C’est une approche « périphérique » de l’Europe, qui conduit le pape François, du 30 septembre au 2 octobre 2016 en Géorgie et en Azerbaïdjan, explique le cardinal Koch : la même approche qui l’a conduit auparavant à Lampedusa, Tirana, Sarajevo, Lesbos, Erevan et qui le conduit bientôt à Lund. Il souligne l’importance de l’Eglise orthodoxe de Géorgie pour l’identité de la Nation et son originalité, et il rappelle les jalons des rapports avec Rome, notamment depuis saint Jean-Paul II.
Le cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, souligne, dans L’Osservatore Romano en italien du 30 septembre 2016, que c’est à partir de ces régions « très différentes », aux « frontières de l’Europe », là où se tissent les « défis » d’aujourd’hui et où les catholiques sont souvent « minoritaires » que le pape François «pose son regard sur l’Europe », à l’instar du « regard de Magellan » au retour de sa navigation autour de la terre. Car le pape – venu du « bout du monde » – adopte ce point de vue « extérieur » pour aider à poser sur le continent ce « regard décentré ».
Il voit dans la visite du pape une nouvelle occasion de « rapprochement » entre les chrétiens : « Sans aucun doute, la visite du pape François en Géorgie, la seconde d’un pape dans ce pays des périphéries européennes, marquera une nouvelle étape sur le chemin du rapprochement entre l’Église de Rome et l’Église orthodoxe de Géorgie. Les gestes que Jean-Paul II et le patriarche Elie ont accomplis en 1980 se renouvelleront: l’échange du baiser de paix et la promesse d’une prière mutuelle. Rencontre et prière réciproque : deux pas qu’il est toujours possible, malgré la douloureuse séparation de nos Églises, d’effectuer sur le chemin de l’unité. »
L’apôtre André, Ninon et la sainte reine Ketevan
Or, si la Géorgie est une de ces régions « périphériques » de l’Europe, c’est aussi, fait observer le cardinal suisse, « l’un des plus anciens pays chrétiens, dont l’évangélisation remonte à la prédication de l’apôtre André et à celle d’une femme extraordinaire du IVème siècle, sainte Ninon de Cappadoce ».
Rappelons que Ninon avait été emmenée captive dans la capitale de la Géorgie vers 337, et comme on ne savait de quel pays elle venait, on la surnomma « Christiana » du nom de sa religion, d’où le diminutif de « Nina » ou « Ninon ». Ayant appris qu’elle avait obtenu par sa prirèe la guérison d’un enfant, la reine Nana se fit conduire chez elle dans l’espoir de guérir d’un mal étrange. Et comme elle recouvrit effectivement la santé, elle voulut combler sa bienfaitrice de cadeaux, ce que Ninon refusa. Mais elle déclaré que le seul cadeau qu’elle pouvait accepter était que ses souverains embrassent le christianisme. La reine puis le roi demandèrent le baptême et ils prièrent l’empereur Constantin de leur envoyer des catéchistes. C’est ainsi que le Christianisme s’étendit en Géorgie.
Le cardinal Koch évoque l’histoire des chrétiens de Géorgie en soulignant l’importance de l’Église orthodoxe « comme le creuset de la culture géorgienne et la gardienne de l’identité de la nation ». Et d’expliquer que « l’alphabet a été créé pour prêcher dans la langue du peuple, une langue utilisée dès le Vème siècle pour la liturgie qui a cristallisé l’identité géorgienne » et, alors que « les invasions ou les annexions dévastaient le pays, les moines, dispersés dans le Moyen-Orient et dans la Méditerranée orientale, permirent, à travers l’Écriture, d’en sauver la culture ».
Il souligne aussi la genèse de cette culture de la « rencontre » : « Cette forte identité chrétienne s’est construite dans la rencontre, dans un contexte multiethnique, au confluent de deux courants du christianisme : celui de l’orient syrien, Antioche, de laquelle l’Église orthodoxe géorgienne reçut l’autocéphalie à la fin du Vème siècle, et celui du monde byzantin, Constantinople, dont elle adopta le rite. »
Il fait ressortir l’originalité de cette Eglise : « L’Église géorgienne, contrairement à l’Arménie, accueillit le concile de Chalcédoine et les conciles œcuméniques suivants, devenant l’unique Église orthodoxe byzantine caucasienne, une des quatorze Églises orthodoxes autocéphales existantes aujourd’hui. »
Une originalité qui fait même la spécificité de l’Eglise en Géorgie : « Reliant l’Europe à l’Asie, lieu de rencontre entre la culture occidentale et la culture orientale, entre le nord et le sud, la culture chrétienne de la Géorgie est profondément originale, atypique et, sous certains aspects, « périphérique » par rapport au reste du monde orthodoxe, dominé par le monde grec et slave. »
C’est pourquoi le cardinal Koch estime que cette Nation a aussi pour son histoire un rôle à jouer dans l’Europe d’aujourd’hui : « À une Europe aujourd’hui combattue entre identité et ouverture, la Géorgie pourrait apporter cette double richesse qui a profondément marqué son histoire : d’un côté une longue tradition chrétienne qui a forgé le pays, aujourd’hui encore revendiquée, et de l’autre une tradition de pluralisme et de tolérance. »
Le cardinal Koch rappelle aussi les martyrs de Géorgie : « L’Église orthodoxe géorgienne a été fécondée par le sang des martyrs, dont un des plus connus est la reine Ketevan, du XVIIème siècle, et a connu souvent de violentes persécutions, la dernière remontant à l’époque soviétique. »
Le 8 novembre 1999, à Tbilissi, saint Jean-Paul II lui-même a évoqué ces témoins du Christ en disant: « De nombreux martyrs ont versé leur sang pour l’Evangile, lorsque professer la foi chrétienne était un délit passible de la peine de mort: des neuf enfants martyrs de Kola à saint Shushanik, à saint Eustache de Mtskheta, à Abo de Tbilissi, jusqu’à la reine Ketevan. En raison de son histoire et de sa culture chrétienne, la Géorgie mérite la reconnaissance de l’Eglise universelle. »
Après la persécution, la renaissance
Après la persécution soviétique vint la renaissance : « Alors qu’à la fin des années quatre-vingt, il n’y avait qu’une centaine d’églises ouvertes, la Géorgie a pu, avec la fin du régime soviétique, renaître de ses cendres, fait observer le cardinal Koch. Ce renouveau s’est réalisé sous le patriarche Elie II, élu catholicos il y a presque quarante ans, en 1977. Trente-sept diocèses et cinq cents paroisses accueillent les trois millions de fidèles orthodoxes, tandis qu’ont été ouverts deux académies de théologie, trois séminaires et une cinquantaine de monastères. Le symbole de ce renouveau a été la construction de la cathédrale de la Très Sainte Trinité à Tbilissi, consacrée en 2004. »
Le cardinal Koch témoigne de ce qu’il a vu lors de son propre voyage dans le pays : « J’ai eu la joie de visiter ce pays fascinant en décembre 2014 pour mieux connaître sa situation œcuménique. J’ai été chaleureusement accueilli par le patriarche Elie et aussi par l’Église catholique locale. Les liens entre l’Église de Rome et le patriarcat de Géorgie remontent aux premiers siècles du christianisme. En témoigne, au VIème siècle, une correspondance entre le catholicos Kirion Ier et le pape Grégoire le Grand. Même après la séparation entre l’Église de Rome et celle de Constantinople, les liens entre nos Églises, certes marqués par la souffrance et par les malentendus, sont restées cordiales et respectueuses. »
Collaboration et dialogue
Il évoque ensuite l’histoire récente de ces relations, à partir de Jean-Paul II justement : « Une nouvelle page dans nos relations s’est ouverte en 1980, quand Elie II a réalisé la première visite d’un catholicos-patriarche de Géorgie à Rome. En 1991, l’archevêque David de Sukhumi et Abkhazia a participé, avec d’autres délégués fraternels, à la première assemblée spéciale pour l’Europe du Synode des évêques. En 1996, l’archevêque Abraham, alors président du département pour les relations ecclésiastiques externes du patriarcat, s’est rendu à son tour au Vatican. Il y a eu un autre tournant le 8 novembre 1999, avec la visite historique de Jean-Paul II, premier voyage en Géorgie d’un évêque de Rome, qui fut l’occasion d’une nouvelle rencontre fraternelle avec le patriarche. En 2006, le cardinal Kasper, mon prédécesseur comme président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, s’est rendu à son tour dans ce pays. »
Il se félicite des relations au plan culturel notamment : « Les rapports entre le Saint-Siège et le patriarcat de Géorgie sont particulièrement féconds sur le plan culturel. De jeunes religieux orthodoxes géorgiens sont envoyés par le patriarcat à Rome, où ils bénéficient de bourses d’études du comité catholique pour la collaboration culturelle du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, afin d’étudier dans les universités pontificales. Toujours avec le soutien de notre Conseil pontifical, certains chercheurs sont régulièrement envoyés par le patriarcat à la Bibliothèque et aux Archives secrètes du Vatican. »
Le diocèse de Rome aussi accueille une petite communauté orthodoxe de Géorgie : « Rappelons aussi que le vicariat de Rome met à disposition de la petite, mais fervente, communauté orthodoxe géorgienne à Rome une église qui lui permet de célébrer l’Eucharistie, San Salvatore ai Monti. Ce sont de petits gestes de collaboration, mais qui permettent d’entreprendre un chemin commun de fraternité. »
Et puis il y a le témoignage commun de la charité du Christ et la collaboration universitaire: « En Géorgie, se sont aussi développées, sur le plan culturel et académique, mais aussi dans le domaine social et caritatif, des expériences positives de collaboration entre l’Église orthodoxe et la petite minorité catholique, qui a pu renaître après la fin du régime communiste. L’Église catholique locale invite régulièrement les orthodoxes à participer à des congrès sur des questions de bioéthique ou de doctrine sociale, permettant un dialogue fécond sur les défis contemporains qui sont communs à nos Églises. L’université Sulkhan Saba Orbeliani de Tbilissi apparaît à ce propos comme une plateforme de dialogue particulièrement prometteuse. »
Avec une traduction de Constance Roques
Cardinal Kurt Koch ZENIT - HSM
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