Le pape salue la foule © L'Osservatore Romano

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Amérique latine: le pape appelle à l'engagement politique des catholiques

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« Nous ne pouvons pas nous résigner à la situation détériorée »

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« Pour construire peu à peu notre continent de paix, de justice, qui sera encore plus humain », déclare le pape aux peuples d’Amérique latine, « nous devons nous mettre en marche vers des démocraties matures, participatives, sans les plaies de la corruption ou de la colonisation idéologique, ni les prétextes autocratiques et les démagogies bon marché. Prenons soin de notre maison commune et de ses habitants les plus vulnérables, en évitant tout type d’indifférence suicidaire et d’exploitation sauvage… Nous ne pouvons pas nous résigner à la situation détériorée dans laquelle souvent nous nous débattons aujourd’hui. »
Dans un message vidéo adressé aux participants de la « rencontre des laïcs catholiques qui assument la responsabilité politique au service des peuples de l’Amérique latine », organisée par la Commission pontificale pour l’Amérique latine (CAL) et par le Conseil épiscopal latino-américain (CELAM), en Colombie, à Bogota, du 1er au 3 décembre 2017, le pape appelle à l’engagement des catholiques en politique.
« Il est nécessaire que les laïcs catholiques ne restent pas indifférents à la chose publique ou repliés dans leur temple, et qu’ils n’attendent pas non plus les directives et les consignes ecclésiales pour lutter en faveur de la justice, et d’une vie plus humaine pour tous », insiste-t-il.
Le pape explique la politique comme « un service de sacrifice et de dévouement, à tel point que parfois on peut considérer les politiciens comme des ‘martyrs’ de causes pour le bien commun de la nation ». Le point de référence fondamental de ce service, ajoute-t-il, « est le bien commun ». En outre, « le pouvoir doit être subordonné au service pour ne pas dégénérer ».
Il dresse le portrait-robot des politiques qu’il appelle de ses vœux : « des dirigeants politiques qui vivent avec passion leur service aux populations, qui vibrent avec les fibres intimes de leurs ethos et de leur culture, solidaire avec leurs souffrances et leurs espérances ; des politiciens qui mettent en avant le bien commun par rapport à leurs intérêts privés, qui ne se laissent pas intimider par les grands pouvoirs financiers et médiatiques, qui soient compétents face aux problèmes complexes, qui soient ouverts pour écouter et apprendre dans le dialogue démocratique, qui conjuguent la recherche de la justice avec la miséricorde et la réconciliation ».
« Ne nous contentons pas de la mesquinerie de la politique, exhorte-t-il : nous avons besoin de dirigeants politiques capables de mobiliser de vastes espaces populaires en enseignant de grands objectifs nationaux et latino-américains. »
AK
Message du pape François
Bonjour !
Tout d’abord je voudrais saluer et remercier les dirigeants politiques qui ont accepté l’invitation à participer à un événement que moi-même j’ai encouragé depuis sa genèse : « la rencontre des laïcs catholiques qui assument des responsabilités politiques au service des peuples d’Amérique Latine ». Je salue également Messieurs les Cardinaux et Evêques qui les accompagnent, avec lesquels vous aurez un dialogue qui sera très utile à tous.
Depuis le pape Pie XII jusqu’à ce jour, les pontifes qui se sont succédés ont toujours fait référence à la politique comme une « forme élevée de charité ». On pourrait aussi traduire comme un service inestimable de dévouement pour l’accomplissement du bien commun de la société. La politique est avant tout un service ; elle n’est pas au service d’ambitions individuelles, de prééminences de factions et de centres d’intérêts. Comme serviteur, elle n’est pas non plus une patronne, prétendant ordonner toutes les dimensions de la vie des personnes, retombant directement en une forme d’autocratie et de totalitarisme. Et quand je parle d’autocratie et de totalitarisme je ne suis pas en train de parler du siècle passé, je parle d’aujourd’hui, du monde d’aujourd’hui, et peut-être aussi de quelque pays de l’Amérique latine. On pourrait affirmer que le service de Jésus – qui est venu servir et non pas être servi – et le service que le Seigneur exige de ses apôtres et disciples est par analogie le genre de service qu’on demande aux politiciens. C’est un service de sacrifice et de dévouement, à tel point que parfois on peut considérer les politiciens comme des « martyrs » de causes pour le bien commun de la nation.
Le point de référence fondamental de ce service, qui requiert constance, engagement et intelligence, c’est le bien commun, sans lequel les droits et les plus nobles aspirations des personnes, des familles et des corps intermédiaires en général, ne pourraient se réaliser pleinement, parce qu’il manquerait l’espace organisé et civil dans lequel on vit et on agit. En quelque sorte c’est le bien commun conçu comme les conditions de développement de la personne, de la famille, des corps intermédiaires. Le bien commun. Le Concile Vatican II a défini le bien commun, selon la tradition de la Doctrine Sociale de l’Eglise, comme « cet ensemble de conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale et plus aisée » (Gaudium et spes, n. 26).
Il est clair qu’il ne faut pas opposer le service au pouvoir – personne ne veut d’un pouvoir impuissant ! – mais le pouvoir doit être subordonné au service pour ne pas dégénérer. Ainsi, tout pouvoir non subordonné au service dégénère.
Naturellement je ne me réfère pas à la « bonne politique », dans l’acceptation la plus noble de son sens, et non plus à la dégénérescence de celle que nous appelons « politicarde ». « Pour instaurer une vie politique vraiment humaine, rien n’est plus important que de développer le sens intérieur de la justice, de la bonté, le dévouement au bien commun, et de renforcer les convictions fondamentales sur la nature véritable de la communauté politique, comme sur la fin, le bon exercice et les limites de l’autorité publique. » (Ididem, n. 73). Soyez sûr que l’Eglise Catholique « tient en grande considération et estime l’activité de ceux qui se consacrent au bien de la chose publique et en assurent les charges pour le service de tous » (Ibidem, n. 75).
En même temps, je suis également certain que nous sentons tous la nécessité de réhabiliter la dignité de la politique. Si je pense à l’Amérique Latine, comment ne pas observer le discrédit populaire dans lequel sont tombées toutes les instances politiques, la crise des partis politiques, l’absence de débat politique de valeur concernant des projets et des stratégies à un niveau national et latino-américain qui aillent au-delà des politiques de cabotage ! En outre le dialogue ouvert et respectueux qui recherche les convergences possibles, est souvent remplacé par des rafales d’accusations réciproques et de retombées démagogiques. Il manque aussi la formation et le renouvellement de nouvelles générations politiques. Pour cette raison, les peuples regardent de loin et critiquent les politiciens et les voient comme une corporation de professionnels qui s’occupent de leurs propres intérêts ou les dénoncent avec rage, parfois sans faire les distinctions nécessaires, comme minés par la corruption. Tout cela n’a rien à voir avec la participation nécessaire et positive des populations, passionnées par leur vie et leur destin, qui devrait animer le scénario politique des nations. Ce qui est clair, c’est qu’il y a besoin de dirigeants politiques qui vivent avec passion leur service aux populations, qui vibrent avec les fibres intimes de leurs ethos et de leur culture, solidaire avec leurs souffrances et leurs espérances ; des politiciens qui mettent en avant le bien commun par rapport à leurs intérêts privés, qui ne se laissent pas intimider par les grands pouvoirs financiers et médiatiques, qui soient compétents face aux problèmes complexes, qui soient ouverts pour écouter et apprendre dans le dialogue démocratique, qui conjuguent la recherche de la justice avec la miséricorde et la réconciliation. Ne nous contentons pas de la mesquinerie de la politique : nous avons besoin de dirigeants politiques capables de mobiliser de vastes espaces populaires en enseignant de grands objectifs nationaux et latino-américains.
Je connais personnellement des dirigeants politiques latino-américains de différentes orientations politiques qui se rapprochent de cet idéal.
Combien avons-nous besoin aujourd’hui en Amérique latine d’une « bonne et noble politique » et de ses protagonistes ! Peut-être ne devons-nous pas affronter des problèmes et des défis très grands ? En premier lieu, la sauvegarde du don de la vie dans toutes ses phases et manifestations. L’Amérique Latine a aussi besoin d’une croissance industrielle, technologique, soutenue de manière autonome et réaliste, aux côtés de politiques qui affrontent le drame de la pauvreté et qui visent à l’équité et à l’inclusion, parce que ce qui laisse les multitudes sans défenses et continue à alimenter une scandaleuse inégalité sociale n’est pas un vrai développement. On ne peut pas négliger une éducation intégrale, qui commence avec la famille et se développe dans une scolarisation pour tous et de qualité. Il faut renforcer le tissus familial et social. Une culture de la rencontre – et non d’antagonismes constants – doit renforcer les liens fondamentaux d’humanité et de sociabilité et jeter de solides fondements pour une amitié sociale qui tourne le dos aux tenailles de l’individualisme ou de la massification, de la polarisation et de la manipulation. Nous devons nous mettre en marche vers des démocraties matures, participatives, sans les plaies de la corruption ou de la colonisation idéologique, ou les prétextes autocratiques et les démagogies bon marché. Prenons soin de notre maison commune et de ses habitants les plus vulnérables, en évitant tout type d’indifférence suicidaire et d’exploitation sauvage. Remettons en premier et concrètement l’exigence d’une intégration économique, sociale, culturelle et politique, des peuples frères pour construire peu à peu notre continent de paix, de justice, qui sera encore plus humain. Nous ne pouvons pas nous résigner à la situation détériorée dans laquelle souvent nous nous débattons aujourd’hui.
Je voudrais accomplir un nouveau pas dans cette réflexion. Dans son discours d’inauguration de la Conférence Générale de l’Episcopat Latino-américain à Aparecida, le pape Benoit XVI a constaté avec préoccupation « la notable absence, dans l’environnement politique […] de voix et d’initiatives de dirigeants catholiques de forte personnalité et de dévouement généreux, qui soient cohérents avec leurs convictions politiques éthiques et religieuses ». Les Evêques de tout le continent ont décidé d’insérer cette observation dans les conclusions d’Aparecida, en parlant des « disciples et missionnaires dans la vie publique » (n 502). En réalité, dans un grand continent avec un grand nombre de baptisés dans l’Eglise Catholique, de substrat culturel catholique, dans lequel la tradition catholique est encore très vive dans les populations et dans lequel abondent de grandes manifestations de la piété populaire, comment est-il possible que les catholiques apparaissent plutôt inexistants dans le scénario politique, ou carrément assimilés à une logique mondaine ? Cela ne fait pas de doute qu’il y a des témoignages de catholiques exemplaires sur la scène politique, mais on remarque l’absence de courants forts qui ouvrent la route de l’Evangile dans la vie politique des nations. Ceci ne veut pas dire faire du prosélytisme à travers la politique, rien à voir avec cela. Il y en a beaucoup qui se disent catholiques – et il ne nous est pas donné de juger leurs consciences, mais leurs actes si -, qui souvent démontrent peu de cohérence avec les convictions éthiques et religieuses du magistère catholique. Nous ne savons pas ce qu’il advient dans leurs consciences, nous ne pouvons la juger, mais regardons leurs actes. Il y en a qui sont tellement absorbés par leurs engagements politiques qu’ils finissent par reléguer leur foi au second plan, s’appauvrissant, sans être capables d’être un repère et de laisser leur propre empreinte dans toutes les dimensions de la vie de la personne, même dans leur propre pratique politique. Ceux qui ne se sentent pas reconnus, encouragés, accompagnés et soutenus dans la protection et dans le développement de leur foi, par les Pasteurs et par les communautés chrétiennes, ne manquent pas. Au final, la contribution chrétienne à l’action politique se manifeste seulement à travers les déclarations des Episcopats, sans que se manifeste la mission particulière des laïcs catholiques d’organiser, de gérer et de transformer la société selon les critères évangéliques et le patrimoine de la Doctrine Sociale de l’Eglise.
Pour toutes ces raisons, j’ai voulu choisir comme thème de la précédente Assemblée plénière de la Commission pontificale pour l’Amérique latine le thème : « L’indispensable engagement des laïcs catholiques dans la vie publique des Pays latino-américains » (1 mars 2017). Le 13 mars j’ai envoyé une lettre au président de cette Commission, le cardinal Marc Ouellet, dans laquelle j’ai encore une fois mis en garde contre le risque du cléricalisme et j’ai posé la question : « Que signifie pour nous pasteurs le fait que les laïcs soient en train de travailler dans la vie publique ? ». « Cela signifie chercher le moyen de pouvoir encourager, accompagner, stimuler toutes les tentatives et les efforts qui se font aujourd’hui afin de maintenir vivante l’espérance et la foi dans un monde plein de contradictions, spécialement pour les plus pauvres, spécialement avec les plus pauvres. Cela signifie, comme Pasteurs, s’imprégner au milieu de notre peuple et, avec notre peuple, soutenir sa foi et son espérance. En ouvrant des portes, en travaillant avec lui, rêvant avec lui, réfléchissant et surtout priant avec lui. « Nous avons besoin de redécouvrir la ville » – et donc tous les espaces où se développe la vie de nos peuples – « à partir d’un regard de contemplation, c’est-à-dire un regard de foi qui découvre ce Dieu qui habite dans ses maisons, dans ses rues, dans ses carrefours » ».
Par contre « nous sommes souvent tombés dans la tentation de penser que le laïc engagé est celui qui travaille dans les œuvres de l’Eglise et/ou dans les choses de la paroisse ou du diocèse, nous avons peu réfléchi sur la façon d’accompagner un baptisé dans sa vie publique et quotidienne ; sur la façon pour lui, dans son activité quotidienne, avec les responsabilités qu’il a, de s’engager comme chrétien dans la vie publique. Sans nous en rendre compte, nous avons généré une élite laïcarde en croyant que seuls ceux qui travaillent dans ‘les choses des prêtres’ sont des laïcs engagés, nous avons oublié, en le négligeant, le croyant qui souvent brûle son espérance dans la lutte quotidienne pour vivre la foi. Ce sont ces situations que le cléricalisme ne peut voir, parce qu’il est plus préoccupé à occuper l’espace qu’à lancer des actions. Nous devons cependant reconnaître que le laïc par sa réalité, par son identité, parce qu’il est immergé dans le cœur de la vie sociale, publique et politique, parce qu’il prend part aux actions culturelles qui se créent constamment, a besoin de nouvelles formes d’organisations et de célébrations de la foi ».
Il est nécessaire que les laïcs catholiques ne restent pas indifférents à la chose publique ou repliés dans leur temple, et qu’ils n’attendent pas non plus les directives et les consignes ecclésiales pour lutter en faveur de la justice, et de forme de vie plus humaine pour tous. « Ce n’est jamais au Pasteur de devoir dire au laïc ce qu’il doit faire et dire, il le sait très bien et mieux que nous. Ce n’est pas au pasteur de devoir établir ce que les fidèles doivent dire dans les diverses situations. En tant que Pasteurs, unis à notre peuple, cela nous fait du bien de nous demander comment nous sommes en train de stimuler et de promouvoir la charité et la fraternité, le désir du bien, de la vérité et de la justice. Comment faire en sorte que la corruption ne s’installe pas dans nos cœurs ». Dans nos cœurs de Pasteurs, en même temps, cela nous fait du bien d’écouter avec beaucoup d’attention l’expérience, les réflexions et les préoccupations que peuvent partager avec nous les laïcs qui vivent leur foi dans les différents milieux de la vie sociale et politique.
Pendant cette rencontre, votre dialogue social sincère est très important. Parlez avec liberté. Un dialogue qui soit catholique, prélats et politiciens, en qui la communion entre les personnes de la même foi se trouve plus déterminant que les légitimes oppositions d’opinions politiques. Pour tout cela participons à l’Eucharistie, source et sommet de chaque communion. Par votre dialogue on pourra obtenir des éléments éclairants, des éléments qui orientent la mission de l’Eglise dans l’actualité. Merci encore et bon travail !
Traduction de Zenit, Hugues de Warren

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Hugues de Warren

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