« La grâce d’une rencontre »: c’est le titre de cette méditation de Mgr Follo sur l’Evangile de dimanche prochain – 30 octobre 2016 – qui est le récit, par saint Luc, de la rencontre entre Jésus et Zachée (XXXIe dimanche du Temps ordinaire – Année C).
Il fait observer que, « heureusement, la miséricorde du Rédempteur ne s’arrête pas devant les cas difficiles ».
Les lectures de la messe sont en effet : Sagesse 11,22-12,2; Psaume144; e épître de Paul aux Thessaloniciens 1,11-2,2; évangile de Luc 19,1-10.
Mgr Francesco Follo, Obserateur permanent du Saint-Siège à Paris, à l’UNESCO, propose ensuite, comme lecture patristique, un commentire de saint Ambroise de Milan surce même Evangile de Zachée.
La grâce d’une rencontre
Une question de regards
Aujourd’hui nous accompagnons Jésus à Jéricho, dans le chemin qui le conduit vers Jérusalem ; à cet égard, j’ai déjà dit précédemment qu’Il ne suit pas la logique de la géographie, mais celle de la rédemption miséricordieuse.. Pendant que nous traversons cette ville avec le Messie, advient la rencontre non seulement avec le peuple, mais aussi avec Zachée, le percepteur en chef de la douane de Jéricho, une zone de frontière de la province romaine. A première vue, il s’agit d’un « cas difficile ». D’une coté, cet homme était considéré comme un pécheur connu, à éviter à cause de son travail qui le rendait légalement impur. De l’autre côté, il était aussi un imposteur, un collaborateur avec l’ennemi, l’occupant romain au nom duquel il recueillait les impôts. En plus, il était un homme riche. Peu de temps auparavant, Jésus avait dit à un jeune homme riche : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu » (Lc 18,25). Heureusement, la miséricorde du Rédempteur ne s’arrête pas devant les cas difficiles. Aujourd’hui nous parvient l’exemple de la rencontre du Sauveur avec Zachée. Sa conversion démontre qu’aucune condition humaine n’est incompatible avec le salut : « Aujourd’hui, le salut est entré dans cette maison», il s’est installé pour reposer.
Seul Jésus, vrai homme et vrai Dieu, pouvait faire cela : entrer dans la maison d’un pécheur excommunié pour se reposer et le sauver. Dans le texte grec, « Kataluma » signifie « lieu pour loger, salle à manger ». « Kataluma » est utilisé deux autres fois dans l’Evangile de Luc : au moment de la naissance, où la grotte est indiquée avec ce même mot du passage de l’Evangile d’aujourd’hui et aussi lors de la dernière Cène. Même à ce moment-là, ce mot indique le Cénacle comme lieu de repos, où le Christ célébrera l’eucharistie. Le passage d’aujourd’hui explique très bien le sens (en tant que but et signification) de la vie du Sauveur, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, à l’eucharistie où il se donne en nourriture, dans la mangeoire des animaux, à tous les pécheurs ; Il devient notre vie si nous, pécheurs repentis, l’accueillons.
Donc, suivons l’exemple de ce converti. Zachée se sait pécheur et qu’il a besoin du pardon de Dieu. Avec cet homme, de taille petite, nous grimpons aux arbres pour voir Jésus. Alors le Rédempteur lèvera le regard vers chacun de nous, et il dira, même à nous, : « Zachée, descends immédiatement, parce qu’aujourd’hui, je dois demeurer chez toi ». Il descendit tout de suite et l’accueillit, plein de joie (Lc 19, 5-6).
Tout commence avec un échange de regards. Zachée (chacun de nous) désire voir Jésus et ce désir correspond au besoin de Jésus de s’arrêter et séjourner chez le pécheur qui change de vie, en commençant par donner la moitié de ses biens aux pauvres.
- Recherche de Miséricorde
Nous devons nous souvenir que l’initiative vient du Christ et est gratuite, comme dans le cas de Zachée. Elle s’insère certainement dans la disponibilité de l’homme. La rencontre avec Dieu est toujours un cadeau et l’accomplissement d’une recherche à la fois : elle est la réalisation d’un désir. Ce n’est pas seulement Zachée qui cherchait Jésus, mais c’était aussi Jésus qui cherchait Zachée. L’initiative de Dieu précède celle de l’homme, qui ouvre sa maison à Dieu. Un peintre anglais a peint Jésus qui frappe derrière une porte fermée, tandis que la tempête fait rage. Il est parmi les mauvaises herbes et les ronces. Comme la poignée de la porte se trouve seulement à l’intérieur, Il ne peut entrer qu’au moment où quelqu’un l’ouvre. Cette représentation de Dieu et de nous est très belle! Nous seuls pouvons ouvrir la porte au Christ, nous seuls pouvons faire demi-tour vers la source de la vie, nous seuls sommes capables de nous faire accueillir par Celui qui « a pitié de tous en vue du repentir » (Sg 11,23).
Le premier pas de ce chemin de conversion – selon le passage évangélique d’aujourd’hui – est le « désir de voir » : ici Zachée désire voir « qui était Jésus ». Toutefois, je ne crois pas que Zachée est sorti de chez lui parce qu’il voulait se convertir. Il y avait certainement quelque chose dans son cœur et dans son esprit : un désir de vérité et de bien qui l’avait sollicité. Mais il s’agissait probablement de curiosité, d’un désir de connaitre une personne dont beaucoup de gens parlaient. En tout cas, cette recherche curieuse est liée au fait de vouloir voir. Il s’agit de faire rencontrer les yeux de l’un avec les yeux de l’autre et d’accepter son invitation, ou mieux l’invitation de nous-mêmes à rester chez nous afin de séjourner chez nous. Qui est-ce qui aurait imaginé que Dieu « doive » séjourner avec chacun d’entre nous ? Pour Dieu, ceci est le devoir de l’amour, qui grimpe à l’arbre (la croix de la vie) pour prendre notre place et nous sauver.
Le deuxième pas pour changer de vie est le « rappel » de Jésus, qui, depuis toujours, veut sauver le pécheur. Jésus s’invite ou mieux s’auto-invite mais cette auto-invitation avait déjà commencé à Bethléem dans une grotte.
Le troisième pas est constitué par le fait que Zachée (qui représente chacun de nous) « répond » plein de joie à l’appel. La vie humaine est donc une réponse joyeuse à l’Amour qui guérit et sauve. Nous devons nous laisser surprendre par la joie. Qui pouvait imaginer que la réponse consiste à accueillir Dieu qui demande de se reposer chez nous, dans notre amour fragile ? Avec l’amour guéri et fortifié par l’Amour, chacun de nous accueille Dieu dans la maison de son cœur, où le Christ trouve repos parce qu’Il est accueilli, aimé. Ailleurs le Fils de Dieu est sur la Croix.
Finalement, le quatrième et le cinquième pas de la conversion sont l’expiation du péché commis (« Si j’ai fait du tort à quelqu’un, je vais lui rendre quatre fois plus ») et le partage (« Je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens »).
La décision de faire ces pas est la réponse au salut qui arrivé à Lazare grâce au Christ. Il est le Fils de Dieu qui est venu pour chercher et sauver ce qui est perdu. Nous nous souvenons la parabole du pasteur qui dit « venez avec moi, réjouissez avec moi parce que j’ai retrouvé ma brebis perdue. Jésus est le Fils de l’homme qui est venu chercher l’homme, Il est Dieu-même qui s’est fait homme pour rencontrer l’homme, chaque personne perdue, et de cette façon qu’Il manifeste qu’Il est vraiment Dieu. Il est amour. Et l’homme « retourne » à être homme, à être aimé et à pouvoir aimer. Il « retourne » à être image et ressemblance du Créateur.
Zachée, « cherché » et « sauvé » sans conditions, voit son cœur désormais transformé gratuitement dans une source d’amour, malgré les « murmures » et le « scandale » toujours provoqués par une conversion imprévue. Libéré de son péché, Zachée (mot qui signifie « Dieu se souvient ») se donne complètement à ses frères, en commençant par donner aux pauvres la moitié de ses biens.
Pour accueillir « aujourd’hui » le Christ qui s’invite dans notre maison, il faut monter en haut de la croix et regarder la vie du haut de ce bois d’où le Christ regardait le monde. Il faut monter sur le sycomore qui est la Croix et ne pas avoir honte de la Croix, de la même manière que Zachée n’a pas eu honte de monter sur cet arbre pour voir Jésus.
Ce Chef des publicains était poussé du désir de voir Dieu et le rencontra dans le Christ quand il entra en communion avec Lui. Afin que cela arrive ou arrive à nouveau, à chacun d’entre nous, nous devons prier la Vierge Marie, modèle parfait de communion avec Jésus parce que nous-mêmes nous pouvons expérimenter la joie d’être visités par le Fils de Dieu, d’être renouvelés par son amour et transmettre aux autres sa miséricorde.
Dans cette prière et dans cette action d’accueillir sans réserve le Christ, nous trouvons les Vierges Consacrées dans le monde qui témoignent avec le propos de virginité qu’elles deviennent demeure consacrée où le Fils de Dieu peut reposer et répandre sa miséricorde. (Comme le Rituel de consécration des vierges le souligne au n°24 : « Seigneur notre Dieu, toi qui veut demeurer en l’homme, tu habites celles qui te sont consacrées »). En outre elles témoignent dans leur plein dévouement au Christ, source de chaque bien, qu’il est possible d’avoir un bonheur plein et durable.
Comme les Vierges Consacrées dans le monde le font, nous devons accueillir le Christ dans la « maison » de notre cœur. Il est « nécessaire et opportun », comme dit l’original grec, que le Christ « s’arrête » dans la maison de Zachée, comme « aujourd’hui » dans notre vie. Cela convient à ceux qui nous sont proches, parce que nous pouvons leur restituer « quatre fois plus » que ce que nous leur avons pris injustement. Et cela convient aussi au monde d’annoncer l’amour auquel le pécheur a droit et que la miséricorde de Dieu multiplie. Le vrai amour est une nécessité et l’amour virginal, chaste est l’amour authentique.
Lecture patristique: saint Ambroise de Milan
Commentaire de l’Evangile de Luc sur Zachée
Luc parle ensuite de Zachée. Petit de taille, c’est-à-dire n’ayant pas la dignité élevée d’une noble naissance, chétif en mérites, comme la Gentilité, apprenant l’arrivée du Seigneur Sauveur il désirait voir Celui qui n’avait pas été reçu par les siens (Jn I, 11).
Mais nul ne voit facilement Jésus ; nul ne peut voir Jésus en étant sur terre. Et comme il n’avait ni les Prophètes ni la royauté pour charme et beauté naturelle, il monta sur un sycomore, autrement dit foula aux pieds la vanité des Juifs et redressant en même temps les erreurs de sa vie passée ; et c’est ainsi qu’il reçut Jésus comme hôte dans sa demeure intérieure.
Et il est bien qu’il soit monté sur un arbre, pour être bon arbre, produisant de bons fruits (Matth. VII, 17), pour que, pris sur l’olivier sauvage de sa nature et enté contre sa nature sur le bon olivier il pût porter le fruit de la Loi (Rom., XI, 24) : car la souche est sainte, malgré l’inutilité des rameaux, dont la Gentilité dépasse la parure stérile par la foi en la résurrection, qui est comme une ascension de son corps.
- « Et voici un homme du nom de Zachée. » Zachée est dans le sycomore, l’aveugle sur la route. Le Seigneur attend l’un pour lui faire miséricorde ; Il anoblit l’autre en l’honorant de son séjour. Il interroge l’un pour le guérir, Il s’invite chez l’autre sans être invité : car II savait que son hôte serait largement récompensé, et, s’il n’avait pas encore entendu la parole d’invitation, Il avait pourtant entendu son coeur.
- Mais n’ayons pas l’air de quitter trop vite cet aveugle, comme si les pauvres nous ennuyaient, pour passer au riche ; attendons-le, puisque le Seigneur aussi l’a attendu ; interrogeons-le, puisque le Christ aussi Ta interrogé. Interrogeons-le, nous, parce que nous ne savons pas ; Lui, c’est qu’il savait. Interrogeons-le pour savoir comment il fut guéri ; Lui l’a interrogé afin qu’en son unique personne nous soyons beaucoup à apprendre comment obtenir de voir le Seigneur ; car II l’a interrogé, pour nous amener à croire qu’on ne peut être guéri sans profession de foi.
- « Et sur-le-champ, est-il dit, il vit ; et il le suivait en glorifiant le Seigneur. Et II cheminait dans Jéricho. » C’est qu’il ne pouvait voir qu’à la condition de suivre le Christ, de louer le Seigneur, de dépasser le siècle.
Rentrons aussi en grâce avec les riches : car nous ne voulons pas froisser les riches, voulant, s’il est possible, guérir tout le monde. Autrement, serrés par la parabole du chameau laissés de côté plus vite qu’il ne convient dans la personne de Zachée, ils auraient un juste sujet d’être émus et offensés.
- Qu’ils apprennent qu’il n’y a pas faute à être riche, mais à ne pas savoir user des richesses : car les richesses, qui sont entraves pour les méchants, sont chez les bons ressources pour la vertu. Oui, le riche Zachée a été choisi par le Christ. Mais en donnant aux pauvres la moitié de ses biens, en remboursant même quatre fois ce qu’il avait frauduleusement dérobé — car l’un des deux ne suffît pas, et les largesses n’ont pas de valeur si l’injustice subsiste, attendu qu’on ne demande pas des dépouilles, mais des dons — il a reçu une récompense plus abondante que ses largesses.
- Et il est bien qu’on le signale comme chef des publicains : qui en effet pourrait désespérer de soi, quand celui-là même est arrivé, qui tirait son revenu de la fraude ? « Et il était riche », est-il dit : apprenez par là que les riches ne sont pas tous avares.
- Comment se fait-il que l’Ecriture n’a mentionné la taille d’aucun autre que celui-ci : « Parce qu’il était de petite taille ? » Voyez si par hasard il était petit par la malice, ou encore petit quant à la foi : car il n’avait encore rien promis quand il est monté : il n’avait pas encore vu le Christ ;c’est donc vrai qu’il était encore petit. Aussi bien Jean est-il grand parce qu’il a vu le Christ, et l’Esprit reposant comme une colombe sur le Christ, ainsi qu’il le dit lui-même : « J’ai vu l’Esprit descendre comme une colombe et reposer sur Lui» (Jn, I, 32).
- Quant à la foule, n’est-ce pas la mêlée d’une multitude ignorante, qui ne pouvait voir les hauteurs de la Sagesse ? Donc Zachée, tant qu’il est dans la foule, ne voit pas le Christ ; il s’est élevé au-dessus de la foule, et il a vu : autrement dit, en dépassant l’ignorance populaire il a réussi à contempler Celui qu’il désirait.
- On a ajouté à propos : «Parce que le Seigneur devait passer en cet endroit », où était soit le sycomore, soit le futur croyant : Il observait ainsi le mystère et semait la grâce ; car II était venu pour passer des Juifs aux Gentils.
- Ainsi II vit Zachée en haut : car désormais l’élévation de sa foi le faisait émerger parmi les fruits des œuvres nouvelles comme au sommet d’un arbre fécond. Et puisque nous sommes passés de la figure au sens moral, il est aimable de détendre notre âme le dimanche parmi les volontés de croyants si nombreux, de faire part à la fête. Zachée dans le sycomore, c’est le fruit nouveau de la saison nouvelle ; en lui aussi se réalise le texte : « Le figuier a donné ses premiers fruits » (Cant.y II, 13) ; car le Christ est venu afin que les arbres donnent naissance non à des fruits, mais à des hommes. Nous lisons ailleurs : « Quand vous étiez sous le figuier, je vous ai vu » (Jn, I, 48).
Nathanaël est donc sous l’arbre, c’est-à-dire sur la racine— car il est juste, et «la racine est sainte» (Rom., XI, 16) — mais enfin Nathanaël est sous l’arbre, parce que sous la Loi ; Zachée est sur l’arbre, parce qu’au-dessus de la Loi. L’un défend le Seigneur en secret , l’autre le prêche publiquement.
L’un cherchait encore le Christ dans la Loi ; l’autre, déjà plus haut que la Loi, abandonnait ses biens et suivait le Seigneur.