« La soif du cœur ». C’est le thème de la méditation de Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, sur les lectures de la messe de dimanche prochain, 19 mars 2017 (IIIème Dimanche de carême – Année A – Ez 17,3-7; Ps 94; Rm 5,1-2.5-8; Jn 4,5-42).
« Puisque Dieu est amour, Il a soif d’aimer et d’être aimé; l’homme, sa créature, a soif d’être aimé et d’aimer », souligne Mgr Follo. « Pour répondre à cette soif profonde que notre esprit a, le Christ met une seule condition pour qu’il puisse se donner, il demande une ‘aumône’ : que nous lui offrions de l’eau pour sa soif. L’eau qu’il demande à recevoir de la part de la Samaritaine, est une aumône grâce à laquelle notre main et notre cœur s’ouvrent et puissent ainsi recevoir beaucoup plus, infiniment plus ».
Méditation de Mgr Follo
La soif du cœur
Introduction
Pour IIIème dimanche de Carême, comme plus tard pour les IVème et Vème dimanche de Carême, l’Eglise nous ne propose pas l’Evangile selon Mattieu mais trois passages tirés de l’Evangile selon Saint Jean où on retrouve le récit des trois rencontres de Jésus :
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Celle de la Samaritaine qui arrive au puits de Jacob et qui reçoit, comme don, l’eau qui désaltère pour toujours;
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Celle de l’aveugle de naissance qui reçoit la lumière des yeux et celle du cœur;
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Celle de l’ami Lazare que le Christ ressuscite.
La rencontre de chacune de ces trois personnes met en évidence (en lumière) certains aspects de la personne de Jésus, Fils de Dieu, qui donne la vie, en désaltérant avec l’eau « spirituelle », en donnant la lumière pour voir Dieu et pas seulement les choses, en donnant la vie à l’ami, ce qui veut dire à chacun de nous.
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Notre soif
Puisque Dieu est amour, Il a soif d’aimer et d’être aimé; l’homme, sa créature, a soif d’être aimé et d’aimer. Cette soif porte, aujourd’hui, le Christ à demander à la femme Samaritaine : « Donne-moi à boire » (cfr Jn 4,7). Le Fils de Dieu vient à nous comme un mendiant, il a besoin de ce que nous pouvons lui donner : « La chose la plus grande dans l’amour de Dieu n’est pas le fait qu’il nous aime, mais le fait qu’il nous demande notre amour, comme s’il ne pouvait se passer de ce que nous lui pouvons donner. Lui qui est infini, lui qui est éternel, lui qui est suffisant à lui-même, il est fatigué et se repose au bord d’un puits » (Don Divo Barsotti). La Samaritaine représente l’humanité entière, et sa soif d’amour ne peut pas être assouvie par aucun homme (la Samaritaine en a eu six).
Nous cherchons à imaginer la scène de l’Evangile d’aujourd’hui : vers midi une femme va chercher de l’eau au puits de Jacob, qui se trouve à côté du village où elle habite, et dans quelques minutes, elle aboutit à la foi que la rencontre avec le Christ suscite. Jésus est là au puits à l’attendre et exprime lui aussi son désir. Cela veut dire que la foi nait de la rencontre de ces deux désirs profonds qui « dialoguent » entre eux. La soif du Christ révèle le secret de la soif de cette femme qui nous représente tous.
Pourquoi cette femme arrive-t-elle à la foi et pourquoi y arrive-t-elle si rapidement?
Parce qu’elle accepte de dialoguer avec le Christ qui l’attend au bord d’un puits. Parce qu’elle arrive au puits, où elle va tous les jours parce que son corps a soif tous les jours. Toutefois, la Samaritaine a aussi soif et surtout soif d’amour et elle ne la trouve ni dans l’amour exacerbé ni en changeant continuellement d’amour (avec cinq hommes déjà quittés, celui avec elle vit maintenant, le Christ se présente, en étant lui le « septième »)
Parce qu’elle n’y arrive pas seulement assoiffée d’eau qui désaltère le corps mais aussi de celle qui éteint la soif de vérité, d’amour et de justice. Cette soif « spirituelle » – devant Jésus qui lui dit « Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit :
‘Donne-moi à boire’, c’est toi qui lui aurais demandé, et il t’aurait donné de l’eau vive. »
(Jn 4, 10) – porte cette femme à mendier en disant « Seigneur, donne-moi de cette eau » (Jn 4, 15).
Cette femme ne représente pas seulement l’humanité vivante au temps de la vie terrestre du Christ. Elle représente aussi toute l’humanité de toujours, dont la soif est bien exprimée par ces mots : » Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau (Ps 63, 2).
La soif de l’homme ne s’est pas éteinte ni en ce temps-là ni à jamais : elle est inextinguible. En chaque être humain se trouve la question essentielle du sens (à entendre comme signification, direction et goût de la vie) et ouverture à l’Infini. A cette demande d’infini, le monde répond avec une infinité des choses qui ne comblent jamais le cœur de l’homme qui veut l’infini, parce qu’il est capable de Dieu. A cet égard, le Catéchisme de l’Eglise Catholique, au Chapitre I qui a pour titre : L’homme est « capable » de Dieu, souligne le fait que le désir (cela veut dire la soif) de Dieu est inscrit dans le cœur de l’homme, parce que l’homme a été créé par Dieu et pour Dieu; et Dieu ne cesse d’attirer à Lui l’homme, et en Dieu seulement l’homme trouvera la vérité et le bonheur qu’il cherche sans arrêt. Le sens de la vie humaine consiste dans sa vocation à la communion avec Dieu, source de joie.
Si nous demandions à tous ceux qui ne connaissent encore le Christ, à ceux qui ne l’ont pas encore rencontré, aussi à ceux qui ne veulent pas le chercher, beaucoup d’entre eux répondraient qu’ils sont contents de leur sort. Ils vont chercher l’eau, mais ils n’ont pas besoin de Dieu. Ils vont au puits pour chercher l’eau pour le corps, mais ils ne se rendent pas compte d’avoir eux aussi soif d’une autre eau. La présence du Christ révèle à l’âme son vide que seulement l’amour infini de Dieu peut combler. A cet égard, je cite le bienheureux Charles de Foucauld qui, dans une de ses méditations, parle de la tristesse dans laquelle les passions terrestres le laissaient quand, encore athée, il croyait étouffer dans les transgressions cette soif de Dieu qui est vraiment propre à l’homme.
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La soif du Christ.
Pour répondre à cette soif profonde que notre esprit a, le Christ met une seule condition pour qu’il puisse se donner, il demande une « aumône » : que nous lui offrions de l’eau pour sa soif. L’eau qu’il demande à recevoir de la part de la Samaritaine, est une aumône grâce à laquelle notre main et notre cœur s’ouvrent et puissent ainsi recevoir beaucoup plus, infiniment plus.
Inspiré par une peinture de Duccio de Boninsegna qui dépeint Jésus assis sur le bord d’un puits, qui est à vrai dire un font baptismal1 en marbre, solide, et la femme Samaritaine avec une cruche d’argile fragile sur la tête, en équilibre précaire, je peux écrire que Jésus a besoin de la cruche de chacun de nous pour la mettre dans le puits, c’est-à-dire qu’Il a besoin de notre liberté, de notre amour libre, qu’Il rachète.
Le chemin spirituel de la Samaritaine nous est proposé aujourd’hui. Il est un itinéraire, que chacun de nous est appelé à redécouvrir et à parcourir constamment. Nous aussi, qui sommes baptisés, nous sommes toujours en chemin pour devenir de vrais chrétiens, et cet épisode évangélique est une incitation à redécouvrir l’importance et le sens de notre vie chrétienne, le vrai désir de Dieu qui vit en nous.
En nous proposant aujourd’hui l’Evangile de la femme Samaritaine, l’Eglise veut nous emmener à professer notre foi en Christ – comme cette femme l’a fait – en allant annoncer et témoigner à nos frères la joie de la rencontre avec Lui et les merveilles que son amour accomplit dans nos vies.
La foi naît de la rencontre avec Jésus, reconnu et accueilli comme un sauveur, qui révèle le visage de Dieu. Une fois que le Seigneur a gagné le cœur de la femme Samaritaine, sa vie est transformée et elle court sans délai pour communiquer la bonne nouvelle aux gens. Saint-Augustin disait que Dieu a soif de notre soif de Lui. C’est-à-dire : Dieu désire être désiré.
Plus l’être humain se détourne de Dieu et plus Lui le poursuit de son amour miséricordieux. Donc, aujourd’hui, l’Evangile nous invite à revoir notre relation avec Jésus, à chercher son visage sans relâche. « C’est le désir qui creuse nos cœurs»2 (saint Augustin). Il les élargit, les rend plus grands. C’est «le désir qui rend plus profond le cœur et la «vie d’un bon chrétien consiste en un saint désir »3 (Id.).
Un bon témoignage d’une bonne vie chrétienne est celui des vierges consacrées dans le monde, qui mortifient leur soif d’amour humain pour boire seulement l’eau de la vie qui coule du Christ, et pour étancher Sa soif.
La virginité consacrée « n’est pas manque de désir, mais intensité du désir» (Sainte Thérèse d’Avila) et c’est une vocation qui exprime comment il est possible vivre une vie qui est abreuvée seulement par « l’eau » de Dieu. Cette vie donnée et, donc, féconde doit être vécue avec une attitude de foi et de joie spirituelle, nourrie par la prière. Elle est à vivre avec un détachement de la vie de couple, mais aussi des sympathies qui sont trop limitées, pour diriger toutes les énergies (y compris les énergies affectives) vers la communion avec le Christ et avec ceux qui deviennent proches à cause de lui. (cf rituel de consécration des vierges, N°24 : « comment un être de chair pourrait-il en effet, maîtriser les appels de la nature, renoncer librement au mariage et s’affranchir des contraintes de toutes sortes, si tu n’allumes ce désir Seigneur, si tu n’alimentes cette flamme et si ta puissance ne l’entretient ?… C’est en effet ton esprit Saint qui suscite au milieu de ton peuple des hommes et des femmes conscients de la grandeur et de la sainteté du mariage et capable de renoncer à cet état afin de s’attacher dès maintenant à la réalité qu’il préfigure : l’union du Christ et de l’Eglise »).
La personne qui vit la virginité consacrée est un don précieux pour l’Eglise: en fait, elle témoigne de la présence initiale du royaume de Dieu et l’espérance sûre de son achèvement. La virginité rend plus disponible au service. Enfin n’oublions pas que la virginité ne contredit pas la dignité du mariage, mais la présuppose, la confirme, la défend contre des interprétations réductrices. Elle rappelle aux mariés qui doivent vivre le mariage comme une anticipation et une figure de la parfaite communion avec Dieu Le « Toi» que tout le monde cherche, est en fin de compte Dieu : l’autre conjoint ne peut pas satisfaire son désir illimité d’amour. Les vraies noces sont celles avec Dieu.
Lecture Patristique
Saint Augustin (353 – 430)
Commentaire sur l’évangile de Jean, 15, 6-7
CCL 36, 152-153
Jésus, fatigué par la route, s’était assis au bord du puits. Il était environ midi (Jn 4,6). Voilà que commencent les mystères. Car ce n’est pas pour rien que Jésus est fatigué; ce n’est pas pour rien, qu’est fatiguée la Force de Dieu; ce n’est pas pour rien qu’est fatigué celui qui refait les forces des fatigués; ce n’est pas sans raison qu’est fatigué celui dont l’absence cause nos fatigues, dont la présence nous fortifie. Jésus cependant est fatigué, et il est fatigué par la route; il s’assied, et il s’assied au bord du puits, et c’est à midi qu’il s’assied, fatigué. Tout cela suggère quelque chose, veut indiquer quelque chose; tout cela nous rend attentifs, nous exhorte à frapper. Qu’il nous ouvre donc lui-même, à nous comme à vous, celui qui a daigné nous exhorter en disant: Frappez, et il vous sera ouvert (Mt 7,7). C’est pour toi que Jésus est fatigué par la route. Nous trouvons Jésus, qui est la Force même, et nous trouvons Jésus qui est faible, fort et faible. Fort, car au commencement le Verbe était, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu; il était au commencement auprès de Dieu (Jn 1,1-2). Voulez-vous voir à quel point ce Fils de Dieu est fort? Par lui tout s’est fait, et rien de ce qui s’est fait ne s’est fait sans lui (Jn 1,3), et il a tout fait sans effort. Qu’y a-t-il donc de plus fort que celui par qui tout a été fait sans effort?
Veux-tu connaître sa faiblesse? Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous (Jn 1,14). La force du Christ t’a créé, la faiblesse du Christ t’a recréé. La force du Christ a fait exister ce qui n’existait pas, la faiblesse du Christ a empêché de périr ce qui existait. Il nous a créés par sa force, il est venu nous chercher par sa faiblesse.
Ainsi donc Jésus est faible, lui qui est fatigué par la route. La route, c’est la chair, assumée pour nous. Quelle route, en effet, parcourt-il, celui qui est partout, celui qui n’est absent nulle part? Où va-t-il, ou bien d’où vient-il? N’est-ce pas en ce sens qu’il vient pour nous, et qu’il a assumé la forme d’une chair visible? Parce qu’il a daigné venir à nous maintenant pour apparaître en ayant assumé la forme de serviteur, cette assomption de la chair, voilà quelle route il a prise. Aussi, cette fatigue de la route est-elle autre chose que la fatigue produite par la chair? Jésus est faible dans la chair, mais toi, ne sois pas faible, sois fort dans sa faiblesse, car la faiblesse de Dieu est plus forte que l’homme (1Co 1,25).
3 Vita boni christiani sanctum desiderium est.