« Prier pour comprendre »: c’est le titre de ce commentaire des lectures de la messe de dimanche, 19 juin 2016, proposé par Mgr Francesco Follo, Observateur permanent du Saint-Siège à l’UNESCO à Paris.
Mgr Follo souligne notamment l’actualité de l’évangile: « Aujourd’hui Jésus nous demande comment notre rencontre avec Lui change notre vie, comment cette rencontre agit dans notre vie. Ce « oui » que nous lui adressons veut dire quelque chose d’important et qui change la vie. »
Mgr Follo propose aussi une lecture patristique de saint Cyrille d’Alexandrie sur ce même évangile: « Pour la foule, qui suis-je? ».
Les lectures de ce XIIème Dimanche du temps ordinaire – Année C – sont (rite romain): livre du prophète Zacharie 12,10-11; 13,1; Psaume 62; épître de saint Paul aux Galates 3,26-29; évangile de Luc 9,18-24.
Prier pour comprendre
1) Un événement ecclésial survenu dans un endroit « spirituel » : la prière.
Dans l’évangile d’aujourd’hui Jésus demande à ses disciples ce qu’ils pensent de Lui puis, après leur réponse, leur demande: « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ». En son nom et celui de ses amis, Pierre répond: « Le Christ, le messie de Dieu » (Lc 9,20), car il a senti que Jésus, le Fils de l’homme, le Serviteur du Seigneur triomphe du mal parce qu’il n’en fait pas et le prend sur lui sans le décharger sur les autres. Jésus est le rédempteur. En Lui Dieu, qui est amour, s’est fait homme. Son sacrifice a racheté l’humanité, l’a délivrée de l’esclavage du mal, lui apportant une espérance raisonnable.
Quelle est la signification de cet échange? Pourquoi Jésus veut-il savoir ce que ses disciples pensent de lui? Le rédempteur veut que les disciples voient ce qui se cache au fond de leur esprit et de leur cœur et expriment leurs convictions. En même temps, Il sait que leur jugement ne sera pas seulement le leur, car sortira d’eux ce que Dieu a versé dans leur cœur par la grâce de la foi.
Ce dialogue révèle le mystère du début et de la maturation de la foi. Il y a d’abord la grâce de la révélation: Dieu amour se concède à l’homme et l’appelle à devenir Son ami. Puis arrive la demande de donner une réponse à cette vocation. Et enfin, la réponse de l’homme, une réponse qui devra désormais donner sens et forme à toute sa vie. Voilà ce qu’est la foi! C’est la réponse de l’homme, raisonnable et libre, à la parole du Dieu vivant.
Les questions que Jésus pose, les réponses que donnent les apôtres, puis Simon Pierre, à la fin, servent à vérifier la maturité de la foi de ceux qui sont les plus proches du Christ. Proches physiquement mais également spirituellement. A noter en effet que si Saint Marc et Saint Mathieu situent ce dialogue à Césarée de Philippe, l’endroit le plus loin que Jésus ait atteint lors de sa marche, loin de Jérusalem, saint Luc n’indique aucun lieu. Ou du moins, pas de lieu physique mais spirituel: la prière. L’évangéliste écrit en effet: « En ce jour-là, Jésus était en prière à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea : « Au dire des foules, qui suis-je ? » (Lc 9, 18).
C’est comme si saint Luc voulait nous apprendre que la prière est un « endroit » où l’on commence à comprendre quelque chose du Seigneur. L’endroit où nous sommes nous-mêmes, où nous commençons à comprendre quelque chose de la vérité. La prière, ce n’est pas tant là où l’on comprend quelque chose d’intellectuel mais là où a lieu l’expérience et la communion avec le Seigneur, le Seigneur et nous. Dans la prière nous revenons à notre milieu naturel, car la prière nous renvoie face à Dieu. Nous sommes à l‘image et la ressemblance de Dieu: devant Lui nous sommes nous-mêmes. La prière est donc l’endroit de notre vérité et de Dieu. La prière n’est pas étrangère à la vie, elle est la vie, c’est vivre devant Dieu avec simplicité et piété, attention et dévotion.
2) Notre réponse.
Aujourd’hui, deux mille ans plus tard, cette question « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » s’adresse à chacun de nous et le Christ prétend de chacun une réponse vécue. « Une réponse que l’on ne trouve pas dans les livres comme une formule mais dans l’expérience de celui qui suit vraiment Jésus, avec l’aide d’un « grand travailleur », l’Esprit Saint » (Pape François, 20 février 2014).
Pour pouvoir répondre comme Pierre, réponse que nous avons appris dans le catéchisme : « Tu es le Fils du Dieu vivant, tu es le Rédempteur, tu es le Seigneur! » (Ibid.), nous devons avoir en nous la même raison que saint Pierre, qui expliqua à une autre occasion: « Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle » (Jn 6,68), c’est-à-dire des paroles vraies qui expliquent et donnent la vie présente et éternelle. La réponse du premier des apôtres: « Tu es le Christ, le messie de Dieu », c’est-à-dire le vrai sens de l’histoire personnelle et de l’humanité, coïncida avec la reconnaissance du Christ comme seule et unique réponse possible du cheminement humain, de l’aventure humaine sur cette Terre.
Le Christ ne pose pas la question pour savoir ce que pensent de Lui les personnes et ses disciples, mais pour enseigner que la vie est une réponse à Dieu: une réponse personnelle. Et Pierre répond: «Tu es le Christ! ». C’est la bonne réponse mais pas une réponse facile. La réponse à la question « Qui est Jésus pour vous? » n’est pas une réponse qui tombe sous le sens, évidente, ni la manifestation de notre opinion sur le Christ.
Aujourd’hui Jésus nous demande comment notre rencontre avec Lui change notre vie, comment cette rencontre agit dans notre vie. Ce « oui » que nous lui adressons veut dire quelque chose d’important et qui change la vie. Nous le reconnaissons comme le Dieu vivant, comme le Dieu Amour qui se donne.
Pour pouvoir dire: « Tu es le Christ », il faut avoir senti la fausseté ou l’insuffisance des solutions terrestres. Il faut être simples, purs de cœur, et pauvres, pauvres jusqu’à souffrir de nostalgie pour Dieu, plein de miséricorde.
Notre réponse, comme celle de saint Pierre est une profession de foi. Avoir foi non pas en un des prophètes de l’Histoire, mais en Jésus Christ rédempteur, centre du monde et de l’histoire.
En professant sa foi, saint Pierre a « embrassé toutes choses, parce qu’il a exprimé la nature et le nom du Messie » (Saint Ambroise). Et, devant cette profession de foi, Jésus renouvelle à Saint Pierre et aux autres disciples son invitation à le suivre sur ce dur chemin d’amour jusqu’à la croix.
Le premier des apôtres s’oppose à ce que le Christ aille sur la croix. Bien entendu, il ne veut pas que Jésus meurt, parce qu’il l’aime. Alors il lui dit: « Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas ! ». Il est sincère, car il aime vraiment Jésus, mais cet amour n’est pas le bon. Mais il lui en veut et le dit au Christ. Et Jésus que lui répond-il? Il ne lui dis pas « va-t’en, éloigne-toi de moi » mais « viens derrière moi » (qui est selon moi la traduction correcte de la phrase du Messie), autrement dit « suis-moi ».
L’aventure chrétienne c’est cela : aller derrière Lui, le Messie, qui exauce les désirs de l’homme. Le Christ qui triomphe du mal sans utiliser le mal (la domination, le pouvoir, le prestige) mais le bien, l’amour.
L’important c’est de comprendre, et de vivre cette très belle expérience : suivre le Seigneur de la vie, car notre vie c’est Lui: « Lui ma vie, parce qu’il m’a conquis par son amour » (Fil. 3). Lui le Pasteur de la vie.
A nous aussi, qui reconnaissons le Rédempteur come le Christ de Dieu, Jésus propose de le suivre chaque jour, et il rappelle que pour être ses disciples il nous faut prendre sur nous le pouvoir de sa croix, bien et substance de notre espérance.
Certes, il n’est pas facile d’accepter la croix que Jésus a portée sur ses épaules, comme signe de la puissance de son amour. Et, en un certain sens, on a peur de répondre à l’invitation du Christ: « Si quelqu’un veut marcher à ma suite, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».
Prendre la croix signifie s’engager pour vaincre le péché qui entrave notre marche vers Dieu, accueillir quotidiennement la volonté du Seigneur, renforcer sa foi surtout face aux problèmes, aux difficultés, face à la souffrance.
La sainte carmélite Sr Thérèse-Bénédicte de la Croix (Edith Stein) en témoigna à un moment de persécution. Du carmel de Cologne en 1938 elle écrivit: « Aujourd’hui je comprends… ce que veut dire être épouse du Seigneur sous le signe de la croix, Cependant il ne sera jamais possible de comprendre tout cela, parce que c’est un mystère… Plus il fait sombre autour de nous et plus nous devons ouvrir notre cœur à la lumière qui vient d’en haut ».
De nos jours, d’une façon « apparemment » moins dramatique qu’Edith Stein, les vierges consacrées dans le monde sont un témoignage de cette vie qui jaillit de la croix, car l’amour pour se donner « se perd », s’offre.
Le fait qu’elles suivent le Christ, qu’elles ont accepté son invitation à renoncer à elles-mêmes, montre qu’il est possible d’arrêter de penser à soi. Cela montre que l’amour n’est pas « se » mettre au centre mais l’Autre. L’amour n’est pas statique, il est extatique. Il tire de soi-même, met en relation et fait en sorte que nous nous apercevions de l’autre comme il est. C’est cela la vie et l’amour. L’Esprit saint, l’amour entre le Père et le Fils qui règne aussi parmi nous. Cet amour et la vie de Dieu. Dans le cas contraire règne la mort, on s’entretue.
La virginité c’est notre corps et nos cœurs crucifiés par amour, autrement dit donnés à Dieu sans réserves. Vivre virginalement veut dire s’offrir au Christ en portant chaque jour sa croix jusqu’à mourir et renaître en Lui, en s’abandonnant totalement à Lui. Chacun de nous a sa croix à porter chaque jour: cela signifie que tous les jours on meurt pour renaître. Cela veut dire que sur la croix y va l’homme vieux, égoïste, et qu’il y meurt, mais que naît une nouvelle personne, dont la vie est amour. Une vie donnée (crucifiée) par amour s’est pleinement épanouie. Comme Jésus.
En portant la Croix sur leurs épaules, ces femmes se sont engagées à devenir des porteuses de l’Esprit, des femmes spirituelles à l’état pur, capables de féconder dans l’humilité et en cachette la vie quotidienne avec la prière de louanges et d’intercession continue, et les œuvres de miséricorde spirituelle et matérielle.
C’est la raison pour laquelle le projet d’homélie de l’Evêque (rituel de consécration des vierges) s’achève par ces mots : « Grâce au fait d’être épouses du Christ, devenez mères dans l’esprit, en accomplissant la volonté du Père et en coopérant dans la charité afin que innombrables enfants soient engendrés ou redonnés à la vie de grâce » (n. 16 latin). A la suite de ces mots, l’Evêque invite la candidate au propositum pour la virginité en demandant : « Voulez-vous persévérer dans l’engagement de la sainte virginité et le service du Seigneur et de son Eglise jusqu’à la fin de votre vie ? ». (n.17 latin).
Traduction d’Océane Le Gall
Lecture Patristique: Saint Cyrille d’Alexandrie (+ 444)
Commentaire de l’évangile de Luc, 9, 5, 18.21 (PG 72, 645-652)
Un jour, Jésus priait à l’écart. Comme ses disciples étaient là, il les interrogea: Pour la foule, qui suis-je (Lc 9,18)? Ainsi, en priant à l’écart, en compagnie des seuls disciples, le Sauveur et Seigneur du monde leur donnait l’exemple d’une vie sainte. Ce qu’il faisait là risquait pourtant de jeter le trouble dans l’esprit des disciples. En effet, ils le voyaient prier à la manière des hommes, alors que la veille il avait accompli sous leurs yeux des prodiges dignes d’un Dieu. Ils pouvaient donc se demander, avec de bonnes raisons: « Que devons-nous croire à son sujet? Est-il Dieu, ou bien homme? »
Jésus leur a donc posé cette question pour leur éviter d’être troublés par de semblables pensées. Comme il n’ignorait rien de ce qu’on répétait à son sujet en dehors de leur groupe, il voulait d’autant plus les détourner de l’opinion de la foule et faire naître en eux la foi droite. Il leur dit: Eh bien, pour la foule, qui suis-je?
Et Pierre encore s’élance le premier. Il se fait l’interprète de tout le groupe et prononce des paroles inspirées par l’amour de Dieu. Il proclame une juste confession de foi en Jésus, en le nommant le Christ de Dieu. Le disciple parle avec circonspection. A la vérité, il ne l’appelle pas seulement Christ, mais bien le Christ de Dieu.
De fait, un très grand nombre d’hommes ont été oints par Dieu, et, pour cette raison même, ont été appelés christs, en des sens différents. Certains, en effet, avaient reçu l’onction des rois, d’autres, l’onction des prophètes, et il en existe encore d’autres: nous-mêmes, qui avons obtenu notre délivrance par le Christ lui-même, notre Sauveur à tous, nous avons aussi reçu l’onction de l’Esprit Saint et nous portons le nom de christ. Il y a donc de très nombreux christs, appelés de ce nom par suite de l’onction, mais il n’y a qu’un seul et unique Christ de Dieu le Père.
Dès que le disciple eut fait cette profession de foi, le Seigneur leur défendit vivement de révéler à personne (qu’il était le Christ). Mais quoi? Les disciples n’auraient-ils pas dû plutôt aller l’annoncer de tous côtés? Telle était, en effet, la tâche de ceux qu’il avait désignés pour la mission. Mais, comme le dit la sainte Écriture, il y a un temps pour chaque chose (Qo 3,1). Avant de pouvoir annoncer le Christ, il fallait que surviennent d’autres événements prédits mais pas encore accomplis: c’était la croix, la passion, la mort corporelle, la résurrection d’entre les morts, ce grand miracle, vraiment inouï, attestant que l’Emmanuel est Dieu véritable et Fils de Dieu le Père par nature.
Il leur enjoignit donc d’entourer de silence le mystère, pour un temps, en attendant que tout le plan divin parvienne à son propre achèvement. Car, dès qu’il fut ressuscité d’entre les morts, il ordonna de révéler le mystère aux habitants de la terre entière, en offrant à tous la justification par la foi et la purification par le saint baptême. Il déclare en effet: Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit: et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde (Mt 28,18-20).
"Prier pour comprendre", par Mgr Francesco Follo
Commentaire des lectures de la messe de dimanche, 19 juin 2016