José Tolentino de Mendonça © Wikimedia commons / iVangelho

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"Étudier la Torah, c’est participer à l’action créatrice", explique le p. de Mendonça dans L’Osservatore Romano

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Il prêchera la retraite de carême au Vatican

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« Étudier la Torah, c’est participer à l’action créatrice », explique le p. de Mendonça dans L’Osservatore Romano en italien.

Dans son livre « La lettura infinita. La Bibbia e la sua interpretazione », parue en italien en 2017 aux éditions San Paolo, le p. José Tolentino de Mendonça revisite « les différentes approches de la tradition juive et de la tradition chrétienne à partir des Pères, en pénétrant les différents aspects herméneutiques et les déplacements interprétatifs qui y sont liés, avec une légèreté telle qu’elle entraîne sans aucunement appesantir le lecteur, faisant prévaloir à chaque page l’inspiration littéraire et poétique », explique L’Osservatore Romano.

Le père José Tolentino de Mendonça est un théologien et poète portugais. Il prêchera la retraite de Carême au pape François et à la Curie du 18 au 23 février 2018 à Ariccia, sur le thème : Éloge de la soif. Vice-recteur de l’université catholique de Lisbonne, il est aussi consulteur du Conseil pontifical de la culture.

Il a publié en français, aux Editions des Béatitudes: « Le temps et la promesse. Pour une spiritualité de l’instant présent ».
Antonella Lumini présente l’ouvrage dans un article publié dans L’Osservatore Romano du 2 janvier 2018, intitulé: « José Tolentino Mendonça et l’interprétation de l’Écriture. Lecture infinie ».
Elle souligne combien « malgré l’évident arrière-plan culturel et les supports systématiques qui illustrent son discours » l’auteur « ne se situe pas dans l’optique du critère scientifique ». Il « cherche à conduire à l’intérieur de ce “rêve” infini et toujours actuel que la Bible continue de susciter en résonnant dans l’intime de celui qui l’approche ».

Voici notre traduction de l’article paru dans L’Osservatore Romano en italien du 2 janvier 2018.

HG

José Tolentino Mendonça et l’interprétation de l’Écriture. Lecture infinie.

L’herméneutique rabbinique se caractérise par une vision dynamique de l’Écriture, ouverte à d’inépuisables possibilités d’interprétation. Si la potentialité de la parole créatrice est infinie et toujours actuelle, infinies sont les perspectives capables de faire se refléter les fragments d’un mystère qui se révèle et se dévoile constamment. Dans la tradition juive, la Torah n’est pas seulement l’ensemble des livres du Pentateuque, mais l’architecture subtile qui gouverne le plan de la manifestation. Comme l’affirme le rabbin Adin Steinsaltz : « Dieu examina la Torah et fit le monde en conformité avec elle. Il veut ainsi indiquer que la Torah constitue le modèle original, ou le schéma interne du monde ». Étudier la Torah, c’est participer à l’action créatrice qui ne s’épuise jamais parce que la parole divine est irradiante et toujours source de nouvelles inspirations et actions. C’est précisément dans cette ligne que se situe le dernier livre de José Tolentino Mendonça, « La lettura infinita. La Bibbia e la sua interpretazione » (Cinisello Balsamo, San Paolo, 2017, 190 pages) qui exhorte en affirmant comment les commentateurs juifs étaient convaincus que « pour chaque passage de la Torah existaient quarante-neuf possibilités d’interprétation.

Quarante-neuf c’est le résultat de la multiplication de sept par sept, et sept c’est le symbole de l’infini ». Tolentino re-parcourt la complexe stratification qui s’est produite au long des siècles autour du texte biblique, en en re-visitant les différentes approches de la tradition juive et de la tradition chrétienne à partir des Pères, en pénétrant les différents aspects herméneutiques et les déplacements interprétatifs qui y sont liés, avec une légèreté telle qu’elle entraîne sans aucunement appesantir le lecteur, faisant prévaloir à chaque page l’inspiration littéraire et poétique. Malgré l’évident arrière-plan culturel et les supports systématiques qui illustrent son discours, il ne se situe pas dans l’optique du critère scientifique, mais au contraire cherche à conduire à l’intérieur de ce « rêve » infini et toujours actuel que la Bible continue de susciter en résonnant dans l’intime de celui qui l’approche.

Citant Grégoire le Grand, il assume sa fameuse affirmation : « Divina eloquia cum legente crescunt », répétant que « le processus de la révélation n’est pas encore terminé et se poursuit avec chaque lecteur ». La Parole « doit annoncer sans rendre compte, elle doit rendre compte sans décrire. La Parole est quelque chose qui se fonde aussi sur l’inconnu », cache et révèle en même temps. Révéler signifie en effet enlever le voile, mais aussi voiler de nouveau. À travers un jeu infini de reflets, filtrent des lueurs lumineuses, s’ouvrent des passages inaccessibles qui, lentement, révélant l’humanité à elle-même, dévoilent le mystère divin, parce que « le visible n’est que la marge discrète qui nous suggère l’invisible, l’inconnu, l’indicible ».

Traversant le temps et l’espace, le texte biblique ne cesse d’exercer son potentiel créateur, il fait comprendre que la création est en acte dans la mesure où la Parole divine crée toujours. L’approche de l’Écriture produit une telle résonnance qui investit toutes les sphères, assumant d’infinies possibilités de langage : « vibration polyphonique, “work in progress” et révélation ». S’incarnant, transformant l’humanité, elle harmonise la langue de la terre avec celle du ciel. « La Bible n’est pas un dépôt de concepts (…), elle explore l’intensité », elle produit une mise au point de significations qui vont se disséminer à tous les niveaux de la vie, de la pensée, de la création, constituant ce terrain fertile qui a permis la grande floraison des arts, de la philosophie, de la théologie et de toutes les autres réalités en investissant en premier lieu les actions de tous les jours. Le sublime, qui produit l’expansion et dilate, est « perçu dans un réalisme de vie commune, inséparable de l’ordinaire et du quotidien ».

C’est donc à l’intérieur de ce rapport croissant entre cacher et révéler que la Parole créatrice mûrit les conditions, dilate la capacité. L’imprévisible en est le présupposé : plus il fait reculer, provoquant le désarroi, plus il pousse, il oriente vers le merveilleux, ouvrant grands des sillons dans ce qui est dur, des canaux intérieurs qui s’ouvrent pour accueillir et faire couler, tels les lits de fleuves souterrains, une force qui dépasse, démontrant que les actions divines ne concernent pas seulement le temps de l’origine, mais « traversent et rachètent le temps ordinaire, profane, présent ». Parler de providence dans le Nouveau Testament signifie « parler de l’eschatologie », de l’action du salut mise en œuvre par l’Esprit-Saint qui, justement grâce à l’imprévisible, conduit l’humanité vers la plénitude. C’est pourquoi l’auteur se demande : « en éliminant l’imprévisible du discours théologique, ne devient-il pas immédiatement idéologique et vain ? »

La modalité de l’action divine apparaît particulièrement évidente dans l’Évangile de Jean où « l’indétermination est omniprésente et instaure entre le texte et le lecteur une sorte d’espace blanc ». L’Esprit-Saint, qui est envoyé, se répand, descend, comble, qui est « auprès de vous », qui est « en vous » (Jean 14,17), devient intériorisation d’une présence vivante qui produit un « dynamisme fusionnel », favorisant ce processus de profonde communion entre ceux qui se disposent à le recevoir et la divine humanité de Jésus. Mais en même temps, c’est justement  l’imprévisibilité qui lui est connaturelle, qui protège « l’expérience de la différenciation ». L’Esprit-Saint promeut l’unité du multiple, n’annule pas les différences, les valorise, révélant le cœur du mystère trinitaire : la relation d’amour. La modalité par laquelle l’Esprit-Saint opère est discrète, ne force pas, interagit, n’ « interrompt pas la recherche, les dilemmes et les découvertes de notre conscience mais dialogue avec eux, les éclairant et les élargissant sans cesse ».

Tolentino met donc en lumière le cœur de son discours, s’arrêtant sur le Cantique des cantiques, soutenant combien, dans le contexte biblique, « l’amour naturel est profondément spirituel ». L’amour introduit ceux qui s’aiment dans « un territoire de réciprocité et de parité », enveloppe dans une « condition nouvelle et plus élevée », fait des amoureux des « nomades, des chercheurs, des mendiants ». L’amour dénude, pousse vers une condition de fragilité, comme justement l’aimée du Cantique qui se définit comme « malade d’amour » (Cantique 5,8). La relation amoureuse est la clé qui donne donc la dynamique infinie réveillant puissamment la nostalgie des origines où l’innocence assure l’unité et la plénitude. L’amour humain provoque le parcours qui reconduit au « territoire maternel (…), à l’espace de la première gestation », il reflète la vérité du manque qui rend pauvre, aspirant à retrouver le lieu avec la matrice d’où nous provenons, et en même temps il donne la force impétueuse pour se remettre en jeu, pour continuer à chercher.

La Bible est regardée alors comme la « puissante anthologie de l’amour humain » qui réconcilie avec le corps, avec la sexualité, faisant comprendre comment c’est précisément « dans l’expérience érotique que se donne l’apparition de l’Autre ». Seule l’expérience de l’amour procure ce trouble qui favorise la consommation de la distance. Elle encourage à répondre à ce désir intérieur par lequel l’amour divin cherche avec ténacité à se faire sentir, demandant disponibilité et abandon, confiance, afin de pouvoir être accueilli pour rapporter à soi et donner la plénitude. L’union sponsale entre Dieu et l’humanité renvoie donc à la réponse consciente d’amour qui, dans le Nouveau Testament, devient participation à la communion qui unit le Fils au Père à travers l’Esprit-Saint qui est amour, processus constant d’incarnation à travers lequel l’amour humain et l’amour divin se pénètrent mutuellement.

© L’Osservatore Romano en italien du 2 janvier 2018

©  Traduction de Zenit, Hélène Ginabat

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Hélène Ginabat

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