P. Arturo Sosa Abascal SJ © Compagnia di Gesù

P. Arturo Sosa Abascal SJ © Compagnia di Gesù

Les jésuites sont-ils encore des formateurs et des directeurs spirituels ? Réponse du nouveau « général»

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Entretien avec le directeur de L’Osservatore Romano, G.M. Vian

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Les jésuites sont-ils encore des formateurs et des directeurs spirituels ? « Plus que jamais » répond leur nouveau « général » le p. Sosa qui avoue ses « deux grandes passions » : « lutte et contemplation, ».
Sous le titre «Les deux sources», L’Osservatore Romano en italien du 21 décembre 2016 a en effet publié une interview du père Arturo Sosa, nouveau supérieur général de la Compagnie de Jésus, réalisée par Giovanni Maria Vian, directeur du quotidien de la Cité du Vatican.
Le pape François a été le premier pape d’Amérique latine, et le p. Arturo Sosa, 68 ans, du Venezuela, est le premier général des jésuites non européen, élu le 14 octobre dernier.
Lutte et contemplation
Les jésuites sont des « formateurs » et des « directeurs spirituels » « aujourd’hui plus que jamais, explique le p. Sosa : « Maintenant, ce service de la vie spirituelle s’est multiplié, exactement comme se sont multipliés les manières, les lieux et les personnes. Les exercices spirituels ignaciens d’un mois ou même d’une semaine sont presque impossibles à cause des rythmes de la vie contemporaine, et alors des formes alternatives au quotidien voient le jour, pouvant durer huit ou neuf mois. Et ce ne sont plus seulement les jésuites qui les donnent, mais beaucoup d’autres personnes aussi, laïques ou religieuses, hommes ou femmes. Après le concile, qui a été une grâce, nous sommes beaucoup plus sensibles à la diversité des vocations et des dons qui viennent de Dieu. »
Il rappelle l’engagement des jésuites dans le monde dans des missions très diversifiées : « Nous sommes missionnaires et les frontières, comme dans toute notre histoire, sont très nombreuses aujourd’hui : l’éducation, traditionnelle comme populaire, le service des réfugiés, le champ très vaste de la lutte pour la justice sociale et celui de la formation à l’engagement politique. Celui-ci, avec la vie religieuse, est une de mes deux grandes passions : lutte et contemplation, pour utiliser une expression d’il y a quelques décennies. »
Le nouveau « général » confie à L’Osservatore Romano quelques éléments pour comprendre qui il est : « Il suffit de garder présentes deux sources : ma famille et le collège Saint-Ignace de Caracas, que j’ai fréquenté des classes élémentaires au lycée, c’est-à-dire depuis que j’avais cinq ans jusqu’à ce que j’en ai dix-sept. »
La famille et le collège
Il a appris à prier en famille : « Ma famille est vénézuélienne depuis plus de trois générations, mais mon grand-père maternel était arrivé en Amérique d’Espagne cantabrique, de Santander. Nous sommes six frères et soeurs. Je suis l’aîné, puis viennent deux sœurs, un autre frère qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis et deux autres sœurs, toutes les quatre au Venezuela. Une famille pratiquante, avec une grand-tante religieuse et un cousin jésuite. Et c’est précisément là, dans ma famille, que j’ai appris à prier et à m’ouvrir à l’expérience des autres. Déjà, quand j’étais enfant, mon père m’emmenait souvent avec lui dans ses voyages dans tout le pays. Il était avocat et économiste, entrepreneur entré en politique qui, pendant un an, a été ministre des finances dans un gouvernement de transition après la fin de la dictature de Marcos Pérez Jiménez. Pendant presque tout le vingtième siècle, le Venezuela a traversé des dictatures et l’engagement de mon père, à la fin des années cinquante, a été en vue de créer des espaces démocratiques. Et en famille, j’ai appris que personne ne se sauve tout seul : si nous voulions aller bien, nous devions contribuer au bien-être du pays. »
Quant au Collège Saint-Ignace, il l’a fréquenté pendant presque 13 ans, de 1953 à 1966 : « Il y avait beaucoup de jeunes jésuites et nous étions là-bas du matin au soir, du lundi au samedi. Après l’école ils nous emmenaient visiter les hôpitaux ou bien à la campagne pour être avec les paysans. Je me souviens de ces années comme d’un environnement très créatif. Je faisais aussi partie d’une congrégation mariale et je jouais, à la vérité plutôt mal, au football, au baseball et au basket. Après le lycée, j’ai senti que, pour mieux contribuer au bien de tous, je devais entrer chez les jésuites et c’est ce que j’ai fait, le 14 septembre 1966 peu de temps avant mes dix-huit ans. »
Puis il a suivi les étapes habituelles de la formation des jésuites : « Noviciat, études de philosophie à l’université catholique Andrés Bello de Caracas, ensuite une période dans le groupe du Centre Gumilla, tenu par les jésuites pour soutenir des coopératives pour l’épargne et le crédit dans le centre du pays, et puis la théologie à Rome, au collège du Gesù et à la Grégorienne, entre 1974 et 1977, année où j’ai été ordonné prêtre. Mais je suis rentré au Venezuela pour compléter la théologie pendant qu’à l’Université centrale de Caracas, je préparais un doctorat en sciences politiques, matière que j’ai enseigné à la « centrale » et à Andrés Bello, m’occupant surtout d’histoire des idées. Pendant presque vingt ans, j’ai aussi dirigé la revue des jésuites « Sic ». De 1996 à 2004, j’ai été provincial de la Compagnie au Venezuela et enfin recteur de l’Université catholique du Táchira de 2004 à 2014. Cette année-là, le général (le père Adolfo Nicolas, ndlr) m’a appelé à Rome pour m’occuper des maisons internationales, où travaillaient quatre cents jésuites qui dépendent directement de lui. »
L’Argentine et le Venezuela
Le fait qu’un pape jésuite sud-américain et un « général » du Venezuela soient élus à la même époque et pour la première fois – alors que la Compagnie a été fondée à Paris le 15 août 1534 – est peut-être bien un signe des temps : « C’est certainement, estime le p. Sosa, le fruit d’un changement qui investit toute l’Église et un signe de sa catholicité, comme cela a été évident pour l’élection au conclave de Bergoglio. Mais je veux souligner un donné historique indéniable très important : cela a été la générosité missionnaire européenne qui l’a permis et qui a favorisé cette prédisposition à l’inculturation qui est typique des jésuites et de leurs missions. Le processus a duré plus d’un siècle et demi et a porté aujourd’hui la Compagnie à être une réalité multiculturelle, incarnée désormais dans des dizaines de cultures, pour aider les personnes et les sociétés à être plus humaines, en montrant Jésus-Christ le visage de Dieu. C’est une richesse énorme pour les jésuites et pour toutes les Églises. Comme dans celle, latino-américaine, très vitale, souvent injustement aplatie sur une théologie de la libération qui a souvent été présentée de manière caricaturale comme marxiste : une médiation de la foi chrétienne que je définissais dans un article, dès les années soixante-dix, comme impossible. »
Pour ce qui est de la relative diminution du nombre des jésuites dans le monde, avec cependant près de 17 000 membres en 2013, il rappelle que saint Ignace ne visait pas une Compagnie nombreuse : « Le nombre n’est pas un critère pour juger l’état de santé des jésuites : dès les débuts, Ignace parlait de « minima Compagnia ». Nous préférons la qualité à la quantité et il n’y a pas de doute que la rigueur dans notre formation, si possible, est aujourd’hui encore plus grande que celle d’autrefois. Certes, je ne nie pas la forte crise que nous traversons en Europe et aux États-Unis, principalement à cause du sécularisme et de la crise démographique. La formation académique et spirituelle doit ensuite tenir compte que beaucoup de professionnels entrent chez les jésuites. Et le cadre de la préparation s’est diversifié encore plus qu’auparavant, s’élargissant à la psychologie, aux sciences sociales, aux domaines scientifiques. »
Il rend spécialement hommage à la vocation des « frères jésuites » : « C’est aussi au niveau culturel général plus élevé que l’on doit la raréfaction des frères, autrefois  très nombreux dans la Compagnie. Et je dis avec fierté que ma vocation leur doit beaucoup, aux « frères maîtres », comme à celle des jeunes jésuites non encore ordonnés. Très souvent, je suis muet devant l’expérience de Dieu de ces frères qui sont religieux non prêtres. Je me souviens en particulier de l’un d’eux qui s’est occupé des animaux dans une ferme pendant toute sa vie : c’était un contemplatif. Mais il faut garder à l’esprit que la forme idéale de la Compagnie est celle des profès (les jésuites qui arrivent au quatrième vœu), aujourd’hui en grande majorité par rapport aux coadjuteurs (qui, eux, ne le prononcent pas), aux scolastiques (ceux qui sont en formation) et, justement, aux frères. »
Traduction de Zenit, Constance Roques

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