« Et maintenant, je voudrais vous exhorter, dans ce cadre de cette fête familiale, à ce que les couples ici présents, en silence, renouvellent les promesses faites lors de leurs mariages. Et ceux qui sont fiancés, qu’ils demandent la grâce d’une famille fidèle et pleine d’amour. En silence, renouveler les promesses faites lors du mariage, et les fiancés demander la grâce d’une famille fidèle et pleine d’amour » : le pape François a voulu ce moment à la fois si simple et si solennel au cœur d’une fête de la famille, au Chiapas.
Le pape a renouvelé quant à lui son soutien aux familles devant quelque 50 000 personnes rassemblées dans le stade de Tuxtla Gutierrez, dans l’Etat du Chiapas (Mexique), auprès des communautés indigènes, dans l’après-midi de lundi, 15 février.
Le pape a lui-même commenté cette rencontre en postant ce tweet sur son compte @Pontifex_fr: « Je préfère une famille avec un visage fatigué par les sacrifices aux visages maquillés qui ne connaissent ni tendresse ni compassion. »
Voici la traduction officielle de l’allocution du pape François, dont une bonne partie a été improvisée sur le moment, en réaction aux témoignages.
Discours du pape François aux familles du Chiapas
Chers frères et sœurs,
Je rends grâce à Dieu de me trouver sur cette terre du Chiapas. Il est bon de se trouver sur ce sol, il est bon de se trouver sur cette terre, il est bon se trouver en ce lieu qui, avec vous, a un goût de famille, de foyer. Je rends grâce à Dieu pour vos visages et pour votre présence, je rends grâce à Dieu pour son émouvante présence dans vos familles. Et merci également à vous, familles et amis, qui nous avez offert vos témoignages, qui nous avez ouvert les portes de vos maisons, les portes de vos vies ; vous nous avez permis d’être à vos ‘‘tables’’ partageant le pain qui vous nourrit et la sueur face aux difficultés quotidiennes. Le pain des joies, de l’espérance, des rêves et la sueur face aux amertumes, face à la désillusion et aux chutes. Merci de nous permettre d’accéder à vos familles, à votre table, à votre foyer.
Manuel, avant de te remercier pour ton témoignage, je voudrais remercier tes parents, tous deux à genoux devant toi, te tenant le papier. Avez-vous vu cette scène ? Les parents à genoux devant leur fils qui est malade. N’oublions pas cette scène. Certainement, de temps à autre, ils se querellent, certainement. Quel mari et quelle femme ne se querellent-ils pas ? Surtout si la belle-mère s’en mêle, mais peu importe ! Cependant, ils s’aiment, et ils nous ont démontré qu’ils s’aiment et qu’ils sont capables, en raison de l’amour qu’ils ont l’un pour l’autre, de se mettre à genoux devant leur fils malade. Merci, chers amis pour ce témoignage que vous avez donné et allez de l’avant ! Merci ! Et merci à toi Manuel pour ton témoignage et surtout pour ton exemple. L’expression que tu as utilisée m’a plu : ‘‘y mettre de l’enthousiasme’’ tout comme l’attitude que tu as adoptée après t’être entretenu avec tes parents. Tu as commencé à mettre de l’enthousiasme dans ta vie, à mettre de l’enthousiasme dans ta famille, à mettre de l’enthousiasme dans les rangs de tes amis et tu nous communiques de l’enthousiasme à nous ici réunis. Merci ! Je crois que c’est ce que l’Esprit Saint veut toujours faire au milieu de nous : nous donner de l’enthousiasme, nous faire le don de raisons de continuer à compter sur la famille, à rêver, à construire une vie qui ait un goût de foyer, de famille. Sommes-nous animés d’enthousiasme ? (Ils répondent : Oui !). Merci !
Et c’est ce que Dieu le Père a toujours rêvé et ce pour quoi depuis longtemps Dieu le Père a lutté. Lorsque tout semblait perdu, cet après-midi-là, au jardin d’Eden, Dieu le Père a suscité l’enthousiasme chez ce jeune couple et lui a dit que tout n’était pas perdu. Et lorsque le peuple d’Israël sentait qu’il n’en pouvait plus sur le chemin à travers le désert, Dieu le Père lui a donné de l’enthousiasme par la manne. Et lorsqu’est arrivée la plénitude des temps, Dieu le Père a donné pour toujours de l’enthousiasme à l’humanité et nous a envoyé son Fils.
De la même manière, nous tous ici présents, nous avons fait cette expérience, à bien des moments et sous diverse formes, Dieu le Père a donné de l’enthousiasme à notre vie. Pouvons-nous nous demander pourquoi ?
Parce qu’il ne sait pas faire autrement. Dieu notre Père ne sait pas faire autrement que de nous aimer et de nous donner de l’enthousiasme, de nous encourager, de nous pousser de l’avant, il ne sait pas faire autrement, parce que son nom est amour, son nom est don, son nom est don de soi, son nom est miséricorde. Il nous l’a manifesté avec force et clarté en Jésus, son Fils qui a tout donné jusqu’à l’extrême pour rendre possible le Royaume de Dieu. Un Royaume qui nous invite à entrer dans cette nouvelle logique, qui suscite une dynamique capable d’ouvrir les cieux, capable d’ouvrir nos cœurs, nos esprits, nos mains et de nous stimuler par de nouveaux horizons. Un Royaume qui sait ce qu’est la famille, qui sait ce qu’est la vie partagée. En Jésus et avec Jésus, ce Royaume est possible. Il est capable de transformer nos regards, nos attitudes, nos sentiments souvent fades en vin de fête. Il est capable de guérir nos cœurs et de nous inviter sans cesse, soixante-dix fois sept fois à recommencer. Il est capable de toujours renouveler toute chose.
Manuel, tu m’as demandé de prier pour de nombreux adolescents qui sont découragés et se trouvent en situations difficiles. Nous le savons, n’est-ce pas ? De nombreux adolescents démoralisés, sans force, sans enthousiasme. Et comme tu l’as si bien dit, Manuel, souvent cette attitude naît du fait qu’ils se sentent seuls, parce qu’ils n’ont pas avec qui parler. Réfléchissez-y, chers pères, réfléchissez-y, chères mères : parlez-vous avec vos fils et vos filles ? ou bien vous êtes toujours occupés, pressés ? Jouez-vous avec vos fils et vos filles ? Et cela m’a rappelé le témoignage de Beatriz. Beatriz, vous avez dit : ‘‘le combat a été toujours difficile à cause de la précarité et de la solitude’’. Que de fois t’es-tu sentie montrée du doigt, jugée, ‘‘celle-là’’. Pensons à toutes les personnes, à toutes les femmes qui ont traversé la même situation que Beatriz. La précarité, la pénurie, le manque fréquent du minimum peuvent nous désespérer, peuvent nous faire sentir une forte angoisse, puisque nous ne savons comment faire pour aller de l’avant et d’autant plus que nous avons des enfants à notre charge. La précarité non seulement menace l’estomac (et c’est déjà beaucoup), mais elle peut aussi menacer l’âme, elle peut démotiver, ôter la force et tenter avec des parcours ou des alternatives de solution apparente mais qui, en définitive, ne résolvent rien. Et vous avez été courageuse, Beatriz, merci. Il existe une précarité qui peut être très dangereuse, qui peut se coller à nous sans que nous ne nous en rendions compte, c’est la précarité qui naît de la solitude et de l’isolement. Et l’isolement est toujours mauvais conseiller.
Manuel et Beatriz, sans s’en rendre compte, ont utilisé la même expression, tous deux nous montrent comment souvent la plus grande tentation à laquelle nous sommes confrontés est de ‘‘nous enfermer’’ et loin de ‘‘mettre de l’enthousiasme’’, cette attitude, comme la mite qui nous ronge l’âme, nous dessèche l’âme peu à peu.
La manière de combattre cette précarité et cet isolement, qui nous rendent vulnérables à tant de solutions apparentes – comme celle que Beatriz a mentionnée – , doit se situer à divers niveaux. D’une part, les législations, qui protègent et garantissent le minimum nécessaire pour que chaque famille et pour que chaque personne puisse se développer par la formation et un travail digne, représentent un niveau. D’autre part, comme le témoignage de Humberto et de Claudia l’ont si bien souligné, lorsqu’ils disaient qu’ils cherchaient la façon de communiquer l’amour de Dieu qu’ils avaient expérimenté dans le service et dans le don de soi aux autres. Des lois et un engagement personnel sont un bon binôme pour rompre la spirale de la précarité. Et vous vous êtes donné du courage, et vous priez, et vous êtes avec Jésus, et vous êtes intégrés dans la vie de l’Eglise. Vous avez utilisé une belle expression : ‘‘Nous nous unissons au frère faible, au malade, à celui qui est dans le besoin, au prisonnier’’. Merci, merci !
De nos jours, nous voyons et nous expérimentons à travers différents visages comment la famille est affaiblie, comment elle est remise en question. Comment on croit que c’est un modèle déjà dépassé et n’ayant plus de place dans nos sociétés qui, avec la prétention de la modernité, offrent toujours davantage un modèle fondé sur l’isolement. Et on inocule, dans nos sociétés – on parle de sociétés libres, démocratiques, souveraines – on inocule des colonisations idéologiques qui les détruisent et nous finissons par être des colonies d’idéologies destructrices de la famille, du noyau familial, qui est la base de toute société saine.
Certes, vivre en famille n’est pas toujours facile, bien des fois c’est douloureux et fatiguant mais, comme je l’ai dit plus d’une fois de l’Eglise – je crois qu’on peut l’appliquer à la famille – : je préfère une famille blessée qui essaie tous les jours de vivre l’amour, à une famille et à une société malades de l’enfermement ou de la facilité de la peur d’aimer. Je préfère une famille qui essaie sans cesse de recommencer, à une famille et une société narcissiques et obnubilées par le luxe et le confort. Combien d’enfants as-tu ? ‘‘Non, nous n’en avons pas parce que, évidemment, nous aimons aller en vacances, faire du tourisme, je veux acheter une maison de campagne’’. Le luxe ainsi que le confort ; et les enfant attendent et, lorsque tu veux en avoir un, il est déjà trop tard. Comme ça fait du mal, ça, eh ! Je préfère une famille au visage épuisé par le don de soi, à une famille aux visages maquillés qui n’ont pas su ce qu’est la tendresse et la compassion. Je préfère un homme et une femme, Monsieur Aniceto et son épouse, aux visages ridés à cause des luttes quotidiennes qui, après plus de cinquante ans continuent de s’aimer, et nous les voyons là ; et leur fils a appris la leçon, il est marié depuis vingt-cinq ans. Voilà des familles ! Lorsque j’ai demandé, il y a quelques instants, à Monsieur Aniceto et à son épouse qui a eu plus de patience que l’autre durant ces cinquante ans : ‘‘Nous deux, mon Père’’. Car en famille, pour réaliser ce qu’ils ont fait, il faut avoir de la patience, de l’amour, il faut savoir se pardonner. ‘‘Mon Père, une famille parfaite ne se querelle jamais’’. Ce n’est pas vrai, il faut que vous vous querelliez de temps en temps et que quelque vaisselle vole ; c’est normal, n’ayez pas peur de cela. L’unique conseil, c’est que vous ne terminiez pas la journée sans faire la paix, car si vous terminez la journée en guerre, vous vous réveillerez en guerre froide, et la guerre froide est très dangereuse en famille, parce qu’elle sape par-dessous les rides de la fidélité conjugale. Merci pour le témoignage de vous aimer pendant plus de cinquante ans. Merci beaucoup !
Et parlant de rides – pour changer un peu le thème – je me souviens du témoignage d’une grande actrice – actrice latino-américaine du cinéma – lorsque à presque 60 ans, elle commence à avoir un visage ridé et on lui a conseillé un ‘‘nettoyage’’, ‘‘un petit nettoyage’’ pour pouvoir continuer à bien travailler ; sa réponse a été claire : ‘‘Ces rides m’ont coûté beaucoup de travail, beaucoup d’effort, beaucoup de douleur et une vie pleine, même dans le rêve je ne veux pas m’en débarrasser, ce sont les traces de mon histoire’’. Et elle a continué à être une grande actrice. Il se passe la même chose dans le mariage. La vie matrimoniale doit se renouveler tous les jours. Et comme je l’ai dit auparavant, je préfère des familles ridées, avec des blessures, avec des cicatrices mais qui continuent d’aller de l’avant, parce que ces blessures, ces cicatrices, ces rides sont le fruit de la fidélité d’un amour qui ne leur pas été toujours facile. L’amour n’est pas facile, il n’est pas facile, non, mais c’est la plus belle chose qu’un homme et une femme puissent donner l’un à l’autre, le vrai amour, pour toute la vie.
Vous m’avez demandé de prier pour vous et je voudrais commencer à le faire maintenant même.. Chers mexicains, vous avez un atout, vous avez un avantage. Vous avez une mère ; la Guadalupana, la Guadalupana a voulu visiter cette terre et cela nous donne la certitude de bénéficier de son intercession pour que ce rêve appelé famille ne se perde pas à cause de la précarité et de la solitude. Elle est mère et elle est toujours prête à défendre nos familles, à défendre notre avenir, elle est toujours prête à ‘‘mettre de l’enthousiasme’’, en nous donnant à son Fils. Voilà pourquoi je vous invite, comme vous êtes, sans bouger beaucoup, à vous tenir par les mains et à lui dire ensemble : Je vous salue Marie…
Et n’oublions pas saint Joseph, silencieux, travailleur, mais toujours au front, protégeant la famille. Merci, que Dieu vous bénisse ; et priez pour moi.
Et maintenant, je voudrais vous exhorter, dans ce cadre de cette fête familiale, à ce que les couples ici présents, en silence, renouvellent les promesses faites lors de leurs mariages. Et ceux qui sont fiancés, qu’ils demandent la grâce d’une famille fidèle et pleine d’amour. En silence, renouveler les promesses faites lors du mariage, et les fiancés demander la grâce d’une famille fidèle et pleine d’amour.
© Librairie éditrice du Vatican
Fête des Familles, Chiapas, 15 fevrier 2016 - L'Osservatore Romano
Au Chiapas, fête de la famille avec le pape François (texte complet)
Renouvellement des promesses du mariage