Messe à l'aérodrome de Maquehue, Temuco, Chili © Vatican Media

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Le ciel pur du Chili, Neruda et la mystique juive de Sholem

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Un processus de discernement culturel et d’inclusion

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« Chili, pur est ton ciel bleu/, de pures brises te traversent aussi, / et ton champ bordé de fleurs/ est la copie réussie de l’Éden »: le pape François cite cette poésie en ouverture de son discours aux autorités du Chili. Personne ne remarque la citation.
Ce sont des paroles d’Eusebio Lillo Robles, poète, journaliste, entrepreneur, homme politique chilien (1826-1910).

Et c’est la 5e strophe (sur 6) de l’hymne national chilien: celle qui est chantée lors des cérémonies officielles, avec le refrain, plus guerrier, dû à Bernardo de Vera y Pintado (1780-1827), avocat et homme politique. L’hymne national chilien a pour cela la réputation de chanter la beauté du pays et le pape deLaudato si’ n’a pas manqué de le souligner d’emblée en y voyant “un authentique chant de louange à la terre, riche de promesse et de défis, que vous habitez; mais surtout pleine d’avenir”. Il venait d’entendre l’hymne, lors de sa rencontre avec les autorités du pays, son premier rendez-vous officiel de mardi, 16 janvier 2018, à Santiago au Palais de la Moneda.

Au Chili, le pape nourrit ses discours de citations célébrant la beauté de la création particulièrement éclatante dans cette bande de terre de 180 km de large en moyenne, secouée par les séismes, étirée sur quelque de 4 300 km du Pérou au Cap Horn, entre le Pacifique et les Andes. Il cite notamment son encyclique – « sociale et pas seulement écologique, ou plutôt dune écologie « intégrale » –  sur la sauvegarde de la Maison commune.

Plus tard, lors de la messe au Parque O’Higgins, mettant ainsi ses pas dans ceux de Jean-Paul II, c’est le Nobel de littérature 1971, Pablo Neruda, qui est cité. Citer n’est pas canoniser. C’est, tout en rendant hommage à un talent, et à la culture d’un peuple, pour employer des termes bergogliens “intégrer”, “inclure”. Inclure, et, un autre mot important pour le pape François, en discernant, en Christ. Mais le nom de Pablo Neruda (1904-1973) a chatouillé l’oreille de certains: le pape serait-il “de gauche”?

Voilà, ipsissima verba, une rencontre de la miséricorde et de l’espérance: “Les béatitudes naissent du cœur miséricordieux qui ne se lasse pas d’espérer. Et il fait l’expérience que l’espérance « est le jour nouveau, l’extirpation d’une immobilité, la remise en cause d’une prostration négative » (Pablo Neruda, L’habitant et son espérance)”.

Dès son discours aux autorités, le pape avait a cité l’autre Nobel (1945) de littérature du Chili, Gabriela Mistral (1889-1957) : ses « Eloges de la terre du Chili ». Et il citera aussi sa « Brève description du Chili ».

Ailleurs, il cite Violeta Parra (1917-1967), artiste qui a remis à l’honneur la musique populaire et traditionnelle de son pays et l’a faite connaître au-delà des frontières du Chili.

Les « grands » de l’Eglise du Chili sont également cités, comme le cardinal salésien Raúl Silva Henríquez (1907-1999), Prix des Droits de l’Homme des Nations Unies en 1978, qui fut archevêque de Santiago et participa à Vatican II : « Si tu veux la paix, travaille pour la justice… Et si quelqu’un nous demande ‘‘qu’est-ce que la justice ?’’ ou si au contraire elle consiste simplement à ‘‘ne pas voler’’, nous lui dirons qu’il existe une autre justice : celle qui exige que chaque homme soit traité comme homme. »
Il cite saint Alberto Hurtado (1901-1952), jésuite béatifié par Jean-Paul II et canonisé par Benoît XVI : il s’est rendu sur sa tombe le 16 janvier.
A l’université catholique pontificale du Chili, le 17 janvier, le pape cite le sociologue et philosophe polonais disparu il y a un an, Zygmunt Bauman (1925-2017), et sa « modernité liquide », en même temps que la société « légère » du philosophe français Gilles Lipovetsky (né en 1944), (De la légèreté, 2015).
Il n’hésite pas à évoquer La mystique juive de Gershom Scholem (1897-1982), à propos du « mystère » de la création, confisqué en quelque sorte par la « scission » originaire qui n’est pas sans affecter une certaine fragmentation universitaire. Le pape invitait au contraire les professeurs à réveiller chez les étudiants“l’émerveillement devant un monde et un univers à découvrir”.
Mais ce que le pape cite le plus, c’est la Bible et ses propres documents, dont il fait une petite pédagogie en en intégrant des passages au fil de ses enseignements.

« Intégrer » c’est précisément cette façon de penser que le pape met en oeuvre par des citations de mondes si différents. A partir de l’ancrage biblique et dans le Christ. Et en rendant hommage aux talents du pays qu’il visite : c’est une constante. Une dynamique, humble et forte, d’inclusion, non sans discernement, qui déconcerte ces vieilles habitudes de penser par étiquettes et exclusion qui arrivent difficilement à  distinguer ce qui est bon, beau, ou vrai, chez « l’autre ».

Mais des siècles d’auteurs chrétiens ont ainsi discerné et intégré, voire transfiguré, ce qui était bon, beau et vrai dans les cultures que l’Evangile venait féconder. C’est aussi assez la façon ignatienne d’être « plus prompt à sauver la proposition de l’autre que de la condamner », en l’examinant parfois jusqu’au bout de sa nuit pour y trouver une lumière. Et si le pape souhaite à l’université pontificale catholique du Chili de susciter un « humanisme renouvelé », c’est peut-être aussi par cette dynamique de pensée, non pas nouvelle mais renouvelée, et qui fait l’« universitas ».

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Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

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