Changer le monde n’est pas l’emportement d’un moment ou d’une saison passagère, mais une passion constante fondée sur la prière », a déclaré Valérie Régnier, présidente de la Communauté de Sant’Egidio en France.
Pour les 50 ans de Sant’Egido, Valérie Régnier a accordé une interview à Zenit, évoquant les débuts de cette communauté de laïcs née après le Concile Vatican II, les rencontres des religions pour la paix à Assise – dont la première a été voulue par le pape Jean-Paul II – le travail concret sur le terrain ainsi que le message du pape François à Sant’Egidio.
En s’adressant aux membres de la communauté, le 4 mars 2018, le pape François a dit : « Vous êtes la communauté des 3 P : la Prière, les Pauvres et la Paix ». « Cela signifie, a expliqué la présidente, prier et aimer les pauvres, ce qui nous conduit à construire la paix autant que possible. »
Valérie Régnier a aussi parlé de l’initiative des « couloirs humanitaires » mis en place avec les protestants et le soutien du gouvernement en Italie et – depuis 2017 – aussi en France. « La Méditerranée, a souligné la présidente, peut redevenir la mer qui unit Nord et Sud et non plus la frontière sur laquelle se brise l’espérance de la jeunesse du monde. »
MD
Zenit – Quel anniversaire Sant’Egidio va fêter autour de Mgr Aupetit ?
Valérie Régnier – Nous ne vivons pas les 50 ans de Sant’Egido comme une commémoration du passé, mais comme un anniversaire tourné vers le futur, un futur de paix. Le futur est de moins en moins regardé avec espérance : il y a une grande résignation qui s’installe face notamment à la montée de la violence internationale, mais aussi à l’intérieur de notre société, la violence de la solitude (par exemple celle des personnes âgées), le racisme, la peur de l’autre et le nationalisme dont on voit l’expression partout en Europe… Face au futur, il y a trop de résignation. Au contraire, nos 50 années dessinent un héritage de paix pour le futur : nos communautés qui prient, servent les pauvres et tissent des ponts dans la société vivent concrètement cette espérance. Il est possible, partout, pour tout le monde, de tisser des liens qui deviennent culture pour un peuple sans frontière de croyance ou d’appartenance.
Pouvez-vous raconter un peu ces débuts qui contrastent avec le « mai 68 » des barricades ?
Valérie Régnier – La Communauté de Sant’Egidio est née à Rome en 1968, au lendemain du Concile Vatican II à l’initiative d’un lycéen de 18 ans, Andrea Riccardi, avec quelques amis qui voulaient changer le monde et construire la paix en s’appuyant sur l’Évangile. Les premiers pas de la Communauté dans les « borgates » (bidonvilles) romains se sont depuis propagés dans plus de 70 pays des divers continents et la paix est arrivée en bien des lieux grâce à la présence et à la médiation de la Communauté, comme au Mozambique en 1992. Sant’Egidio est donc fille de 68 et de ce rêve de changer le monde qui caractérisait le mouvement. Et Sant’Egidio est en même temps fille du concile qui dans ses conclusions rappelait que « L’Église est celle de tous et plus particulièrement des pauvres ». Lors de sa visite à la Communauté à Rome le 11 mars dernier dans la basilique Santa Maria in Trastevere à Rome, et sur ce chemin, le 11 mars dernier, le pape François nous a encouragés à poursuivre sur ce chemin par lequel a-t-il dit : « vous aidez à faire croître la compassion dans le cœur de la société — qui est la véritable révolution, celle de la compassion et de la tendresse, celle qui naît du cœur —, à faire croître l’amitié au lieu des spectres de l’inimitié et de l’indifférence ».
« Assise » semble avoir apporté un tournant dans vos engagements ?
Valérie Régnier – La rencontre d’Assise voulue par le pape Jean-Paul II le 27 octobre 1986 a été un acte prophétique et une vision de paix pour un monde alors profondément divisé par la guerre froide. Sant’Egidio qui était associé à cette première rencontre notamment auprès de la délégation musulmane a ressenti très fort l’importance de cet événement et la nécessité de répondre à l’appel du pape de poursuivre ce chemin de dialogue, de prière et d’amitié entre hommes et femmes de religions différentes. Au fil de nos rencontres (la prochaine aura lieu en octobre 2018 à Bologne), l’esprit d’Assise s’est renforcé et constitue une grande ressource d’humanité et de paix dans le monde devenu multipolaire et fragmenté. Vraiment la rencontre d’Asise était une prophétie de paix pour le XXIe siècle. La présence de nombreux représentants œcuménique lors de la Liturgie anniversaire de ce soir à Paris est une grande joie.
Et puis avec les religions pour la paix il y a aussi le travail de terrain, une diplomatie de la paix…
Valérie Régnier – Les initiatives de recherche de paix et de réconciliation sont en effet les aspects peut-être les plus connus de Sant’Egidio, ceux-là même dont les mass medias, parlent. Nous travaillons actuellement pour la recherche de la paix dans plusieurs situations concrètes comme par exemple en République Centrafricaine suite à la signature de la Plateforme de Rome en juin 2016 au siège de Sant’Egidio. Le travail pour la Paix est un travail patient, « géologique », qui repose sur la diffusion d’une culture de la paix et de la solidarité à tous les niveaux de chaque société.
Sant’Egidio a aussi été à l’écoute des nouveaux défis, comme la crise humanitaire des migrations ?
Valérie Régnier – C’est dans le contexte dramatique des “voyages de la mort” conduisant des milliers de réfugiés à perdre la vie en Méditerranée et en démonstration d’une alternative possible, sûre et soutenable que Sant’Egidio a proposée et lancé le 15 décembre 2015 le projet pilote des “couloirs humanitaires” en Italie.
En France, nous avons signé un accord le 14 mars 2017 à l’Élysée entre le ministère de l’Intérieur, le ministère des Affaires étrangères et la Communauté de Sant’Egidio, la Fédération protestante de France, la Fédération de l’Entraide Protestante, la Conférence des évêques de France et le Secours catholique – Caritas France. Ce protocole prévoit les conditions d’identification, d’accueil, d’intégration et d’inclusion en France de 500 personnes avec une priorité aux personnes les plus vulnérables.
Depuis le 5 juillet 2017, 130 migrants sont arrivés progressivement depuis Beyrouth et ont rejoint des collectifs d’accueil partout en France. Plusieurs familles seront présentes ce soir pour l’anniversaire de Sant’Egidio. Comme l’a dit Mickaël, un jeune syrien arrivé en février avec sa famille : « merci de m’avoir redonné un futur ». Les couloirs humanitaires sont une bonne illustration qu’il y a un futur de paix et que tout peut changer ! La Méditerranée peut redevenir la mer qui unit Nord et Sud et non plus la frontière sur laquelle se brise l’espérance de la jeunesse du monde.
Aujourd’hui, les couloirs humanitaires ont également été ouverts en Belgique et en Andorre.
Cet engagement multiforme se fonde sur une spiritualité forte : comment Sant’Egidio prie ?
En effet, changer le monde n’est pas l’emportement d’un moment ou d’une saison passagère, mais une passion constante fondée sur la prière. Le premier changement se produit dans son propre cœur. « La véritable révolution créatrice naît de la transformation du cœur », disait Olivier Clément. Notre passion est d’abord une passion religieuse, une passion pour la Parole de Dieu dont la lecture accompagne la vie de toutes les communautés à Rome et dans le monde et en constitue un élément essentiel. Elle a lieu le soir, au cœur de la ville, après le travail et réunit les membres de la Communauté qui sont tous des laïcs.
Depuis plusieurs années, dans les Communautés de Sant’Egidio partout dans le monde, une importance particulière est donnée à la Prière pour les malades et à la Prière pour la paix, chaque mois. L’expérience de la proximité avec les pauvres, avec les faibles, avec l’océan de souffrance qui pèse sur la vie d’un grand nombre de personnes ne peut nous laisser indifférents. Et l’écoute de la Parole de Dieu nous offre une lumière.
Dans ces deux prières mensuelles, nous présentons tous ces malades au Seigneur par leur nom. Pour cela, on collecte les billets portant les noms inscrits des malades qui seront déposés devant l’autel. Pendant la prière pour la paix, les pays en guerre sont nommés un par un et pour chacun d’eux un cierge est allumé devant l’autel, pour les présenter ainsi au Seigneur. Nous savons qu’il écoute cette prière et qu’il l’exauce. C’est une pratique ancienne de l’Église qui doit être redécouverte aujourd’hui et surtout vécue avec une plus grande générosité et conviction. La prière pour les malades et la prière pour la paix sont le fruit de cette charité qui ne connaît pas de frontières et de cette foi convaincue que « rien n’est impossible à Dieu »
Quel est le principal message du pape François à Sant’Egidio ?
Le 4 mars 2018, à l’occasion des 50 ans de la communauté, le pape François est venu nous voir et nous a dit « Vous êtes la communauté des 3 P : la Prière, les Pauvres et la Paix ». Cela signifie prier et aimer les pauvres, ce qui nous conduit à construire la paix autant que possible. Le pape François nous a rappelé que « l’audace n’est pas le courage d’un jour, mais la patience d’une mission quotidienne.
Visite à Santa Maria in Trastevere, Sant'Egidio, capture Vatican Media
Sant'Egidio : changer le monde est une passion constante fondée sur la prière
Entretien avec la présidente de la Communauté de France