Pour Mgr Jurkovic, il est « nécessaire de protéger les droits de propriété intellectuelle en tant qu’incitation à l’innovation et à la création de technologies, mais il est également important de garantir un large accès aux technologies et aux connaissances, en particulier pour les pays à faible revenu ».
Mgr Ivan Jurkovic, observateur permanent du Saint-Siège auprès de l’Organisation des Nations Unies et des autres organisations internationales à Genève, est intervenu à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), au Conseil des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (TRIPs), le 19 octobre 2017 à Genève. Il a abordé le Point 13 intitulé « Propriété intellectuelle et intérêt public : suivi des licences obligatoires ».
« Les efforts déployés par les pays en développement, explique Mgr Jurkovic, pour faire davantage usage des flexibilités, limitations et exceptions à la propriété intellectuelle pour faire progresser les objectifs de politique publique dans des domaines tels que la santé, l’éducation, l’agriculture, l’alimentation et le transfert de technologie, pourraient représenter un énorme pas en avant ».
Voici notre traduction de la déclaration, en anglais, de Mgr Jurkovic.
HG
Intervention de Mgr Jurkovic
Monsieur le Président,
Puisque c’est la première fois que ma délégation prend la parole au cours de la présente session du Conseil des ADPIC, permettez-moi de commencer par vous féliciter pour votre élection à la présidence et en vous assurant du plein soutien de la délégation du Saint-Siège.
La propriété intellectuelle (PI) profite à l’intérêt public en incitant à l’innovation. Un système de propriété intellectuelle efficace peut aider tous les pays à réaliser le potentiel de la propriété intellectuelle en tant que catalyseur du développement économique et du bien-être social et culturel. Le système de la propriété intellectuelle permet de trouver un équilibre entre les intérêts des innovateurs et l’intérêt public, offrant un environnement dans lequel la créativité et l’invention peuvent prospérer pour le bénéfice de tous.
Un système de propriété intellectuelle équitable, par définition, résulte d’un délicat équilibre. Comme le rappelle la Convention de l’OMPI de 1996 sur le droit d’auteur, « il est nécessaire de maintenir un équilibre entre les droits des auteurs et l’intérêt public général, en particulier l’éducation, la recherche et l’accès à l’information ». Un espace politique flexible, dans les limites des objectifs, principes et normes convenus à l’échelle internationale, est nécessaire pour permettre à chaque Membre de développer et d’adapter plus adéquatement l’ensemble des réglementations relatives à la propriété intellectuelle en fonction de ses besoins particuliers.
La propriété intellectuelle, telle que prévue à l’article 7 de l’accord ADPIC, devrait contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie au profit mutuel des utilisateurs et des producteurs de connaissances technologiques, d’une manière qui conduise au bien-être social et économique et pour équilibrer les droits et les obligations. La recherche d’un équilibre entre la nécessité d’une part de protéger les droits de propriété intellectuelle et d’encourager la recherche et le développement et, d’autre part, de répondre aux préoccupations concernant l’impact potentiel d’une telle protection sur le secteur de la santé, en particulier ses effets sur les prix, a été continuellement évoquée par le Saint-Siège à ce Conseil et dans d’autres instances.
Conformément aux objectifs et aux principes de l’Accord sur les ADPIC entérinés dans les articles 7 et 8, un certain nombre de flexibilités sont devenues partie intégrante du cadre des ADPIC et peuvent être utilisées pour poursuivre des objectifs de santé publique. Toutefois, pour mettre en œuvre ces flexibilités, il faut agir au niveau national en les intégrant dans les régimes nationaux de propriété intellectuelle, en tenant compte des besoins spécifiques de chaque pays et de ses objectifs politiques. Les Membres de l’OMC ont la possibilité d’interpréter et de mettre en œuvre les dispositions de l’Accord sur les ADPIC de manière à soutenir leur droit de protéger la santé publique. Le Groupe de haut niveau des Nations Unies sur l’accès à la médecine, dans son rapport au Secrétaire général, a souligné l’importance des flexibilités de l’Accord sur les ADPIC et, dans l’espoir de la réalisation des Objectifs de développement durable (3), a recommandé l’utilisation de ces objectifs.
La délégation du Saint-Siège reconnaît que l’accélération de la recherche de solutions aux problèmes dans le monde, auxquels la protection des droits de propriété intellectuelle peut répondre, s’est accompagnée d’une accélération de l’influence du capital d’investissement pour transformer la propriété intellectuelle d’atout économique et de compensation pour les innovateurs individuels en une immobilisation ou un facteur de production pour l’industrie.
À l’ère de la numérisation et de la mondialisation, les besoins des pays en développement sont encore plus critiques. L’accès aux biens de la connaissance, à la fois pour enrichir les ressources humaines et faciliter la croissance économique, est une exigence indispensable pour le système international. Les pays en développement ont un rôle à jouer en mettant activement en œuvre les limitations et les exceptions de la manière qui convient le mieux à leurs besoins domestiques, en particulier la nécessité de stimuler la créativité locale.
En ce sens, les efforts déployés par les pays en développement pour faire davantage usage des flexibilités, limitations et exceptions à la propriété intellectuelle pour faire progresser les objectifs de politique publique dans des domaines tels que la santé, l’éducation, l’agriculture, l’alimentation et le transfert de technologie pourraient représenter un énorme pas en avant. Le rôle des limitations et exceptions dans la promotion du bien-être public est important non seulement pour les utilisateurs de biens de connaissance, mais aussi pour les créateurs. En l’absence d’un équilibre approprié entre la protection et l’accès, le système international de la propriété intellectuelle non seulement appauvrit le public mondial, mais mine sa propre capacité à soutenir et à récompenser l’entreprise créatrice pour l’avenir à long terme.
En conclusion, Monsieur le Président,
Le respect de l’exercice des droits de propriété intellectuelle est clairement subordonné au bien commun. Il sert de moyen à une fin, plutôt qu’une fin en soi. L’économie du savoir évolue de plus en plus en devenant un moteur de l’économie mondiale. Il est donc nécessaire de protéger les droits de propriété intellectuelle en tant qu’incitation à l’innovation et à la création de technologies, mais il est également important de garantir un large accès aux technologies et aux connaissances, en particulier pour les pays à faible revenu. Les nouveaux produits dérivés des progrès de la science et de la technologie sont essentiels à l’intégration dans le commerce mondial et l’utilisation des flexibilités par les pays moins développés pourrait les aider à rattraper leur retard et à gagner en compétitivité commerciale internationale.
Merci, Monsieur le Président.
© Traduction de Zenit, Hélène Ginabat
Mgr Ivan Jurkovic © RV
ONU : les pays en développement doivent accéder à la propriété intellectuelle
Plaidoyer de Mgr Jurkovic (traduction complète)