Le cardinal Ouellet souligne « l’importance ecclésiale des charismes ».
« L’Eglise rajeunit » dans l’Esprit Sainte grâce à l’alliance des dons hiérarchiques et charismatiques: dons hiérarchiques et dons charismatiques: c’est en effet le thème du nouveau document de la Congrégation pour la doctrine de la foi intitulé « Iuvenescit Ecclesia », « L’Eglise rajeunit ».
Il a été présenté au Vatican hier, mardi 14 juin, par les cardinaux Gerhard Müller, préfet de la Doctrine de la foi, et Marc Ouellet, préfet de la Congrégation pour les évêques. Car le document s’adresse aux évêques. Il est signé par le cardinal Müller et le secrétaire de la Doctrine de la foi, Mgr Luis Ladaria.
Le cardinal Ouellet fait notamment remarquer que « l’ecclésiologie du Concile Vatican II a reconnus égaux les dons hiérarchiques et charismatiques dans l’Église, ouvrant ainsi une saison missionnaire nouvelle, fondée sur le témoignage de communion et sur l’ouverture au dialogue œcuménique et interreligieux. Malgré les tensions inhérentes à cette nouvelle intégration, les fruits sont largement supérieurs aux difficultés ; parmi eux, la reconnaissance irréversible de l’importance ecclésiale des charismes et, en conséquence, la promotion de nouveaux rapports entres sujets de dons hiérarchiques et charismatiques pour la vie et la mission de l’Église. »
Voici notre traduction intégrale de l’intervention du cardinal canadien prononcée en italien.
A.B.
Importance ecclésiale des charismes
La présentation de ce jour part de l’approfondissement ecclésiologique du Concile œcuménique Vatican II. Au numéro 4 de la Constitution Lumen Gentium (LG), consacré à la mission de l’Esprit Saint, se trouve la mention de la communion et du ministère, de la « diversité des dons hiérarchiques et charismatiques » avec lesquels l’Esprit structure, embellit et rajeunit l’Église. En effet, l’ecclésiologie de communion qui découle du Concile a rendu possible le développement notable de la collégialité épiscopale et de la synodalité, tout comme la floraison extraordinaire de nouvelles réalités charismatiques pour le service de la mission évangélisatrice de l’Église. Les mouvements ecclésiaux et les nouvelles communautés en sont une expression.
Ce développement est dû certainement à l’action de l’Esprit Saint, y compris à travers un approfondissement théologique et ecclésiologique qui comprend mieux la nature sacramentelle de l’Église et son identité essentiellement missionnaire qui renouvelle sa relation au monde contemporain. Dépassant le rapport surtout conflictuel pré-conciliaire dû au déclin des valeurs chrétiennes dans les sociétés modernes, l’Église est devenue plus consciente d’être envoyée, non pas pour régner sur le monde, mais pour servir en tant que « sacrement du salut » un monde qui, après le tournant de la modernité, est désormais autonomes vis-à-vis d’elle. Toutefois, cette perspective plus dynamique et constructive, promue par l’ecclésiologie conciliaire, exige une profonde théologie de la communion ecclésiale dont le Concile a fourni quelques concepts clés comme Koinonia, sacrement et collégialité, mais pas encore une vision globale et systématiquement intégrée. Le document de la Congrégation pour la doctrine de la foi que nous présentons aujourd’hui ajoute quelques brèves considérations dans cette direction, comme des pierres précieuses qui appartiennent à une mosaïque plus ample à compléter à l’avenir.
La « relation entre dons hiérarchiques et charismatiques pour la vie et la mission de l’Église » nous situe devant les structures de communion qui permettent à l’Église de remplir sa mission de façon à proclamer la joie de l’Évangile et de susciter l’adhésion des fidèles, et aussi des non croyants, non par « prosélytisme » mais « par attraction », comme le répète volontiers le pape François. Pour l’illustrer, je m’arrêterai sur l’ « importance ecclésiale des charismes » que promeut ce document en se basant sur des critères bibliques et théologiques fondés, outre l’enseignement du Magistère pontifical récent.
« Différents charismes n’ont jamais cessé de naître au long de l’histoire de l’Église ; pourtant, c’est seulement à une époque récente que s’est développée une réflexion systématique sur ces thèmes » (9). Ce fait est dû historiquement au schisme montaniste venu de l’antiquité chrétienne et ensuite aux doctrines apocalyptiques médiévales qui ont laissé une trace négative durable sur toute prétention charismatique associée à une époque fantomatique de l’Esprit Saint. Lumen Gentium dépasse totalement cet héritage problématique, distinguant entre dons hiérarchiques et charismatiques et soulignant « leur différence dans l’unité » (9). « Ces grâces, des plus éclatantes aux plus simples et aux plus largement diffusées, doivent être reçues avec action de grâce et apporter consolation » (12)(1b).
Le Magistère post-conciliaire, dans le sillage de Lumen Gentium et pour répondre à la « vitalité croissante de nouveaux mouvements, associations de fidèles et communautés ecclésiales, ainsi qu’à l’exigence de préciser la place de la vie consacrée à l’intérieur de l’Église » a multiplié les interventions à ce sujet. En premier lieu, saint Jean-Paul II a forgé le principe de la coessentialité de ces dons : « Plusieurs fois, j’ai eu l’occasion de souligner comment, dans l’Église, il n’y a pas de contraste ou de contradiction entre la dimension institutionnelle et la dimension charismatique dont les mouvements sont une expression significative. Les deux sont coessentiels à la constitution divine de l’Église fondée par Jésus, parce qu’elles concourent ensemble à rendre présents le mystère du Christ et son œuvre salvifique dans le monde » (10). Ce principe a été répété et approfondi par Benoît XVI et le pape François qui rappelent que ces dons ont la même origine dans l’Esprit Saint qui opère « l’harmonie » entre eux, garantissant leur intégration ecclésiale et leur ouverture missionnaire. « Somme toute, il est donc possible de reconnaître une convergence du Magistère ecclésial récent sur la coessentialité entre les dons hiérarchiques et charismatiques. » (10).
Maintenant, si un même principe ne signifie pas « contraposition » ni « juxtaposition » entre eux, il reste à préciser leurs rapports dans le respect de leur identité propre et sur la base du fondement théologique qui les soutient/supporte. À ce propos, je souligne seulement l’affirmation cardinale du document : l’unité entre les missions divines du Verbe et de l’Esprit dans l’économie du salut : « Toute l’économie sacramentelle de l’Église est en effet la réalisation pneumatologique de l’Incarnation : de la sorte, le Saint-Esprit est considéré par la Tradition comme l’âme de l’Église, Corps du Christ. » (11). Les missions du Christ comme Verbe incarné et de l’Esprit Saint comme son prolongement sont donc complémentaires et inséparables comme le sont les dons hiérarchiques et charismatiques dans l’édification de l’Église, Corps du Christ.
Dans ce contexte, le document ne néglige pas les autres dons constitutifs de l’Église, par exemple « les sacrements de l’initiation chrétienne » : le baptême, étroitement uni à la Confirmation, « est la porte et le fondement de la communion dans l’Église ». Ces sacrements « sont constitutifs de la vie chrétienne et sur eux reposent les dons hiérarchiques et charismatiques (13). Ou plutôt, ces dons supplémentaires, qu’ils soient hiérarchiques ou charismatiques, ont comme première fonction de consolider la vie théologale de foi, d’espérance et de charité, ainsi que la pratique sacramentelle des fidèles. Les pasteurs sont ordonnés précisément pour faire grandir les enfants de Dieu au moyen de la Parole de Dieu et des sacrements, tandis que les dons charismatiques, qu’ils soient majeurs ou mineurs, édifient la communauté, renforcent son témoignage et élargissent son élan missionnaire. En synthèse, conclut le document, « la relation entre les dons charismatiques et la structure sacramentelle de l’Église confirme la coessentialité des dons hiérarchiques – en soi stables, permanents et irrévocables – et des dons charismatiques. Bien que les formes historiques prises par ces derniers ne soient jamais garanties pour toujours[52], la dimension charismatique ne peut jamais être absente de la vie et de la mission de l’Église. » (13)
La vie consacrée illustre bien la permanence de la dimension charismatique dans la diversité de ses formes au long des siècles. Alors que la forme de vie selon les conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance a émergé tôt sous l’influence de la personne de Jésus et de son mystère pascal, comme réponse d’amour à son appel personnel, les expressions culturelles de cette forme de vie se sont multipliées et diversifiées presqu’à l’infini au long des siècles, donnant lieu à notre époque à des mouvements ecclésiaux et à de nouvelles communautés. Saint Jean-Paul II a accueilli et mis en valeur beaucoup de ces nouvelles formes de témoignage de la foi parce qu’elles lui semblaient répondre au défi d’une nouvelle évangélisation des sociétés sécularisées.
Cette richesse, issue en bonne partie du dynamisme du Concile, est à l’origine d’un document post-conciliaire, Mutuae relationes, qui spécifie les rapports entre les évêques et la vie consacrée [Congrégation pour les religieux et les instituts séculiers – Congrégation pour les évêques, Notes directives Mutuae relationes (14 mai 1978) : AAS 70 (1978)]. Il représente certainement une étape importante dans la reconnaissance et dans l’intégration de la dimension charismatique dans l’ecclésiologie catholique. Ce document se trouve maintenant dans un processus de mise à jour, trente ans après sa première version, à la lumière du principe de coessentialité formulé ci-dessus. Il ne s’agit pas en pratique de niveler les différences entres les dons hiérarchiques et les dons charismatiques, mais d’intégrer mieux la diversité des charismes de la vie consacrée dans les Églises particulières sous la houlette des évêques, qui ont la tâche de discerner, d’accueillir et d’accompagner les réalités charismatiques suscitées par l’action de l’Esprit-Saint dans la communauté ecclésiale.
Je voudrais souligner à ce propos que la vie consacrée, dans ses différentes formes, est généralement appréciée dans le monde pour sa valeur fonctionnelle, à savoir son service social dans la communauté. Assez souvent, toutefois, on oublie sa valeur fondamentale de témoignage radical rendu à l’amour gratuit de Dieu incarné en Jésus-Christ et embrassé dans sa forme sponsale dans la profession des vœux. À la racine de sa fonction sociale, la consécration religieuse annonce Dieu Amour d’une manière « quasi sacramentelle » qui interpelle et stimule tous les baptisés, poussant les pasteurs et les laïcs à répondre à l’appel universel à la perfection de la charité. L’Esprit Saint qui va et vient entre le Père et le Fils dans la très sainte Trinité, va et vient aussi entre les pasteurs et les fidèles, motivant leurs relations de communion par la gratuité, la créativité et la liberté de ses charismes. Le document affirme avec force « La contribution d’un don charismatique au sacerdoce baptismal et au sacerdoce ministériel est exprimée de manière emblématique par la vie consacrée… Ce charisme… est offert pour ‘pouvoir recueillir en plus grande abondance le fruit de la grâce baptismale’ » (22). Retrouver cette importance fondamentale de la vie consacrée, outre son utilité fonctionnelle, me semble une des tâches urgentes de la formation chrétienne et religieuse pour raviver la tension vers la sainteté et la conversion missionnaire de l’Église.
Souligner cette expression privilégiée de la dimension charismatique de l’Église ne signifie pas sous estimer bien d’autres de ses expressions qui se manifestent dans les mouvements, dans les associations, dans les activités apostoliques, dans les témoignages de laïcs dans le monde et de ministres qualifiés pour des services spécifiques dans les domaines de la prédication, de la charité, de l’éducation, des communications, etc. Le document distingue aussi les « dons charismatiques partagés » dans le sens où des dons charismatiques personnels, « dans la pratique,… peuvent engendrer des affinités, des proximités et des parentés spirituelles à travers lesquelles le patrimoine charismatique est partagé et approfondi, à partir de la personne du fondateur, en donnant vie à de vraies familles spirituelles. » (16). Si un charisme semblable revêt un caractère « de fondation », il requiert un discernement particulier de la part de l’autorité ecclésiale, suivant « un processus qui prend du temps et requiert des étapes précises pour parvenir à leur vérification » (17). Dans ce but, le document résume les critères pour le discernement des dons charismatiques en huit points, parmi lesquels ressort leur intégration ecclésiale, à savoir « sa capacité de s’intégrer harmonieusement dans la vie du peuple saint de Dieu » (18).
Conclusion
L’ecclésiologie du Concile Vatican II a reconnus égaux les dons hiérarchiques et charismatiques dans l’Église, ouvrant ainsi une saison missionnaire nouvelle, fondée sur le témoignage de communion et sur l’ouverture au dialogue œcuménique et interreligieux. Malgré les tensions inhérentes à cette nouvelle intégration, les fruits sont largement supérieurs aux difficultés ; parmi eux, la reconnaissance irréversible de l’importance ecclésiale des charismes et, en conséquence, la promotion de nouveaux rapports entres sujets de dons hiérarchiques et charismatiques pour la vie et la mission de l’Église. Si quelqu’un doutait encore de l’importance de la dimension charismatique dans l’Église, je l’inviterais à réfléchir sur le fait que, cinquante ans après le Concile Vatican II, l’Esprit Saint et les cardinaux ont choisi un pasteur suprême qui provient de la sphère charismatique de l’Église. Merci !
© Traduction de Zenit, Constance Roques