« En Chine aussi, Dieu est déjà présent et actif dans la culture et la vie du peuple chinois », a affirmé Mgr Paul Richard Gallagher. Pour éviter les deux dangers du « prosélytisme » et d’une « présentation abstraite de la foi », il a invité à « discerner un horizon encore plus grand dans la mission “ad gentes”, à savoir l’horizon radical de la primauté de la grâce de Dieu qui précède l’action humaine et anime l’histoire des peuples de l’intérieur ».
Le secrétaire pour les Relations avec les États a prononcé le discours d’ouverture des travaux à la Conférence internationale intitulée « Christianisme en Chine. Impact, interaction et inculturation », organisée à Rome à la Faculté de missiologie de l’Université pontificale grégorienne, les 22 et 23 mars 2018.
Mgr Gallagher a proposé à ses auditeurs un « défi intellectuel et pastoral » : celui de faire interagir entre eux les principes de la « sinisation » et de l’ « inculturation », qui « indiquent deux visions réelles du monde », afin « d’élaborer les coordonnées d’une authentique présence chrétienne en Chine ». « L’universalité de l’Église catholique, a-t-il conclu, peut apporter une contribution en termes d’inspiration morale et spirituelle au grand effort de dialogue entre la Chine et le monde contemporain ».
Voici notre traduction du discours de Mgr Gallagher.
HG
Discours de Mgr Paul Richard Gallagher.
Éminences, Excellences,
Père Recteur,
Mesdames et Messieurs les membres du Corps diplomatique,
Chers professeurs et étudiants,
Mesdames et Messieurs,
C’est avec grand plaisir que j’ai accepté l’invitation que m’ont adressée le p. Nuno da Silva Gonçalves, S.J., recteur de l’Université grégorienne, et le p. Milan Zust, doyen de la Faculté de missiologie, à m’adresser à vous au début de ce symposium, au cours duquel différents experts et savants réfléchiront sur le thème « Le christianisme dans la société chinoise : Impact, interaction et inculturation ».
Sans chercher à entrer dans les détails des différents sujets qui seront traités avec compétence par les conférenciers, j’aimerais présenter quelques considérations qui pourront, je crois, aider dans le contexte actuel, où la Chine prend sa place d’une manière stable et influente dans le réseau des relations internationales, avec sa vision originale du monde et son héritage inestimable de culture et de civilisation
Je commencerai par une observation. Au niveau international, aujourd’hui plus que jamais, la Chine continentale est au centre de l’intérêt politique, économique et culturel. La Chine se voit comme un carrefour de développement, grâce des projets aussi importants que la Nouvelle Route de la Soie (« One belt, one road »). En politique étrangère, elle adopte clairement une nouvelle approche des équilibres existants dans les relations internationales et consolide aussi sa présence dans les pays en voie de développement. En politique intérieure, la Chine encourage des programmes à long terme visant à donner à un nombre considérable de citoyens la possibilité de surmonter la pauvreté. En même temps, le système culturel chinois est engagé dans une forte dynamique dans les domaines de la recherche scientifique et technologique.
Il faut aussi noter que la Chine s’attaque au défi mondial en insistant sur sa propre identité avec des modèles économiques, politiques et culturels qui cherchent à donner des « caractéristiques chinoises » à la mondialisation. Ainsi, l’Empire du Milieu cherche à retrouver une position centrale dans le monde, conformément à ce qui était déjà la manière de voir de Matteo Ricci quand il dressait une carte géographique complète de tous les pays du monde pour les Chinois. Ce fut la première grande carte du monde en langue chinoise ; sa sixième édition fut commandée par l’empereur lui-même en 1608. Dans ce contexte, et aussi au niveau religieux, le mot clé qui est constamment répété et mis en avant pour la considération générale est le terme « sinisation ».
Étant donné que nous sommes ici à l’Université pontificale grégorienne, j’aimerais mentionner une autre considération. En ce lieu, il est naturel de rappeler, avec une profonde admiration, l’extraordinaire contribution qu’ont apportée de nombreux jésuites, au cours des siècles, à la redécouverte de la culture chinoise, nous permettant ainsi d’avancer, de l’impact initial avec un monde qui est si éloigné à une rencontre avec le patrimoine scientifique, technique, philosophique et moral de l’Ouest. Ce fut une extraordinaire aventure humaine et ecclésiale, poussée par un esprit profondément missionnaire qui a inspiré de nombreux membres de la Société de Jésus, ainsi que d’autres ordres religieux, à partir pour le continent asiatique et en particulier la Chine.
À cet égard, lorsqu’il rencontra les jésuites de la Civiltà cattolica le 9 février 2017, le pape François les encouragea ainsi : « Restez en haute mer ! Un catholique ne devrait pas avoir peur de la haute mer, il ne devrait pas chercher refuge dans les ports sécurisés… Le Seigneur nous appelle à nous engager dans la mission… Lorsque nous avançons en eau profonde, nous rencontrons des tempêtes et il peut y avoir un vent contraire. Pourtant, le saint voyage se fait toujours en compagnie de Jésus qui a dit à ses disciples : « Courage, c’est moi, n’ayez pas peur ! » (Mt 14,27).[1] À cette occasion, le pape a aussi présenté trois qualités qui nous permettent de rester en haute mer : « l’inquiétude », sans laquelle « nous sommes stériles », « l’incomplétude » qui nous rappelle que « Dieu est le Dieu toujours plus grand, le Dieu qui nous surprend toujours », « l’imagination » qui nous rend capables de pratiquer sans rigidité le discernement des signes et des choses qui se produisent.[2] À ce point, j’aimerais me référer à la dynamique du discernement en lien avec la tâche d’évangélisation. Le discernement nous permet non seulement d’acquérir une compréhension toujours plus profonde de la Parole de Dieu mais aussi de le proclamer, tout en évitant en même temps deux dangers plutôt communs. Le premier est le prosélytisme, qui mesure le succès d’une mission en termes de nombres plutôt que par la qualité du choix de celui qui entre en contact avec l’expérience chrétienne. Le second danger est celui d’une proclamation abstraite de la foi, qui ne tient pas compte de la nature sociale et culturelle complexe des contextes humains auxquels le message de l’Évangile est adressé.
Ces deux attitudes abîment simplement la surface d’une tâche authentiquement missionnaire, parce qu’elles ne peuvent pas saisir les coordonnées spatio-temporelles qui font qu’une inculturation fructueuse de la foi est possible. Cependant, il devrait être possible de discerner un horizon encore plus grand dans la mission « ad gentes », à savoir l’horizon radical de la primauté de la grâce de Dieu qui précède l’action humaine et anime l’histoire des peuples de l’intérieur. En Chine aussi, Dieu est déjà présent et actif dans la culture et la vie du peuple chinois.
Comme l’a très bien exprimé le père Federico Lombardi, S.J., lors d’une intervention récente, « la communauté catholique est née, grandit et apporte sa contribution dans le contexte chinois non pas à cause d’un lien extérieur et étranger mais comme le fruit de la semence de l’Évangile qui a été planté dans la terre et la culture de la Chine et qui se développe d’une manière qui correspond à son “identité génétique” ». Ainsi, la semence produit son fruit en tirant sa subsistance et en assumant des caractéristiques propres à la culture locale dans laquelle elle a été plantée. C’est en quelque sorte ce qui se produit avec de nombreuses plantes qui produisent un fruit que nous mangeons tous les jours et que nous considérons nôtres depuis des siècles alors qu’en réalité, ils ont été introduits dans nos pays dans le passé et venant de très loin.
À la lumière de ces brèves considérations, il semble clair que la mission de l’Église en Chine aujourd’hui est d’être « pleinement catholique et authentiquement chinoise », rendant l’Évangile de Jésus disponible pour tous et le mettant au service du bien commun. En outre, avec le temps, les relations entre la Chine et l’Église catholique ont traversé des phases différentes, alternant entre des moments de coopération fructueuse et d’autres de grandes incompréhensions et hostilités, menant parfois à des situations où la communauté des fidèles a fait l’expérience de grandes souffrances.
En regardant bien les choses, toutefois, la méthode qui a permis dans le passé une rencontre fructueuse entre le « monde chrétien » et le « monde chinois » fut celle de l’inculturation de la foi à travers l’expérience concrète de la connaissance, la culture artistique et l’amitié avec le peuple chinois. À cet égard, est encore exemplaire l’entreprise de missionnaires tels qu’Alessandro Valignano, Matteo Ricci, Giuseppe Castiglione et bien d’autres, qui souhaitaient ouvrir la foi à un catholicisme aux « formes chinoises », solidement fondé dans le cœur même de l’Empire du Milieu afin de proclamer l’Évangile de Jésus-Christ dans une perspective pleinement chinoise.
Ainsi, lorsque nous considérons la mission et la réflexion théologique, deux expressions ou, plus précisément, deux principes se démarquent, qui devraient interagir l’un avec l’autre, à savoir « sinisation » et « inculturation ». Je suis convaincu qu’un important défi intellectuel et pastoral émerge d’une manière presque naturelle lorsqu’on met ensemble ces deux termes, qui indiquent deux visions réelles du monde. De ces deux visions, il devrait être possible d’élaborer les coordonnées d’une authentique présence chrétienne en Chine, qui présenterait la nature spéciale et la nouveauté de l’Évangile dans un contexte profondément enraciné dans l’identité spécifique de la culture séculaire chinoise. Dans son traité sur l’amitié, le p. Matteo Ricci déclarait : « Avant de s’engager dans l’amitié, il faut observer ; après s’être engagé, il faut faire confiance ».”[3]
Père Recteur, Éminentes Autorités, Mesdames et Messieurs, l’universalité de l’Église catholique, avec son ouverture naturelle à tous les peuples, peut apporter une contribution en termes d’inspiration morale et spirituelle au grand effort de dialogue entre la Chine et le monde contemporain, le faisant précisément à travers la communauté catholique chinoise qui est pleinement intégrée dan le dynamisme historique et actuel du pays de Confucius. Souhaitant tout le succès à la présente initiative visant à promouvoir le dialogue et la rencontre, je suis certain que les intervenants et les experts qui auront l’occasion de dialoguer les uns avec les autres pendant ce symposium seront capables d’identifier et d’évaluer les meilleures approches afin de garantir que l’amitié entre les monde chrétiens et chinois produira des fruits authentiques de compréhension mutuelle et de fraternité.
Merci pour votre attention.
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[1] Pape François, Discours à la Communauté de La Civiltà Cattolica, Salle du Consistoire, Palais apostolique du Vatican, 9 février 2017.
[2] Ibid.
[3] Matteo Ricci, S.J., De l’amitié, 7.[8].
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat