Le pape à la Congrégation générale des jésuites © GC36 Communications

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Séminaires: le pape met en garde contre une "rigidité" sans discernement

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Echange avec les participants à la 36e Congrégation générale des jésuites

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« Aujourd’hui, dans un certain nombre de séminaires, s’est instaurée à nouveau une rigidité éloignée d’un discernement des situations », s’est inquiété le pape François devant les participants à la 36e Congrégation générale des jésuites, le 24 octobre 2016. Un mois plus tard, La Civiltà cattolica a publié la transcription intégrale de l’échange.

Au fil de la rencontre, le pape a évoqué la politique, les vocations, mais aussi l’ouverture à la critique, la carence de formation en discernement, la nécessité de la pauvreté, et son propre besoin de consolation.

Une carence du discernement au séminaire

Répondant aux questions de ses confrères, le pape s’est arrêté sur le discernement : « Dans le domaine moral, il faut procéder avec une rigueur scientifique et avec l’amour de l’Église et du discernement ». Mais, a-t-il fait observer, « nous sommes assez fermés, en général, au discernement ». Et de dénoncer « la carence du discernement dans la formation des prêtres. (…) Aujourd’hui, dans un certain nombre de séminaires, s’est instaurée à nouveau une rigidité éloignée d’un discernement des situations ».

« Ceci me fait très peur », a insisté le pape qui a appelé à ne pas concevoir la morale dans le sens « casuistique » du « blanc ou noir », du « légal ». Comme une certaine morale du siècle dernier où « tout l’environnement moral était restreint au ‘on peut’, ‘on ne peut pas’ (…). C’était une morale très étrangère au discernement ».

Il a invité à prier pour « avoir la lumière suffisante » sur certains points de morale : « On ne peut faire de théologie sans prière ».

Pour le pape, le discernement s’opère même sur les critiques : « Parfois, même la pire des personnes mal intentionnées peut faire une critique qui m’aide. (…) Il faut toutes les écouter et les discerner. Et il ne faut fermer la porte à aucune critique (…). Après un discernement, on peut dire : cette critique n’a aucun fondement, et l’écarter. Nous devons soumettre toute critique que nous entendons à un discernement, (…) avec bonne volonté, avec ouverture du cœur et devant le Seigneur ».

Combien de scandales naissent de l’argent !

Devant les participants à la congrégation générale, il a expliqué son souhait d’une « Eglise pauvre pour les pauvres » : « La pauvreté engendre, elle est mère, elle engendre la vie spirituelle, la vie de sainteté, la vie apostolique. Et c’est un mur, elle défend. Combien de désastres ecclésiaux ont commencé par le manque de pauvreté ! (…) Combien de scandales – dont malheureusement je dois être informé, vu le lieu où je me trouve – naissent de l’argent ! »

Il a donné l’exemple de saint Ignace et de son « amour de la pauvreté comme style de vie, comme chemin de salut, chemin ecclésial ». « Le cléricalisme, qui est un des maux les plus sérieux dans l’Église, a-t-il mis en garde, s’éloigne de la pauvreté » : « Le cléricalisme est riche. Et s’il n’est pas riche d’argent, il l’est d’orgueil ».

Le pape jésuite a fait des recommandations pour la formation des novices : « il faut qu’il y ait des études académiques, un contact avec les réalités (…) de la périphérie, la prière et le discernement personnel et communautaire. Si une communauté d’étudiants fait tout cela, je reste tranquille. Quand manque une de ces choses, je commence à être préoccupé ».

Quand le pape demande la consolation

Au fil de ce long entretien, le pape a confié son besoin de consolation : « Je parle en famille et je peux donc le dire : je suis plutôt pessimiste, toujours ! Je ne dis pas que je suis dépressif, parce que ce n’est pas vrai. Mais il est vrai que j’ai toujours tendance à regarder la partie qui n’a pas fonctionné ».

« La consolation est le meilleur antidépresseur que j’aie trouvé, a-t-il expliqué : Je la trouve quand je me mets devant le Seigneur et que je le laisse me manifester ce qu’il a fait pendant la journée. À la fin de la journée, quand je me rends compte que je suis guidé, (…) que, malgré ma résistance, il y a eu un guide, comme une vague qui m’a poussé en avant, alors cela me console. (…) Je regarde mon pontificat, cela me console de sentir intérieurement : ‘D’accord, ce n’est pas une convergence de votes qui m’a fait entrer dans cette danse, mais c’est Lui’ ».

« Personne ne se sauve tout seul », a rappelé aussi le pape : « Le salut est pour le peuple de Dieu. Celui qui prétend se sauver tout seul, à travers son propre parcours de réalisation, va finir dans cet adjectif que Jésus utilise si souvent : hypocrite ».

Les documents du magistère de François

Devant les jésuites, le pape est revenu également sur un certain nombre de ses documents : « La morale utilisée dans Amoris laetitia est thomiste, a-t-il assuré, mais celle du grand saint Thomas, non pas celle de l’auteur des ‘puncta inflata’ ».

Laudato Si’, a ajouté le pape, « n’est pas une encyclique ‘verte’. C’est une encyclique sociale. (…) Elle part de la réalité de ce moment, qui est écologique, mais c’est une encyclique sociale ». Et d’encourager à « travailler sur la partie sociale de l’encyclique ».

Quant à l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, le pape a exhorté à continuer de l’étudier car « c’est l’air évangélique que l’Église veut avoir aujourd’hui ». Il a inscrit ce texte aussi dans la continuité à l’enseignement de l’Eglise : l’exhortation « réunit Evangelii nuntiandi et le document d’Aparecida ».

« Un des dangers des écrits du pape, a-t-il constaté, est qu’ils créent un peu d’enthousiasme mais ensuite il en arrive d’autres et les précédents vont aux archives ».

Au cours de l’échange, le pape François a invité à « réhabiliter » la culture des peuples indigènes en Amérique : « L’unité se fait en conservant les identités des peuples, des personnes, des cultures », a-t-il affirmé. Sinon la mondialisation devient « uniformisante et destructrice ».

Aujourd’hui, a-t-il ajouté, l’Eglise doit abandonner l’herméneutique « centralisatrice » de « l’époque coloniale » où l’on cherchait « la conversion des peuples » et où « l’empire dominateur imposait sa foi et sa culture ». Elle doit au contraire « valoriser tous les peuples, leur culture, leur langue ».

Avec une traduction de Constance Roques

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Anne Kurian-Montabone

Baccalauréat canonique de théologie. Pigiste pour divers journaux de la presse chrétienne et auteur de cinq romans (éd. Quasar et Salvator). Journaliste à Zenit depuis octobre 2011.

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