Pour Mgr Dario Edoardo Viganò, « le cinéma peut devenir un instrument d’évangélisation, non pas de prosélytisme, mais une occasion de laisser dans le cœur des gens la saine inquiétude de la recherche de sens, de la présence des autres et de l’Autre ». C’est ce que souligne le préfet du Secrétariat pour la communication dans cette interview accordée à ZENIT.
Mgr Viganò est actuellement à Mexico pour participer aux célébrations du vingtième anniversaire de la chaire d’Art sacré de l’Université Monterreu (13 février 2018), sur le thème : « Images en mouvement dans l’art sacré ». Il y délivrera trois conférences sur les thèmes suivants : « Chercher Dieu dans les plis du visible », « Le visage de Jésus au cinéma : histoire, récits de modèles, questions intersémiotiques » et « L’art sacré au cinéma : nouveau langage et méthodes inédites pour raconter des histoires dans des documentaires au centre de la production audiovisuelle du Saint-Siège ».
ZENIT – La Chaire d’art sacré de l’Université de Monterrey, au Mexique, a décidé de consacrer les célébrations de son vingtième anniversaire au septième art, le cinéma, un art qui n’a derrière lui qu’une très brève histoire. Dans l’imagination collective, les grands chefs-d’œuvre de l’art sacré sont ceux de la peinture, de la sculpture. À votre avis, comment expliquer ce choix ?
Je dois vous confesser que cela a été aussi pour moi une heureuse surprise d’être invité à donner une conférence sur le cinéma à une Chaire universitaire si prestigieuse, qui a déjà dépassé l’âge adulte (cette année sera la vingtième édition). Je ne pense pas que le choix du septième art nécessite beaucoup d’explications : le cinéma est universellement reconnu comme un code artistique et il est ouvert à toutes les innovations technologiques qui ont été offertes dans le temps. C’est un art dynamique, projeté vers l’avenir, qui implique tous les âges, des enfants aux adultes ; il captures les émotions, il raconte des histoires tirées de notre vie et, surtout, c’est une fabrique de rêves. Parler de rêves ne signifie pas faire référence à la partie supérieure de l’existence, à l’éphémère, mais plutôt à cette partie en nous qui est toujours prête à recevoir des nouveautés et des projets, à être émue, à combiner sentiments et rationalité. Le cinéma a tout cela et le fait… avec art.
À votre avis, quels sont les chefs-d’œuvre, sur le sujet du sacré, que le cinéma a produits ? Quels sont les premiers films qui viennent à l’esprit ?
Pour moi qui suis un amoureux du cinéma, c’est une question très difficile. En exagérant un peu la comparaison, ce serait comme de demander à un père ou une mère lequel de ses enfants il préfère, lequel est le plus beau, lequel a les plus grandes qualités. Pour moi, puisque je dois vous répondre, je ne peux que mentionner « L’Évangile selon saint Matthieu » de Pier Paolo Pasolini, un événement majeur dans l’histoire du cinéma qui traite du texte biblique et le sujet du sacré ; « Journal d’un curé de campagne » de Robert Bresson, « Le dialogue des carmélites » de Raymond Leopold Bruckberger et Philippe Agostini, « Le septième sceau » d’Ingmar Bergman, « Au hasard Balthazar » de Robert Bresson. J’en ajoute un plus récent (1994) : « Before the rain » de Milcho Manchevski. Je m’arrêterai ici, parce que la liste risque d’être trop longue et de perdre en efficacité.
Pourtant, au cinéma en général et parmi ses personnalités, on pense aussi aux directeurs et acteurs connus et à leur vie de célébrité, à la richesse, au succès… y a-t-il une sensibilité pour le sacré et pour la recherche du sacré ? Pour beaucoup, il semble que dans ce monde, l’éphémère soit ce qu’il y a de plus important.
Je suis heureux que vous me posiez cette question parce que cela me permet de dissiper un mythe commun et de mettre en lumière la figure des acteurs et des directeurs que l’imagination collective situe dans un « non lieu » où ils passent leur vie entre un succès et un autre, tout en attendant de travailler sur le prochain film qui leur est proposé. Exactement comme on peut trouver partout et parmi toutes les catégories de personnes des excès et des dégradations, ainsi en est-il aussi dans le monde du cinéma. Toutefois cela ne signifie pas qu’ils sont tous comme cela. Des acteurs, des actrices, des directeurs sont des personnes qui doivent faire face à la vie comme nous le faisons tous, avec ses problèmes et ses difficultés, ils sont confrontés à la tâche de former une famille, ils ont des enfants et comme le commun des mortels ils doivent faire face à la réalité. De plus, ils ne passent pas la plus grande partie de leur temps sur un tournage, mais dans la réalité de tous les jours. Ajouté à cela, il y a aussi les questions de vie importante, des questions qui tourmentent chacun de nous : quel est le sens de l’existence, pourquoi être né, vivre et mourir, l’existence de Dieu et son absence dans notre histoire, tout cela existe dans l’esprit et le cœur des protagonistes du cinéma. Je vais vous faire une confidence : je suis très lié à Wim Wenders, le directeur de l’inoubliable « Les ailes du désir ». Je peux vous garantir que les sujets que j’ai énumérés auparavant reviennent dans la profession et dans la vie quotidienne de Wim, et nous en avons souvent parlé (la dernière fois, dans un débat public au Festival de Cannes 2017).
Sur le thème du sacré, quels sont les « sujets » et « histoires » qui ont la plus grande faveur du public ? Le cinéma peut-il vraiment être un moyen d’évangélisation ?
À la première question, je me permets de répondre que les récits, les histoires devraient avoir aussi une composante de fascination, une structure narrative pédagogique, éducationelle et formative. Cela me permet de souligner qu’il ne suffit pas que dans un film le nom de Dieu, de Jésus ou d’un saint soit répété plusieurs fois, pour dire que le sujet du sacré a été sérieusement traité. Le cinéma ne doit pas expliquer mais plutôt évoquer, pousser à la réflexion, stimuler et aller au-delà de ce qui est vu, au-delà de la représentation. J’ajoute donc qu’il est aussi nécessaire de proposer au public des produits qui forment à une certaine manière de regarder un film, à éduquer la qualité du regard du spectateur.
Nous en venons maintenant à la seconde question. Si les sujets religieux sont traités, le cinéma peut devenir un instrument d’évangélisation, non pas de prosélytisme, mais une occasion de laisser dans le cœur des gens la saine inquiétude de la recherche de sens, de la présence des autres et de l’Autre. Sur ce terrain, les chemins des croyants et des non-croyants se rencontrent, parce que c’est le cœur de l’homme – comme le dit saint Augustin – qui est sans repos. Je conclu en rappelant une expression du pape Pie XI (1022-1939) dans son encyclique Vigilanti Cura : « D’un autre côté, il n’existe pas aujourd’hui de moyen plus puissant que le cinéma pour exercer une influence sur les multitudes, que ce soit pour la nature même des images projetées sur l’écran ou que ce soit à cause de la popularité du spectacle cinématographique ; Enfin, à cause des circonstances qui l’accompagnent. Le pouvoir du cinéma repose dans le fait qu’il parle par les images ».
Parmi vos interventions prévues à Monterrey, il y en a une sur « Le visage de Jésus au cinéma ». Le figure de Jésus est certainement extrêmement complexe à raconter dans un langage comme celui du cinéma. Pourquoi ce challenge a-t-il fasciné tant de producteurs et d’acteurs ? Et peut-on affirmer que tous ont réussi à capturer l’essence de Jésus ?
La raison de la fascination vient de sa capacité de représentation. Jésus incarne la personne humaine par excellence, une référence indispensable quand on raisonne sur l’humain. Comme si l’on disait : un vrai homme devrait être comme cela, avec ce regard qui vous scrute jusqu’aux plis les plus cachés de votre existence, qui prend soin de l’autre, le rétablit dans sa dignité, le reconnaît comme une personne. Figurer une personnalité de cette sorte est immédiatement transformé en un défi pour les réalisateurs et pour les acteurs et, comme l’a écrit François Mauriac dans sa « Lettre à Jésus » : « … et quand, quelques semaines plus tard, Jésus est enlevé du groupe de ses disciples, s’élève et est dissous dans la lumière, ce n’est pas un départ définitif. Il est déjà caché, au tournant de la route qui va de Jérusalem à Damas, et épie Saul, son persécuteur bien-aimé. Par conséquent, dans la destinée de tout homme, il y aura ce Dieu tapi, » et aussi au cinéma.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat