« Le terrorisme ne sera pas vaincu par la violence, mais par un retour aux racines vitales de l’éducation, de la culture et de la foi. Telle est l’espérance qui nous anime », affirme Mgr Francesco Follo, observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO.
Il a prononcé un discours à la 39e Session de la Conférence Générale de l’UNESCO à Paris, ce lundi 6 novembre 2017.
Le développement personnel à partir de l’alphabétisation ainsi que le lien entre le patrimoine culturel mondial et l’éducation étaient aussi parmi les thèmes centraux de son intervention.
Mgr Follo a souligné notamment que l’espérance de vaincre le terrorisme « n’est pas un vœu pieux : il y a des artisans de paix, a-t-il expliqué, et les sociétés petites et grandes, de la famille à la nation, doivent apprendre à en susciter de nouveaux. Il suffit d’y croire, et de beaucoup travailler ».
Le Saint-Siège appelle à ne pas « capituler » devant la « menace » des guerres, mais à « promouvoir » « une culture de la paix ». « L’école doit apprendre aux enfants, aux adolescents et aux jeunes gens que la violence est mauvaise et que tout doit être fait, en tout temps, pour préserver la paix », a dit Mgr Follo.
« Le Saint-Siège salue le rôle de l’UNESCO, la protection de la Culture et de la promotion du pluralisme culturel en cas de conflit armé par le biais de la mise en œuvre des conventions », a-t-il ajouté.
MD
Discours de Mgr Follo
Madame la Présidente,
j’ai l’honneur de vous exprimer les félicitations du Saint-Siège pour votre élection à la Présidence de la 39e Session de la Conférence Générale de l’UNESCO, et de transmettre à vous comme aussi à toutes les Délégations participantes les salutations les plus cordiales de Sa Sainteté le Pape François. Le Saint-Père invoque sur chacun de nous les bénédictions de Dieu Tout-Puissant, pour bien bâtir la justice et la paix dans les esprits des hommes et des femmes par l’éducation, la culture et les sciences (cf. Prologue de l’Acte Constitutif de l’UNESCO), soutenus par la conviction que c’est seulement avec la paix qu’il y a la possibilité d’un avenir plus prospère pour tous (Pape François, 25.12.2016). A cet égard, le Saint-Siège félicite l’UNESCO pour ses orientations et le budget du 39C/5. Le Saint-Siège voudrait proposer une réflexion sur les thèmes suivants :
- Le développement personnel à partir de l’alphabétisation
Permettez-moi de rappeler d’abord le message adressé, il y a 50 ans, en août 1967 par le pape Paul VI à M. Amadou-Mahtar M’Bow, alors Directeur général de l’UNESCO, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alphabétisation. Le Pape se réjouissait du beau travail accompli pour que tous les hommes sachent lire et écrire. Et il adressait ses encouragements à tous ceux qui œuvrent pour que ce travail ne demeure pas à moitié accompli. Tous doivent apprendre — au moins — à lire et à écrire. Nous tous ici présents savons lire et écrire, et certainement beaucoup plus. Nous serons souvent incapables, de plus, de dire exactement quand et comment nous avons commencé à apprendre, et serons certainement incapables de dire qu’un désir d’apprendre nous a poussés à lire et écrire. Nous l’avons probablement oublié. Mais une chose est bien certaine: toute cette partie de nous-mêmes que nous nommons notre « culture », nous la devons à autrui, à des parents, des instituteurs, et bien d’autres encore. Et ce que nous avons reçu, nous sommes appelés à en être les transmetteurs. Nous tous ici présents sommes des hommes et des femmes de culture, capables de riches communications à échelle souvent mondiale. Le message adressé par Paul VI en 1967 demeure totalement actuel, et nous vivons dans un monde où ce qui nous est le plus banal, lire et écrire, est pour un très grand nombre un luxe. Il ne faut pas que cette situation perdure. Et en tant qu’institution internationale, bien sûr, mais aussi à titre de personnes individuelles, l’UNESCO a vocation à donner et à transmettre. Ce que nous avons à donner et à transmettre, insistons, n’est pas un surplus mais un dû. Tous ont droit au savoir, sans quoi l’expérience humaine demeurerait pauvre. Celui qui ne maîtrise ni lecture ni écriture nous rappelle avec force le droit universel au savoir. N’oublions jamais cela, enfermés que nous sommes bien souvent dans un monde alphabétisé, lettré, et dans lequel nos richesses semblent aller de soi.
Lorsque nous parlons d’alphabétisation, nous évoquons les rudiments, ou les premiers éléments d’une culture de l’écrit. Nul ne doit certes en rester aux rudiments. L’alphabétisation a pour premier but de permettre à des millions d’hommes de communiquer aisément entre eux, d’avoir une vie sociale et économique plus facile, etc. Elle n’a pas que ces buts, et celui qui reçoit des bases deviendra peut-être un jour universitaire ou écrivain. Il ne faut pas oublier que ceux qui demeurent à la marge de la société, faute d’un accès fructueux à l’éducation, attendent beaucoup. A cet égard, le Saint-Siège salue l’engagement de l’UNESCO pour mobilier les TIC en vue d’améliorer la qualité des programmes d’alphabétisation et d’éducation des jeunes et des adultes. Toutefois, il est des lieux naturels d’’éducation : la famille en est le premier. Notre présence et notre action au sein de l’UNESCO se justifie par le besoin d’autres lieux, institutionnels comme les écoles, sans lesquels l’homme ne sera jamais dépourvu de toute éducation, certes, mais demeurera pauvre en éducation et en culture. Education et culture sont ici autant solidaires que possibles.
Le Saint-Siège est particulièrement heureux du désir de l’UNESCO de vouloir mettre en œuvre l’Objectif du développement durable 4 au niveau de la qualité de l’Education, ainsi que certains autres ODD liés aux enjeux suivants : santé (ODD 3), égalité des sexes (ODD 5), travail décent (ODD 8), consommation et production responsables (ODD 12), action face au changement climatique (ODD 13), et partenariats (ODD 17). L’ensemble de ces programmes contribuera à l’élimination de la pauvreté (ODD 1) et à la réduction des inégalités (ODD 10).
- L’éducation, la culture et la foi sont une réponse positive au terrorisme
Nous parlons volontiers de « développement », et nous entendons d’abord par là le développement économique. C’est avec raison, car celui à qui il faut apprendre à lire et écrire a tout autant besoin de pain, d’un toit et de quelque argent. C’est toutefois insuffisant, car la vie humaine ne se limite pas à des conditions économiques. Le « développement », en effet, appelle nécessairement une autre croissance, qui est celle de l’homme en son entier. Dès sa naissance, l’être humain possède déjà un potentiel de développement qui se réalisera par l’éducation, la culture et tout ce qu’une société respectable lui donnera. Si un développement économique ne s’accompagne pas d’un enrichissement culturel, il y a du possible qui ne se réalisera pas un potentiel qui sera perdu : l’homme qui bénéficierait d’un développement uniquement matériel acquerrait sans doute une aisance économique, mais il demeurerait un pauvre, parce que le meilleur de notre patrimoine – notre patrimoine culturel – ne lui serait pas transmis. Le vrai développement est «personnel ». Et s’il nous faut des structures, elles doivent être au service de ce développement. Nous ne pouvons pas créer des « ascenseurs sociaux » sans qu’ils soient aussi des « ascenseurs culturels ».
Nous vivons une période dans laquelle beaucoup de peuples vivent en paix, mais dans laquelle aussi la « terreur » et le terrorisme sont devenus pour beaucoup d’hommes des réalités quasi-quotidiennes. Qui dit terrorisme dit menace des armes et de la violence. Les états doivent répondre au terrorisme, au jour le jour, en garantissant la sécurité des citoyens. Nous ne pourrons, toutefois, éviter la violence qu’en rendant aussi présentes que possibles les conditions d’une paix entre tous. Les guerres menaceront toujours les hommes. Devant cette menace, pourtant, nous n’avons pas à capituler. L’école doit apprendre aux enfants, aux adolescents et aux jeunes gens que la violence est mauvaise et que tout doit être fait, en tout temps, pour préserver la paix. Il y a eu et il y a des cultures nourricières de violence — nous pouvons nous contenter de faire mémoire de Sparte, une cité dont le principal but était de former des soldats. Mais il peut et doit y avoir des manières de vivre paisiblement ensemble, il peut y avoir une culture de la paix, et nous avons le devoir de la promouvoir. A cet égard, le Saint-Siège salue le rôle de l’UNESCO, la protection de la Culture et de la promotion du pluralisme culturel en cas de conflit armé par le biais de la mise en œuvre des conventions. Ce domaine d’action est une contribution à l’ODD 16 qui vise à promouvoir l’avènement de sociétés pacifiques et inclusives. Éducation, culture, traditions spirituelles ont à relever ici un défi commun.
Le terrorisme ne sera pas vaincu par la violence mais par un retour aux racines vitales de l’éducation, de la culture et de la foi. Telle est l’espérance qui nous anime. Et cette espérance n’est pas un vœu pieux : il y a des artisans de paix, et les sociétés petites et grandes, de la famille à la nation, doivent apprendre à en susciter de nouveaux. Il suffit d’y croire, et de beaucoup travailler.
Nous vivons, d’autre part, des années où divers et nombreux pays voient arriver chez eux des populations nouvelles issues de pays éloignés et façonnées, parfois, par des cultures aussi éloignées. Ces populations migrantes ne sont pas à la recherche d’expériences culturelles : elles demandent la paix et du pain. Nous le leur devons, dans la mesure de nos richesses. Mais une chose est bien certaine, toute aide « humanitaire » s’effectue à court terme. Et pour l’étranger, pour réfugié, pour l’immigré, donc pour celui qui est coupé de sa patrie, et l’est souvent de manière définitive, c’est une maison nouvelle dans laquelle nous devons être capables de l’accueillir. Nous devons donner accès à notre langue. Nous devons donner accès à notre savoir. Nous devons donner accès à notre expérience de la citoyenneté – Bref, nous ne serons pleinement hospitaliers qu’en offrant à l’émigré les moyens de devenir notre concitoyen, en sachant bien que s’il ne le devient pas, il y aura toujours échec et souvent drame. Pour que le migrant apprenne notre langue, il faudra certainement que nous sachions la sienne. Pour qu’il s’approprie nos richesses culturelles, il faudra certainement que nous respections les siennes et lui montrions qu’en acquérant une nouvelle culture, et une nouvelle citoyenneté, il n’abandonnera rien de ce qu’il a déjà appris de vrai et de bien. Et si donc nous savons être artisans d’une culture de paix, déjà au niveau personnel, nous donnerons à cette culture une dimension universelle : tout homme pourra la faire sienne, parce qu’il en sera le bénéficiaire et le reconnaîtra.
- Le patrimoine culturel mondial et l’éducation
Le Saint-Siège salue l’attention du secteur de la Culture de l’UNESCO pour la mise en place de mesures pour l’ODD 11 « Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables », ce qui renforce le développement durable et le revitalise (ODD 17).
Un patrimoine est ce que des pères lèguent à des fils. Nous sommes héritiers de trésors culturels, matériels ou immatériels, que nous avons à préserver et sur lesquels nous avons à veiller – ils ne sont pas seulement les témoins du passé, mais encore des sources de joie pour le présent et pour l’avenir. Ils sont à transmettre à nos enfants. C’est des générations à venir que ces trésors attendent d’être connus. Et c’est donc à ceux qui viennent chez nous, et que nous devons aider à se sentir chez nous comme dans une seconde patrie, que nous devons les présenter comme appartenant aussi à leur patrimoine. La Cité du Vatican est patrimoine de l’humanité et non pas des seuls catholiques. Homère ou Eschyle sont au patrimoine de l’humanité et non à celui des seuls grecs. Homère, Virgile, Confucius, Dante, Molière, Cervantès, Goethe, Shakespeare, Garcia Marquez, Neruda, Dostoïevski, Tagore, César Aimé, Senghor, etc. etc.: à nous d’être assez intelligents et volontaires pour que tout émigré arrivé chez nous, en plus de trouver du pain et la paix, y trouve une nourriture intellectuelle et spirituelle préparée par d’autres que lui, mais préparée aussi pour lui. Ces valeurs comprennent aussi l’héritage, profondément enraciné dans le continent européen et présent universellement, du message de l’amour du prochain, du pardon des ennemis, de l’égalité de tous devant l’Absolu, qui relève en propre de l’éthique chrétienne.
« Intellectuel» et « spirituel », les deux sont liés. L’éducation a pour premier but d’enraciner l’enfant ou le jeune dans sa terre natale, dans sa cité et dans toutes les réalités bonnes qu’elle a suscitées au long de son histoire. Elle a une seconde fin, rendre l’homme capable d’habiter d’autres cités que celle où il est né, et souvent enrichir l’homme de biens que sa cité natale ne pouvait lui donner. Et ici, les traditions spirituelles, ou religieuses, pour peu qu’elles sachent être habitables par tout homme, ont une mission à remplir. Au minimum, bien sûr (mais encore faut-il le dire), elles doivent se savoir au service de tout homme : celui qui se présente comme étranger à telle ou telle tradition, celui donc qui vient d’un ailleurs spirituel et religieux, a droit à une bienveillance et une sollicitude sans restriction de la part de ceux qui appartiennent à ces traditions. De l’Église catholique le pape Paul VI disait qu’elle est « experte en humanité », rerum humanarum perita. Il avait bien raison de le dire. Le christianisme n’est pas bien sûr seul à posséder une telle compétence. A toutes les traditions spirituelles, donc, de puiser dans ce qu’elles ont de meilleur pour collaborer à cette culture de paix sans laquelle l’homme ne peut parvenir, dans l’histoire, à sa pleine stature intellectuelle, morale et, donc, spirituelle. Le Saint-Siège appuie les grands programmes II et III qui soutiennent le développement durable et inclusif, l’écologie, y compris le programme de l’hydrologie et le nouveau programme des Océans, pour lutter contre les violations des droits de l’homme, les inégalités, et la pauvreté, tendant à réaliser ainsi les Objectifs du Développement Durable (ODD)[1].
Le Pape François a récemment explicité que «le concept de personne – né et muri dans le Christianisme – aide à poursuivre un développement pleinement humain. Parce que la “personne” dit toujours relation et non pas individualisme, affermie inclusion et non pas exclusion, dignité unique et inviolable et non pas exploitation, liberté et non pas contrainte. L’Eglise ne cesse pas d’offrir cette sagesse et cette expertise au monde, en étant conscient que le développement intégral est le chemin du bien que la famille humain est appelée à parcourir» (4 avril 2017) et pour nous c’est un honneur les partager avec vous toutes et tous, que je remercie de votre aimable attention.
NOTE
[1] Notamment les ODD 1, 3, 4, 5, 9, 10, 13, 14, 15 et 16.