Le grand commandement
Rite Romain
XXX Dimanche du Temps Ordinaire – 29 octobre 2017
Ex 22,21-27; Ps 17; 1Ts 1,5-10; Mt 22,34-40
« Avec le souhait de comprendre que les Dix Commandements indiquent comment pratiquer le grand commandement d’aimer Dieu et le prochain. »
Préambule
Pour bien comprendre l’évangile d’aujourd’hui, il est utile de rappeler que la première question à se poser n’est pas : « Que faire ? », mais : « Qui suis-je ? pourquoi et pour qui je vis ? ». Il faut deuxièmement tenir compte de la question du Christ : « Quel avantage, en effet, un homme aura-t-il à gagner le monde entier, si c’est au prix de sa vie ? Et que pourra-t-il donner en échange de sa vie ? » (Mt 16, 26).
La réponse à la question « Qui suis-je ? » pourrait être, en modifiant la célèbre phrase de Descartes qui disait : « Cogito ergo sum » (Je pense donc je suis) en « Cogitor ergo sum », traduit comme suit : « je suis pensé [à travers l’amour de Dieu], donc je suis ».
L’intelligence amoureuse de Dieu nous a créés, mais il ne nous a pas laissés seuls sur terre. Le Logos (Parole, Pensée, Intelligence, Sens de la Vie), le Verbe s’est fait chair et il est venu à nous gratuitement, sans que nous n’ayons rien à faire pour le mériter : nous l’accueillons avec foi ainsi que son grand commandement à aimer. Conscients qu’ils nous a sauvés non pour les bonnes œuvres que nous avons accomplies, mais par sa miséricorde » (Tt 3, 4).
Aimer Dieu n’est pas la cause, mais l’effet de son amour pour nous. « Voici en quoi consiste l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est lui qui nous a aimés … Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier » (1 Jn 4, 10.19), et avec le cœur dilaté par cet amour nous aimons notre prochain.
1 – Le grand commandement.
Dans l’Evangile de ce dimanche, les pharisiens cherchent encore une fois à mettre en difficulté Jésus, lui demandant à travers un docteur de la Loi : « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? » (Mt 22,36). Cette question est fondamentale car dans la loi de Moïse il y avait 613 préceptes et interdictions, qui posaient le problème de discerner quel était le plus grand commandement qui les unissait tous. Jésus n’a aucune hésitation. Il répond immédiatement : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement (Mt 22,37-38).
Sur cette première partie de la réponse du Maître les pharisiens sont certainement d’accord. Eux aussi pensaient que l’amour envers Dieu vaut bien plus que tous les autres commandements. En effet, Jésus répond en citant le Shemà, la prière que le juif récite plusieurs fois par jour, surtout le matin et le soir (cf. Dt 6,4-9 ; Dt 11,13-21 ; Nb 15,37-41). Dans cette prière il proclame l’amour intégral et total dû à Dieu, comme unique Seigneur. « L’accent est mis sur la totalité de ce dévouement à Dieu, en énumérant les trois facultés qui définissent l’homme dans ses structures psychologiques profondes : le cœur, l’âme et l’esprit. Le terme esprit, diánoia, contient l’élément rationnel. Dieu est non seulement l’objet de l’amour, de l’engagement, de la volonté et du sentiment, mais également de l’intellect qui ne doit cependant pas être exclu de ce domaine. Plus encore, c’est notre propre pensée qui doit se configurer à la pensée de Dieu » (Benoît XVI).
Mais dans la seconde partie de sa réponse, Jésus les bouleverse, parce que le deuxième commandement, qui ressemble le plus au premier, c’est l’amour du prochain. Non seulement Jésus Christ affirme que Dieu ne s’oppose pas à l’homme, mais qu’Il dilate son cœur et, en Dieu, celui-ci aime son prochain. « Jésus fait une ouverture qui permet d’entrevoir deux visages : le visage du Père et celui du frère. Il ne nous livre pas deux formules ou deux préceptes : ce ne sont pas des préceptes et formules ; il nous remet deux visages, ou plutôt un seul visage, celui de Dieu qui se reflète sur de nombreux visages, car sur le visage de chaque frère, spécialement le plus petit, fragile, sans défense et nécessiteux, est présente l’image même de Dieu » (Pape François)
2 – Un commandement si grand qu’il en renferme deux.
Il est vrai que Jésus utilise deux citations de l’Ancien Testament mais, en disant que le commandement d’aimer son prochain est comme aimer Dieu. Une affirmation bouleversante et stupéfiante : chez la personne qui aime Dieu de tout son cœur, il reste encore du cœur pour aimer son mari, sa femme, son fils, son frère, un ami, son prochain, voire même son ennemi. Dieu ne vole par le cœur, il le dilate.
Il est également vrai que même si le scribe demande quel est le plus grand commandement (au singulier), et Jésus répond en en citant deux, l’amour envers Dieu est le plus grand et le premier : la primauté de Dieu est affirmée sans hésitation. L’amour pour l’homme vient en deuxième position. Mais en disant que « le second est similaire au premier », Jésus affirme qu’entre les deux commandements il y a un lien très étroit. Certes, la mesure n’est pas la même : l’amour envers Dieu est « de tout son cœur, de toute son âme et de tout son esprit ». L’amour pour l’homme est « comme soi-même ». La totalité appartient uniquement au Seigneur : Lui seul doit être adoré. Mais l’appartenance au Seigneur ne peut être amour pour l’homme. D’ailleurs Jésus dit : « De ces deux commandements dépend toute la loi et les prophètes ». Il ne s’agit pas de deux commandements parallèles, mis côte à côte. Il ne suffit pas non plus de dire que le second se fonde sur le premier. Beaucoup plus : le second (celui de l’amour du prochain) concrétise le premier (celui de l’amour envers Dieu).
En soi il n’y a pas opposition entre ces deux amours. Mais il arrive malheureusement qu’ils soient vécus séparément. Il y a ceux qui accentuent la primauté de Dieu (donc la prière, le rapport avec le Seigneur, la conversion intérieure personnelle) et il y a ceux qui, au nom de Dieu, attirent l’attention sur l’homme (donc la justice, la lutte pour un monde plus juste, la prise de position face aux structures injustes). On dirait que le premier est plus religieux et le second plus politique. Mais un tel jugement est superficiel et hâtif.
Une réponse nous est donnée dans un épisode de la vie de saint Vincent de Paul. A une sœur des Filles de la Charité (congrégation religieuse qu’il a fondée pour aider les pauvres) qui lui demandait : « Que dois-je faire si, pendant que je suis en train de prier devant le saint-sacrement, un pauvre homme frappe à la porte du couvent ? », le saint répondit : « Tu ne laisses pas Dieu si tu laisses Dieu pour Dieu ».
Une autre réponse vient de Sainte Thérèse de Calcutta, la Missionnaire de la charité qui a choisi pour elle et pour ses religieuses un sari blanc, porté par les pauvres veuves du Bengale, et sur le voile, blanc lui aussi, tissé dans une léproserie gérée par les missionnaires de la charité, fit insérer trois bandes bleues, pour indiquer leurs trois vœux : chasteté, obéissance et pauvreté. Mais elle voulait que la bande de la chasteté fût plus grande que les deux autres, car dans l’amour pour Dieu, auquel un cœur se consacre totalement, il y a l’amour du prochain, auquel la religieuse se met joyeusement au service.
On ne doit pas opposer Dieu à l’homme ni l’homme à Dieu ; pour Jésus il n’y a pas contraste entre les deux amours. Il déclarera au jugement dernier : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait” (Mt 25,40). Saint Jean écrit : « Si quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime aussi son frère » (1Jn 4,20-21). Les saints que j’ai cités ne sont que deux de la longue série de saints de la charité, dont l’Eglise est riche.
Mais il est utile de rappeler que les vierges consacrées aussi sont des missionnaires de la charité car elles ont choisi Dieu charité. Ces femmes sont appelées à être ensemble des signes clairs et des graines cachées qui s’offrent à Dieu terre dans le but de porter le fruit du salut à tous. Comme Jésus présenté au temple et offert, chaque consacrée est une offrande accueillie par l’Eglise et présentée à Dieu comme primeur de tout le peuple chrétien.
La vierge consacrée se caractérise par une vie conduite dans la gratuité absolue : de Dieu elle a reçu le don de l’amour pour vivre de Dieu seul, et elle revient à Dieu en passant par la prière de louanges et la supplique et le service de charité envers le prochain. Dans la société actuelle, sa consécration fait d’elle un témoin crédible et ferme de l’Evangile « semant la communion et allant jusqu’aux ‘périphéries’, parce qu’il y a une humanité entière qui attend » (Pape François).
Avec son existence la vierge consacrée montre que le grand commandement de l’amour est une grâce qui permet une vie heureuse enracinée en Dieu et pratiquée dans le service au prochain.
Lecture Patristique
Saint Augustin (354 – 430)
Sermons, 14, 1-2
PLS 2, 449-450
Je sais, mes bien-aimés, quelle excellente nourriture vos cœurs puisent chaque jour dans les exhortations de la sainte Ecriture et les richesses de la parole de Dieu. Néanmoins, la ferveur de notre affection mutuelle me pousse à dire à votre charité quelque chose au sujet de l’amour. Comment pourrais-je parler d’autre chose que de l’amour? En effet, celui qui veut parler de l’amour dans la lecture publique et l’homélie n’a pas besoin de choisir un passage particulier de l’Écriture: qu’il ouvre la Bible à n’importe quelle page, elle chante les louanges de l’amour.
J’invoque sur ce point le témoignage du Seigneur lui-même. Voici, d’après l’évangile, ce qu’il a répondu à l’homme qui l’interrogeait sur les deux plus grands commandements de la Loi. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit, et Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Puis, pour éviter qu’on ne cherche dans les livres saints autre chose que l’amour, il a ajouté ceci: Tout ce qu’il y a dans la Loi et les Prophètes dépend de ces deux commandements (Mt 22,37 Mt 22,39-40). Si la Loi et les Prophètes dépendent entièrement de ces deux commandements, n’est-ce pas bien plus vrai encore de l’évangile?
Car l’amour renouvelle l’homme. L’amour crée vraiment l’homme nouveau, comme la convoitise fait le vieil homme. Aussi le psalmiste, luttant contre ses passions, se lamente: J’ai vieilli parmi tant d’adversaires (Ps 6,8). Et le Seigneur lui-même laisse entendre que l’amour appartient à l’homme nouveau, lorsqu’il dit: Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres (Jn 13,34).
Il y a eu, même au temps passé, des hommes qui ont aimé Dieu d’un amour désintéressé. En le désirant avec ardeur, ils ont purifié leur cœur. Ils ont ôté le voile des anciennes promesses, si bien qu’ils ont contemplé la figure de la nouvelle Alliance encore à venir. Dans tous les commandements et les promesses de cette Alliance, qui étaient destinés au vieil homme, ils ont reconnu les figures de l’Alliance nouvelle, que le Seigneur devait conduire à leur terme dans les derniers temps. La parole de l’Apôtre est très claire: Ces faits, dit-il, leur arrivaient en figure, et l’Ecriture les a racontés pour nous avertir, nous qui voyons arriver la fin des temps (1Co 10,11). <>
Quand vint le temps de cet accomplissement, les prédicateurs de l’Alliance nouvelle se mirent à l’annoncer avec une clarté parfaite. Ils expliquèrent et interprétèrent ces figures pour que soit manifesté le sens nouveau des anciennes promesses.
Ainsi, l’amour était présent en ces temps anciens comme il l’est maintenant. Mais il était alors plus secret, et la crainte, plus apparente, tandis que l’amour est maintenant plus manifeste, et la crainte est moindre. En effet, la crainte diminue à mesure que l’amour augmente. Oui, vraiment, l’âme s’apaise quand l’amour grandit. Et quand l’âme est dans une complète tranquillité, il n’y a plus de place pour la crainte, comme le dit aussi l’apôtre Jean: L’amour parfait chasse la crainte (1Jn 4,18).
Mgr Follo, 2016 © courtoisie de la Mission du Saint-Siège à l'UNESCO
Le grand commandement, par Mgr Follo
Les Dix Commandements pour pratiquer le grand commandement