Prix Sakharov à Nadia Mourad et Lamya Aji Bachar, au Parlement européen, 13 déc. 2016, capture

Prix Sakharov à Nadia Mourad et Lamya Aji Bachar, au Parlement européen, 13 déc. 2016, capture

Les Yézidies, esclavage et génocide: témoignages recueillis par L’Osservatore Romano

«Plus le mal me touchait, plus je trouvais en moi la force de Dieu»

Share this Entry

L’Osservatore Romano des 19-20 décembre 2016, en italien, publie une « conversation » de Fausta Speranza avec les deux lauréates yézidies du Prix Sakharov pour la liberté de l’esprit, sous le titre « Victimes de la violence de daech » : deux témoignages et deux appels à intervenir pour mettre fin au génocide d’un peuple et au martyre des jeunes filles réduites en esclavage.
Nadia Mourad Basse et Lamya Aji Bachar sont des Yézidies, une ethnie kurde de 4 000 ans d’histoire, professant un monothéisme qui serait issu d’anciennes croyances kurdes, peut être d’origine iranienne, mais avec des éléments de l’islam sunnite et du soufisme. Elles viennent de recevoir, le 13 décembre, le prix Sakharov 2016, au Parlement européen, pour les défenseurs des droits de l’homme.
Elles ont 23 et 18 ans, elles dénoncent le fait qu’encore « trois mille jeunes Yézidies sont réduites en esclavage ». Elles attendent de  la communauté internationale « la création de zones protégées pour un demi-million de Yézidis qui, autrement, vont mourir ou arriver en Europe». Elles attendent aussi un arrêt de la Cour pénale internationale sur les « crimes contre l’humanité » commis par daech.
Voici l’essentiel de ce témoignage poignant recueilli par le quotidien de la Cité du Vatican.
Ils ont tué ma mère mais pas effacé son enseignement
Elles vivaient à Kocho, un village proche de la ville de Sinjar, dans le nord de l’Irak, non loin de la frontière syrienne. Le 3 août 2014, les terroristes de daech ont tué les hommes, capturé les enfants et les femmes », puis ils ont tué celles qui n’auraient pas « rapporté de l’argent sur le marché des esclaves de sexe».
La mère de Nadia a été abattue sous ses yeux, en même temps que 85 autres mères ou des sœurs plus âgées. Lamya a vu piétiner les corps de personnes âgées ou handicapées et elle a été capturée avec ses six sœurs, qui sont encore aux mains de daech « si elles n’ont pas encore été tuées ».
Nadia et Lamya témoignent que de nombreuses jeunes filles se suicident dès qu’elles le peuvent, parce qu’elles ne supportent pas cette horreur. De toutes jeunes filles sont « initiées à l’esclavage sexuel par le rituel d’un viol collectif ». Les rituels et les pratiques sont théorisés dans un manuel de 32 pages, découvert dans diverses cachettes de daech et publié ces derniers mois par les médias, révélant une bureaucratie de l’esclavage, avec des listes de prix et des contrats de vente d’esclaves enregistrés par des juges. On y parle de «djihad sexuelle» et de « femmes butin de guerre ». Les deux jeunes filles ont été vendues à plusieurs reprises, avant de réussir à s’échapper, à des moments différents.
Plus le mal me touchait, plus je trouvais en moi la force de Dieu
Au bout de trois mois, Nadia a été aidée par une famille voisine dans un camp de réfugiés. Elle ne donne pas plus de détails parce qu’elle a peur pour eux. Du camp de réfugiés, elle est arrivée en Allemagne. Et le 20 décembre 2015, elle a pu raconter son histoire devant le Conseil de sécurité des Nations Unies.
En septembre dernier, la jeune Yézidie a été nommée ambassadrice de l’ONU en matière de traite des êtres humains. Elle avoue que les reconnaissances reçues lui redonnent « cet honneur que daech voulait lui enlever ».  Et elle lance cet appel : « Le radicalisme et le terrorisme sont partout et il faut faire davantage ». Lorsqu’on lui demande si elle croit encore dans le bien après avoir connu le mal à ce point, elle témoigne: « Plus le mal me touchait, plus je trouvais en moi la force de Dieu qui ne m’a jamais abandonnée, plus je trouvais le bien. » Elle ajoute: « Ils ont tué ma mère, mais n’ont pas effacé ses enseignements à aimer et à prier. »
Expliquez cela au monde
Pour sa part, Lamya a réussi à s’échapper au bout de huit mois, à sa troisième tentative, avec des vexations et des violences pires à chaque fois. Elle a réussi à franchir la zone contrôlée par daech, avec deux autres compagnes, mais l’une d’elles a sauté sur une mine placée par les terroristes. Seule Lamya a survécu. Elle a perdu l’usage d’un œil et elle a été grièvement blessée au visage, qui porte les séquelles de l’explosion. Elle souffre toujours du choc de la mort horrible de ses amies et des tortures qu’elle a souffertes. Elle a encore du mal à ébaucher un sourire. Elle répète, calmement mais fermement, que «les êtres humains ne peuvent pas être réduits à des marchandises». Un tremblement dans la voix, elle ajoute : «Je n’ai jamais vu une lueur de pitié un seul des nombreux hommes qui m’ont violée ou forcée à confectionner des ceintures d’explosifs. »  « Daech, affirme la jeune fille, n’est pas l’islam: l’islam c’est autre chose. »
Nadia demande de « bien expliquer au monde» qu’ «aujourd’hui, on est confronté à deux grands risques: le danger du radicalisme et du terrorisme, mais aussi le risque de mauvaises réponses à cause desquelles on  crée un espace pour une forme de racisme. »
Son appel est clair, conclu L’Osservatore Romano: « Nous devons prévenir toute forme de radicalisme et de racisme, de plus en plus dangereux, partout. »
Sur le martyre des Yézidis, on peut lire le livre « La Fabrique des terroristes, dans les secrets de Daech » dont le père Patrick Desbois est le coauteur avec Costel Nastasie (Fayard 2016, 288 pp., 20 €). Il dénonce purement et simplement un génocide.

Share this Entry

Anita Bourdin

Journaliste française accréditée près le Saint-Siège depuis 1995. Rédactrice en chef de fr.zenit.org. Elle a lancé le service français Zenit en janvier 1999. Master en journalisme (Bruxelles). Maîtrise en lettres classiques (Paris). Habilitation au doctorat en théologie biblique (Rome). Correspondante à Rome de Radio Espérance.

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel