Brunor éditions

Indices pensables: l'individuation par la matière ?

Print Friendly, PDF & Email

Episode 71

Share this Entry
Print Friendly, PDF & Email

Résumé : Nous commençons cette nouvelle enquête en nous interrogeant sur les sources de l’interprétation « janséniste » que l’Eglise a refusée car elle est beaucoup trop destructrice de la raison humaine et semble étrangère à la révélation biblique.
De fait, si cette interprétation était dans l’Ecriture, l’Eglise de Rome ne l’aurait pas refusée ; alors d’où vient-elle, dans son expression « janséniste » ? L’enquête nous fait remonter en Grèce, au siècle du grand Platon, vers l’an 380 avant Jésus- Christ. Comme d’autres philosophes, Platon a tenu à exprimer sa représentation du Monde. Comme d’autres philosophes, penseurs, sages, il nous transmet son modèle du Monde (paradigme) qui est décliné sur quatre grands sujets reliés entre eux : 1 – Comment est fait le cosmos ? 2 – Comment sont faits les êtres vivants en général ? 3 – Comment sont faits les êtres humains en particulier ? 4 – Qui a fait tout cela ? Un Dieu unique, plusieurs dieux ou aucun dieu ?
Ce quatrième sujet n’est pas vérifiable puisqu’il n’appartient pas au domaine des sciences expérimentales, mais au domaine métaphysique. En revanche les trois premiers sujets sont désormais vérifiables, ce qui constitue une nouveauté considérable qui nous permet d’effectuer ces enquêtes. Mais que nous dit Platon de sa propre représentation du Monde ? Comme nous l’avons vu (1), il reprend à son compte une théorie dont il n’est pas l’auteur, car on la trouve déjà, avant lui, dans les anciens mythes grecs comme ceux de l’orphisme. Ces mythes enseignent la représentation du Monde suivante : cette vie sur Terre est tellement dure qu’elle ne peut être qu’une punition infligée par les dieux. Les premiers êtres humains étaient spirituels, doués de dons spirituels considérables et dépourvus de toute matière. Etant sans corps, ils n’étaient ni hommes ni femmes. L’homme originel, au paradis de Platon et de l’orphisme, jouit du bonheur de la vie divine. Bien entendu, il n’est pas soumis à la mort et aux maladies, il est un pur esprit, aussi la matière ne pèse-t-elle pas sur ses épaules, il est heureux dans la contemplation du dieu de Platon. C’est ce qui définit le mythe de l’âge d’or, le plérôme, qui est donc posé au commencement. Puisque tout est donné à l’origine, avant toutes choses, l’Homme spirituel primordial de Platon ne peut rien attendre de mieux, il est dans la plénitude primordiale de nos premiers parents, dans un lieu hors du Cosmos (qui n’existait pas encore), au paradis, avec le ou les dieux. Un thème partagé par différentes religions et cultures.
Mais alors, demandent les étudiants de l’Académie de Platon, pourquoi ne sommes-nous pas restés dans cette félicité paradisiaque ? Alors que dans ce monde présent, nous devons supporter ce corps qui nous encombre et toute cette matière qui est source de tant de maux… Pourquoi une telle condition déplorable ?
Il est certain qu’une telle situation ne peut qu’être méritée, répond Platon, elle ne peut pas être le fruit du hasard ! Nous avons sûrement commis une très grande faute, ou plusieurs, pour avoir mérité une telle punition. Car, précise le maître, non seulement nous sommes à l’origine des hommes spirituels, mais nous sommes même des parcelles divines ! Nous sommes faits de substance divine car nous sommes « émanés » (issus) du divin. Or vous voyez bien que vous et moi avons oublié cette plénitude qui était donnée dès le commencement. Mais que faisons-nous dans ce cauchemar matériel, au lieu de jouir de la plénitude spirituelle originelle ? Réponse des mythes orphiques : nous avons commis une faute qui a entraîné notre expulsion de ce paradis. C’est la « Chute » orphique et platonicienne. Une Chute tellement importante qu’elle nous a fait oublier notre condition paradisiaque précédente.
Bien entendu, il ne faudra surtout pas confondre ce mythe avec le récit biblique de la Création, sans quoi des confusions considérables auront lieu, contre lesquelles devra lutter un grand docteur de l’Eglise comme saint Irénée de Lyon (+ 202 ou 208), nous y reviendrons. Cette Chute orphique et platonicienne a encore été condamnée par l’Eglise lorsqu’un certain Origène (+ 254) et ses disciples essayaient de la confondre avec la chute biblique. On voit bien qu’un débat avait commencé entre le clan platonicien et l’Eglise de Rome qui refusait cette confusion.
Nous reviendrons sur le paradigme d’Origène car il nous enseigne beaucoup sur la lecture janséniste refusée par l’Eglise. En attendant, ce qui est intéressant pour notre enquête, c’est que ce paradigme de la Chute, aujourd’hui, peut enfin être confronté au réel. Platon enseignait « l’individuation par la matière ». Puisque ma Chute a soi-disant abouti à une plongée dans la matière (fange) me voici recouvert de cette « matière détestable » de la tête aux pieds. L’homme spirituel que j’étais avant la faute est désormais prisonnier de cette matière qui est différente de celle du voisin. C’est ce corps/matière/Bruno, qui me donne l’illusion d’ÊTRE Bruno. Mais en réalité je suis une parcelle divine comme mon voisin, et la Chute nous a fait tomber au hasard dans des matières différentes, c’est pourquoi nous somme « individués par la matière ».
Je suis tombé dans une matière « Bruno », je crois être… Bruno ! Mais ce n’est qu’un leurre, car pour les gnoses orphiques et platoniciennes, ce « corps-Bruno » n’est que la prison provisoire de mon âme qui retournera se fondre dans le divin à ma mort, à moins de retomber dans un nouveau corps-prison : soma-sema (2), selon le jeu de mots orphique. On reconnaît l’inspiration hindouiste de la migration de l’âme de corps en corps (réincarnations successives). Nous sommes ici très loin du récit biblique et de sa représentation du Monde. Mais il était possible de croire au récit de l’orphisme, car pendant des siècles on était dans l’impossibilité absolue de vérifier si ce paradigme était vrai ou faux.
Aujourd’hui, nous voyons que ce récit est incompatible avec le réel puisque nous savons depuis quelques dizaines d’années que la « matière » qui me constitue (atomes et molécules), est rigoureusement identique à celle de mon voisin… et de tous mes voisins ! Nous sommes tous faits d’atomes identiques. Ce qui nous individualise ne peut donc absolument pas être la matière. Ce qui nous différencie est donc autre chose que la matière et les atomes ! Mais quoi ? Aristote et les Hébreux répondent : c’est la psyché ou l’âme qui n’est pas matérielle mais spirituelle, invisible et sans poids…
Il est devenu impossible de raconter qu’une prétendue Chute dans la matière est responsable de notre individuation, comme l’enseignaient l’orphisme, le platonisme et ceux qui s’inspirent de ces mythes comme l’ont fait Origène et ses disciples à travers les siècles.
Nous poursuivrons le récit de Platon car il a encore des choses à nous dire, que nous tenterons de vérifier…
(A suivre…)
Brunor

  1. Voir chroniques 57, 58 et 59 http://brunor.fr/PAGES/Pages_Chroniques/57-Chronique.html et suivantes…
  2. Soma = corps. Sema = prison.
  3. Illustration tirée du Tome 6 des indices pensables : Le Secret de l’ADAM inachevé. (Brunor éditions). Dans toutes les bonnes librairies en précisant « diffusion Salvator », pour aider le libraire à les commander. Sinon, sur Internet.
Share this Entry

FAIRE UN DON

Si cet article vous a plu, vous pouvez soutenir ZENIT grâce à un don ponctuel