« Une nouvelle qu’il faut aller voir: Jésus qui naît à Bethléem, dans l’Eglise et dans nos cœurs », explique Mgr Francesco Follo dans ce commentaire des lectures de la messe de minuit (Isaïe 9,1-6; psaume 95; Tite 2,11-14; Lc 2,1-14), ce 25 décembre 2016.
L’Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO, à Paris, propose ensuite comme lecture patristique un sermon de Noël de Théodote d’Ancyre (+ après 438).
Un Noël de vie à Bethléem, qui est l’Église
1.Il est né à Bethléem, allons nous agenouiller
Dans la messe de minuit et dans celle du matin, la liturgie de Noël propose le récit de la naissance de Jésus selon saint Luc[1], qui rapporte l’annonce de l’ange aux bergers : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur » (Lc 2, 11).
Aujourd’hui, 25 décembre 2016, pour nous « est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David ». Cette ville est Bethléem et, comme le firent les bergers dès qu’ils eurent entendu l’annonce angélique, c’est là que nous devons nous hâter de nous rendre.
Aujourd’hui, comme dans la sainte nuit d’il y a plus de 2000 ans, ceci est le signe qui est donné : « un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Lc 2, 12). C’est un signe qui frappe par sa totale simplicité. Ce qui surprend, c’est l’absence de tout trait merveilleux. Les bergers, et nous avec eux, sont bien sûr à la fois enveloppés et apeurés par la gloire de Dieu, mais le signe qu’ils reçoivent est simplement : « Vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (id). Et quand ils arrivent à Bethléem, ils ne voient rien d’autre qu’un humble nouveau-né dans une pauvre crèche. La merveille de Noël est là. Sans la révélation des anges, nous ne comprendrions pas que ce nouveau-né couché dans une mangeoire est le Seigneur. Et sans l’enfant couché dans la mangeoire, nous ne comprendrions pas que la gloire du vrai Dieu est différente de la gloire de l’homme.
L’amour tout-puissant est « sous la forme d’un petit enfant. La toute-puissance comme non-puissance. Non-puissance comme l’amour, qui dépasse tout, qui donne un sens à tout » (Saint Jean-Paul II, homélie du 24 décembre 1985). Dieu s’est fait petit enfant pour que nous puissions le comprendre, l’accueillir, l’aimer.
Ce tout-petit nous demande d’être aimé : révérons-le comme le Seigneur des anges, mais aimons-le comme un tendre nouveau-né. Craignons-le comme le Seigneur de la puissance, mais aimons-le emmailloté de langes. Respectons-le comme le roi du ciel, mais aimons-le dans la mangeoire qui est le trône et l’autel.
Aimons-le en nous mettant à genoux et cherchons à percevoir dans ses yeux rieurs de petit enfant les yeux émus du Crucifié et ceux, lumineux, du Ressuscité, en priant : « Seigneur, notre Dieu, accorde-nous de nous réjouir en célébrant par ces mystères la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ, en méritant par une digne conduite, de parvenir à la communion avec lui » (Lit. Mes.). Il est le Pain de Vie qui naît à Bethléem, qui veut dire en hébreu « maison du pain ».
« Cette maison du Pain est aujourd’hui l’Église, où se donne le corps du Christ, le vrai pain. La mangeoire de Bethléem est l’autel dans l’église. C’est ici que se nourrissent les créatures du Christ. Les langes sont le voile du sacrement. Ici, sous les espèces du pain et du vin, il y a le vrai corps et sang du Christ. Dans ce sacrement, nous croyons qu’il y a le Christ véritable, mais enveloppé de langes c’est-à-dire invisible. Nous n’avons pas de signe aussi grand et évident de la nativité du Christ que le corps que nous mangeons et le sang que nous buvons tous les jours en nous approchant de l’autel : tous les jours, nous voyons s’immoler celui qui est né une seule fois pour nous de la Vierge Marie. Hâtons-nous donc, frères, vers cette crèche du Seigneur ; mais avant, dans la mesure du possible, préparons-nous avec sa grâce à cette rencontre pour que tous les jours et pendant toute notre vie « d’un cœur pur, avec une conscience droite et une foi sincère » (2 Cor 6,6), nous puissions chanter avec les anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et paix sur terre aux hommes qu’il aime » (Lc 2,14) » (Aelred de Rievaulx, Discours 2 pour Noël).
2.Humilité de Noël
Sans la révélation apportée avec joie et humilité par les anges, nous ne comprendrions pas que l’enfant couché dans une mangeoire est le Seigneur. Et sans l’enfant couché dans la mangeoire, nous ne comprendrions pas que la gloire du vrai Dieu est différente de la gloire de l’homme.
Cette gloire se manifeste dans l’humilité et elle est comprise par l’humilité. C’est pourquoi l’évangile nous demande d’imiter l’humilité des bergers qui, reconnaissant dans un pauvre enfant encore sans parole le Logos, la Parole, le sens plénier de leur vie, l’adorent comme le roi des rois qui avait pourtant comme trône une pauvre mangeoire. Et c’est pour cela que nous devons imiter l’humilité des anges qui, dans la nuit étoilée et bénie, chantaient : « Gloire au plus haut du ciel et sur la terre paix aux hommes qu’il aime ».
Selon saint Bernard de Clairvaux, les anges sont insérés vitalement dans le plan salvifique réalisé par le Christ. Non seulement parce qu’ils acceptent ce dessein rédempteur et qu’ils y collaborent activement par leur amour total et inconditionnel.
À bien y réfléchir, dès l’incarnation de son Verbe, Dieu s’est « servi » des anges pour préparer les hommes au grand événement de la venue de son Fils sur la terre. Même après l’incarnation du Verbe, pendant sa passion, sa mort et sa résurrection, les anges furent présents et actifs. Et quand Jésus reviendra dans la gloire à la fin des temps, les anges seront encore là pour annoncer son avènement final.
À ce point-ci, m’inspirant encore de saint Bernard, je fais une précision sur la relation des anges avec le Christ. Celui-ci est Dieu, par conséquent les anges lui sont soumis, mais le Fils de Dieu a pris la faiblesse humaine et, en tant qu’homme, il leur est inférieur. On voit là leur humilité : ils servent le Verbe y compris en tant qu’homme, ils se soumettent à sa seigneurie, même humaine, parce que dans cet événement se réalise, se concrétise et se concentre la volonté supérieure de Dieu le Père. Ainsi en a voulu le Père et ils accueillent sa très haute volonté, se prosternant devant l’enfant qui naît à Bethléem. Jésus et un petit enfant, un homme en tout égal à nous excepté le péché, par conséquent un être faible, fragile, comparé à eux qui sont de purs esprits, toutefois dans cette chair humaine, subsiste le Verbe éternel de Dieu, leur Seigneur. Pour cette raison, ils s’inclinent, ils l’adorent, ils se prosternent et chantent sa gloire, ils le servent avec grande disponibilité et humilité. Faisons de même, parce que l’humilité du Christ est servie par l’humilité des anges et des bergers, en premier, puis arriveront les humbles rois mages.
Noël est un mystère d’humilité et il est bon qu’il soit intérieur, qu’il soit célébré dans le silence du cœur humble, dans la conscience qui se fait attentive et pensive. Et il est intérieur et rénovateur s’il nous fait saisir le discours qu’en entrant dans le monde, Jésus a prononcé non par des mots mais par les faits. Quel discours ? Celui de l’humilité ; c’est là la leçon fondamentale du mystère de Dieu fait homme et c’est là le premier médicament dont nous ayons besoin (cf. S. Augustin d’Hippone, De Trin. 8, 5, 7, P.L. 42, 952). C’est de cette racine que la vie bonne peut renaître.
L’invitation à l’humilité sera plus tard répétée par le Christ adulte quand il dira : « si vous ne changez pas pour devenir comme les enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des Cieux » (Mt 18, 3).
Aujourd’hui, je paraphraserais cette phrase ainsi : « Si vous ne devenez pas comme ce petit enfant, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux ».
3.Humilité et virginité
Les bergers ont compris avec leur cœur que, dans l’enfant qu’ils voyaient dans la grotte, la promesse du prophète Isaïe était devenue réalité : « un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir » (Is 9,5 – I Lecture de la Messe de la Nuit).
L’ange de Dieu nous invite nous aussi à nous mettre en chemin avec notre cœur pour voir l’enfant couché dans la mangeoire. Pour nous aussi, le signe de Dieu est la simplicité. Le signe de Dieu est le petit enfant. Le signe de Dieu est qu’il s’est fait petit pour nous. C’est cela sa manière de régner : en aimant et en se laissant aimer avec une humble simplicité.
De nous, Dieu ne veut rien d’autre que notre amour. À travers cette charité, nous apprenons à entrer dans ses sentiments, dans sa pensée et dans sa volonté ; nous apprenons à vivre avec Jésus et à pratiquer avec lui aussi l’humilité du renoncement qui fait partie de l’essence de l’amour. « Ou l’amour chrétien est humble ou ce n’est pas l’amour de Dieu » (pape François, 8 avril 2013).
Une manière significative de vivre cet humble amour est celui des vierges consacrées dans le monde. Ces femmes se tiennent à côté du Christ, à l’exemple de Marie vierge et mère en l’imitant particulièrement, elle dont le cœur et l’esprit sont pleinement humbles. C’est en raison de son humilité unique que Dieu demanda le « oui » de cette jeune femme, pour réaliser son dessein d’amour et de miséricorde.
La virginité de Marie est unique et incomparable, mais les vierges consacrées dans le monde témoignent que sa signification spirituelle concerne tous les chrétiens. Les personnes vierges montrent que celui qui se confie profondément et humblement à l’amour de Dieu accueille Jésus en lui et le donne au monde dans un Noël quotidien.
Dans leur vie cachée, elles accueillent aussi et surtout l’enseignement de la grande humilité d’un Maître qui ne parle pas encore mais qui est vraiment leur Tout.
Traduction de Zenit, Constance Roques
Lecture Patristique: Théodote d’Ancyre (+ après 438)
Homélies pour Noël, 1, PG 77, 1360 1361
Le Seigneur de tous est venu, s’est fait pauvre
Le Seigneur de tous est venu sous la forme de l’esclave, revêtu de pauvreté, comme un chasseur qui ne veut pas effaroucher son gibier. Il choisit pour naître un village obscur dans une région inconnue. Il naît d’une vierge qui est pauvre et il adopte tout ce qui est pauvre, afin de partir sans bruit à la chasse du salut de l’homme. Car s’il était né dans la gloire et les richesses, les incroyants diraient assurément que le monde a été transformé par ses largesses. S’il avait choisi pour naître la grande ville de Rome, ils attribueraient à la puissance de ses concitoyens les changements de l’univers. S’il avait été fils d’empereur, on aurait expliqué ses bienfaits par sa puissance. S’il avait été fils d’un sénateur, on aurait attribué à ses lois les progrès réalisés.
Or, qu’a-t-il fait? Uniquement des actions pauvres et banales, tout ce qui était modeste et ignoré du plus grand nombre, afin que le monde sache que la divinité seule a réorganisé le monde. C’est pour cela qu’il a choisi une mère pauvre, et une patrie plus pauvre encore. Il n’avait aucune ressource, et cette indigence nous est signalée par la crèche. Car, puisqu’on n’avait pas de lit pour coucher le Seigneur, on le mit dans une mangeoire et ce manque du nécessaire devint une glorieuse annonce prophétique. Car il est déposé dans une mangeoire pour annoncer qu’il sera la nourriture de ceux qui ne savent pas parler élégamment. Le Verbe de Dieu attirait à lui les riches et les pauvres, les hommes éloquents et ceux qui s’expriment avec difficulté, puisqu’il vit dans la pauvreté, lui qui couche dans une mangeoire. Voilà comment l’indigence devient une prophétie, comment la pauvreté de celui qui pour nous s’est fait chair (Jn 1,14) a montré à tous combien il est accessible.
Car personne n’a manqué de confiance pour avoir été intimidé par les richesses inouïes du Christ; personne n’a été empêché de l’aborder par la hauteur de son pouvoir. Il est apparu banal et pauvre, lui qui s’est offert à tous pour leur salut. Car dans la crèche, c’est le Verbe de Dieu qui se présente au moyen du corps, afin que l’ignorant aussi bien que l’intellectuel puisse accéder à cet aliment qui nous sauve. Et c’est peut-être cela aussi que le prophète proclamait à l’avance quand il disait, en dévoilant le mystère de cette crèche: Le boeuf connaît son propriétaire, et l’âne la crèche de son maître. Israël ne me connaît pas, mon peuple ne comprend pas (Is 1,3).
Il s’est fait pauvre à notre profit, lui qui était riche en raison de sa divinité, afin de rendre le salut facilement accessible à tous. C’est ce que voulait dire saint Paul: Lui qui était riche, il est devenu pauvre à cause de vous, pour que vous deveniez riche par sa pauvreté (2Co 8,9). Et qui donc était ce riche? Et de quoi était-il riche, et comment celui-là est-il devenu pauvre à cause de nous? Dites-le-moi: qui donc, quand il était riche, est devenu pauvre de ma pauvreté? C’est Dieu, dit saint Paul, qui était riche par sa création. Donc Dieu même s’est fait pauvre, adoptant la pauvreté de celui qui devenait visible. Car lui-même est riche de sa divinité, et en même temps s’est fait pauvre pour nous.
[1] “En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre – ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David. Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux. L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte. Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. » (Lc 2, 1 – 15, Évangile de la Messe de la nuit, Lc 15 – 20, Évangile de la Messe de l’aurore)
Mgr Francesco Follo au Vatican © Mgr Follo
Un Noël de vie à Bethléem, qui est l’Église, par Mgr Follo
Commentaire des lectures de la messe de minuit