Lors de son voyage en Colombie, le pape François a voulu « encourager chacun à faire sa part afin de faire sortir un bien du mal que le pays a enduré au cours du dernier demi-siècle », explique Mgr Auza qui est revenu sur le message du pape François lors de sa visite dans ce pays d’Amérique latine, du 6 au 11 septembre 2017.
La Mission permanente d’observation du Saint-Siège auprès des Nations Unies, avec la Mission permanente de la Colombie, Caritas Internationalis, l’Institut Kroc pour les études internationales de paix de l’Université Notre Dame, le Catholic Peacebuilding Network et Grace Initiative, a organisé un événement intitulé « Réconciliation et paix en Colombie : l’impact de la visite du pape François », au siège de l’ONU, à New York, le 20 octobre 2017.
Mgr Auza a énuméré cinq conditions essentielles « pour que le pays puisse franchir les premières étapes, de la violence à la fraternité, de la peur à la confiance, finalement de la mort à la vie » : le courage, le pardon, la réconciliation, la vérité et la justice et, enfin, la culture de la rencontre.
Justement, ce 23 octobre 2017, le pape François a reçu au Vatican le cardinal colombien archevêque de Bogota, Rubén Salazar Gómez, accompagné de Mgr Óscar Urbina Ortega, archevêque d’une autre ville visitée par le pape, Villavicencio, et Mgr Fabio Suescún Mutis, évêque aux armées colombien, organisateur du voyage papal.
Voici notre traduction de l’allocution prononcée en anglais par Mgr Auza.
HG
Discours de Mgr Auza
Excellence Mme la Représentante permanente de la Colombie auprès de l’Organisation des Nations Unies,
Mme la Représentante spéciale du Secrétaire général pour les enfants dans les conflits armés,
Excellences, distingués panélistes et chers amis,
Je vous souhaite la bienvenue cet après-midi à cet événement sur les efforts actuels de réconciliation et de paix en Colombie, que la Mission permanente d’observation du Saint-Siège est très heureuse d’accueillir avec la Mission permanente de la Colombie, Caritas Internationalis, l’Institut Kroc pour les Études internationales sur la paix de l’Université Notre Dame, le Catholic Peacebuilding Network et Grace Initiative.
Le mois dernier, du 6 au 11 septembre, le pape François s’est rendu en Colombie pour faire ce que nous pouvions, par ses paroles, son exemple, sa prière et simplement sa présence, pour encourager chacun à faire sa part afin de faire sortir un bien du mal que le pays a enduré au cours du dernier demi-siècle. Il a choisi comme devise de sa visite pastorale « Démos el primer paso », « Faisons le premier pas », affirmant, dans un message vidéo avant son voyage, l’avoir choisie parce qu’il voulait aider chaque Colombien à prendre l’initiative pour « être le premier à aimer, à construire des ponts, à créer la fraternité, … à aller à la rencontre de l’autre, à tendre la main et à échanger un signe de paix ». Il voulait exhorter chacun à assumer la responsabilité du premier geste.
Lorsqu’il a rencontré des dirigeants colombiens devant le Palais présidentiel à Bogota, il a reconnu qu’au cours de l’année écoulée, de nombreux premiers pas et beaucoup de progrès avaient été faits pour mettre fin à la violence armée et forger des voies de réconciliation. Il était venu, a-t-il dit, pour encourager les Colombiens à persévérer sur ce chemin. L’Église, a-t-il dit, ressentait un devoir et un désir particuliers d’accompagner le pays dans cette voie, en promouvant et facilitant la réconciliation, et en aidant à former et renforcer des « conseillers de paix et de dialogue ». Il a résumé en disant : « J’ai voulu venir ici pour vous dire que vous n’êtes pas seul et que beaucoup d’entre nous vous accompagnent dans cette démarche ».
Tout au long de sa visite pastorale, le pape François a prononcé des discours, allocutions et homélies passionnés adressés à l’ensemble du peuple colombien, dans lesquels il a énoncé les éléments essentiels pour que le pays puisse franchir les premières étapes, de la violence à la fraternité, de la peur à la confiance, finalement de la mort à la vie.
Je voudrais mentionner brièvement cinq de ces conditions essentielles.
La première est le courage. « Il est plus facile de commencer une guerre que d’en terminer une », a-t-il déclaré, citant Gabriel García Marquez, lauréat colombien du prix Nobel de littérature en 1982. La poursuite de la paix exige une « forme distincte de courage moral » qui nous oblige à nous élever au-dessus de nous-mêmes, de nos peurs, de nos souvenirs douloureux, de nos échecs passés et de notre pessimisme quant à la réussite des nouvelles tentatives. À de multiples reprises, il s’est concentré sur les héros du passé et du présent de la Colombie, qu’il a qualifiés d ‘ « artisans de paix », dont beaucoup ont donné leur vie pour parvenir à la réconciliation. Ce faisant, il encourageait les Colombiens aujourd’hui, comme eux, à prendre le risque d’aller de l’avant. Il a dit à Villavicencio : « Ce dont nous avons besoin, c’est que certains fassent courageusement le premier pas… sans attendre que les autres le fassent. Nous n’avons besoin que d’une seule bonne personne pour avoir de l’espoir ! Et chacun de nous peut être cette personne ! »
La seconde est le pardon. Le pape François a reconnu combien il est difficile de résister à la « tentation de la vengeance », surtout après des décennies de méfiance et d’effusion de sang. Il est plus facile, a-t-il dit, de vouloir « expulser » les autres plutôt que de les « intégrer ». Les blessures du cœur, a-t-il ajouté, « sont plus profondes et plus difficiles à guérir que celles du corps ».
Toutefois, faire un premier pas déterminé vers la paix implique, a-t-il souligné, « de renoncer à la prétention à être pardonné sans montrer qu’on pardonne, à être aimé sans manifester d’amour ». Il a repris les paroles d’un survivant de la violence qui a dit qu’il n’est pas possible de vivre avec du ressentiment et qui a déclaré que c’est seulement si nous aidons à « délier les nœuds de la violence » et du ressentiment dans nos cœurs que nous dénouerons les « fils complexes des désaccords ».
Par le pardon, nous commençons à guérir les blessures les uns des autres, a-t-il dit, parce que tous les Colombiens, d’une manière ou d’une autre, d’un côté ou de l’autre, sont des victimes et ont souffert de la perte d’humanité issue de tant de violence et de mort. Ceux qui ont eu tort devraient être sauvés, pas détruits, guéris, pas éliminés. Et dans l’un des appels les plus directs de son voyage, il a imploré : « Chers citoyens de Colombie, n’ayez pas peur de demander le pardon et de l’offrir… Il est maintenant temps de guérir les blessures, de construire des ponts, de surmonter les différences ».
La troisième condition est la réconciliation. Quand le pardon est mutuellement offert, il y a une chance de réconciliation. Le pape François a dit que nous ne pouvons pas traiter la réconciliation comme un terme abstrait. La réconciliation implique, a-t-il dit, « d’ouvrir une porte à toutes les personnes qui ont vécu la tragique réalité du conflit », lorsque les gens ensemble « surmontent la tentation de l’égoïsme et… renoncent aux tentatives de pseudo-justice ». Sans un engagement sincère à la réconciliation, a-t-il dit, « chaque effort de paix… est toujours destiné à échouer ».
La quatrième est le besoin de vérité et de justice. L’accent mis sur le pardon et la réconciliation ne peut éliminer le besoin de vérité et de justice. « La vérité », a déclaré le pape François à Villavicencio, « est un compagnon inséparable de la justice et de la miséricorde. Toutes les trois sont essentielles pour construire la paix ; chacune empêche l’autre d’être altérée et transformée en instruments de vengeance contre les plus faibles ». Il a dit que la vérité « signifie dire aux familles déchirées par la douleur ce qui est arrivé à leurs parents disparus. La vérité signifie confesser ce qui est arrivé aux mineurs recrutés par des personnes violentes. La vérité signifie reconnaître la souffrance des femmes victimes de violence et d’abus ».
La justice, a-t-il dit, est également essentielle pour rendre la paix possible. Elle ne peut pas être une « loi du plus puissant », mais doit découler de lois justes, approuvées par tous, qui peuvent aider à surmonter les conflits qui ont déchiré la Colombie. Ces lois justes doivent, a-t-il dit, se confronter aux « ténèbres de l’injustice et de l’inégalité sociale, à l’obscurité corruptrice des intérêts personnels et de groupe qui consomment de manière égoïste et incontrôlée ce qui est destiné au bien de tous, à l’obscurité du manque de respect pour la vie humaine qui détruit tous les jours la vie de nombreux innocents, aux ténèbres de la soif de vengeance et de la haine qui tache les mains de ceux qui voudraient réparer les torts de leur propre autorité, à l’obscurité de ceux qui deviennent insensibles à la douleur de tant de victimes ».
Il a précisé qu’une partie de l’obscurité qui doit être vigoureusement confrontée est le fléau de la toxicomanie et la domination de seigneurs de la drogue peu scrupuleux qui, a-t-il dit, « récoltent des profits au mépris des lois morales et civiles ». En condamnant fermement le commerce qui « ne fait que semer la mort partout, déracine tant d’espoirs et détruit tant de familles », il a souligné qu’ « on ne peut pas jouer avec la vie de nos frères et sœurs ni instrumentaliser leur dignité ». Il a appelé les évêques de Colombie à être en particulier « courageux en rappelant clairement et calmement à tous qu’une société sous l’emprise de la drogue subit une métastase morale qui colporte l’enfer, sème la corruption rampante et crée des paradis fiscaux ». Il n’y aura pas de paix, suggérait-il, dans cet enfer terrestre.
La cinquième condition est le besoin d’une culture de la rencontre. Contrairement à cette culture de la violence et de la désintégration sociale qui découle de la drogue et de la violence, le pape François a souligné qu’il doit y avoir une culture de la rencontre. Tout en soutenant évidemment les Accords de Paix, le pape François a déclaré en même temps : « La paix ne se réalise pas par des cadres normatifs et des arrangements institutionnels entre des groupes politiques ou économiques bien intentionnés ».
Il faut plutôt « une rencontre personnelle entre les parties, qui inclue ceux qui « ont souvent été négligés ». Rien, a-t-il dit, « ne peut remplacer cette rencontre qui guérit ; aucun processus collectif ne nous dispense du défi [personnel] de rencontrer, clarifier, pardonner ». Alors que les leaders ont leur propre travail à faire de haut en bas, il insistait sur le besoin de générer le changement « à partir d’en bas » à travers la culture, en remplaçant, a-t-il dit, « la culture de la mort et de la violence par la culture de la vie et de la rencontre ». Il prophétiquement a mis au défi chaque Colombien, et d’une manière particulière chaque chrétien colombien, de se demander combien il avait travaillé pour la paix en travaillant pour cette rencontre.
Faire le premier pas avec détermination implique ces cinq éléments : le courage, le pardon, la réconciliation, la vérité et la justice, et la rencontre.
Le pape François a demandé aux Colombiens de faire ce premier pas ensemble, et dans la direction commune qui mène à la paix qu’il a essayé de dessiner. Il a cependant ajouté, dans ce qu’il appelait son « dernier mot » immédiatement avant de quitter Carthagène pour rentrer à Rome : « Ne nous contentons pas de faire le premier pas. Renouvelons plutôt notre chemin chaque jour, allant de l’avant pour rencontrer les autres et encourager la concorde et la fraternité. Nous ne pouvons pas rester immobiles ». Plutôt que d’attendre que les autres fassent le premier pas, il a appelé tout le monde à « sortir pour rencontrer » les autres, en leur apportant une étreinte de paix dépourvue de toute violence. C’est l’embrassade qu’il cherchait lui-même à étendre à toute la nation. C’est l’étreinte qu’il essaie d’encourager le monde entier à étendre à la Colombie et les uns envers les autres, afin qu’ensemble, nous contribuions à l’avènement d’un monde plus inclusif et pacifique.
Merci encore une fois d’être venus aujourd’hui et je vous invite à participer activement à la discussion après les présentations.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Plaza de armas 7 sept .2017, Bogota (Colombie) © L'Osservatore Romano
ONU: retour sur le voyage du pape en Colombie, par Mgr Auza (traduction complète)
Faire sortir un bien du mal que le pays a enduré