Déjeuner avec les pauvres de la Caritas de Florence © L'Osservatore Romano

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"Jésus est notre humanisme", explique le pape François

Ve Congrès de l’Église italienne (texte complet)

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Le pape François dessine les contours d’un immense chantier : la promotion d’un nouvel humanisme, chrétien.

Voici notre traduction intégrale de l’important et long discours prononcé par le pape François à Florence (Italie), le 10 novembre, lors du Ve Congrès de l’Église italienne, en la cathédrale Santa Maria del Fiore, le 10 novembre.

« Nous ne devons pas domestiquer la puissance du visage de Jésus. Son visage est l’image de sa transcendance. C’est le misericordiae vultus (le visage de la miséricorde). Laissons-nous regarder par lui. Jésus est notre humanisme », explique le pape.

Il ensuite évoque des caractéristiques de l’humanisme chrétien : « Je ne veux pas dessiner dans l’abstrait un « nouvel humanisme », une certaine idée de l’homme, mais présenter avec simplicité quelques traits de l’humanisme chrétien qui est celui des « sentiments du Christ Jésus » (Ph 2,5). Ce ne sont pas des sensations abstraites et provisoires de l’âme, mais ils représentent la chaude force intérieure qui nous rend capables de vivre et de prendre des décisions. Quels sont ces sentiments ? Je voudrais aujourd’hui vous en présenter au moins trois. »

Et de citer l’humilité, le désintéressement et la béatitude.

A.B.

Discours du pape François

Dans la coupole de cette splendide cathédrale, est représenté le Jugement dernier. Au centre, se trouve Jésus, notre lumière. L’inscription qu’on lit au sommet de la fresque est : « Ecce Homo ». En regardant cette coupole, nous sommes attirés vers le haut, tandis que nous contemplons la transformation du Christ jugé par Pilate, dans le Christ assis sur le trône de justice. Un ange lui apporte l’épée, mais Jésus n’assume pas les symboles du jugement ; au contraire, il lève la main droite pour montrer les signes de sa passion, parce qu’il « s’est donné lui-même en rançon pour tous » (1 Tm 2,6). « Car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pas pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé » (Jn 3,17).

Dans la lumière de ce Juge de miséricorde, nous plions les genoux en adoration et nos mains et nos pieds se fortifient. Nous ne pouvons parler d’humanisme qu’à partir de la place centrale de Jésus, en découvrant en lui les traits du visage authentique de l’homme. C’est la contemplation du visage de Jésus mort et ressuscité qui recompose notre humanité, même celle qui est fragmentée par les vicissitudes de la vie ou marquée par le péché. Nous ne devons pas domestiquer la puissance du visage de Jésus. Son visage est l’image de sa transcendance. C’est le misericordiae vultus (le visage de la miséricorde). Laissons-nous regarder par lui. Jésus est notre humanisme. Laissons-nous toujours inquiéter par sa question : « Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? » (<em>Mt 16,15).

Si nous regardons son visage, que voyons-nous ? Avant tout, le visage d’un Dieu « anéanti », d’un Dieu qui a pris la condition de serviteur, humilié et obéissant jusqu’à la mort (cf. Ph 2,7). Le visage de Jésus est semblable à celui de tant de nos frères humiliés, faits esclaves, anéantis. Dieu a pris leur visage. Et ce visage nous regarde. Dieu, qui est « l’être qui surpasse tout ce que la pensée peut concevoir de plus grand », comme disait saint Anselme, le Deus semper maior (le Dieu toujours plus grand) de saint Ignace de Loyola, devient toujours plus grand que lui-même en s’abaissant. Si nous ne nous abaissons pas, nous ne pourrons pas voir son visage. Nous ne verrons rien de sa plénitude si nous n’acceptons pas que Dieu se soit anéanti. Et par conséquent, nous ne comprendrons rien de l’humanisme chrétien et nos paroles seront belles, cultivées, raffinées, mais elles ne seront pas des paroles de foi. Elles seront des paroles qui résonnent dans le vide.

Je ne veux pas dessiner dans l’abstrait un « nouvel humanisme », une certaine idée de l’homme, mais présenter avec simplicité quelques traits de l’humanisme chrétien qui est celui des « sentiments du Christ Jésus » (Ph 2,5). Ce ne sont pas des sensations abstraites et provisoires de l’âme, mais ils représentent la chaude force intérieure qui nous rend capables de vivre et de prendre des décisions. Quels sont ces sentiments ? Je voudrais aujourd’hui vous en présenter au moins trois.

Le premier sentiment est l’humilité. « Ayez assez d’humilité pour estimer les autres supérieurs à vous-mêmes » (Ph 2,3), dit saint Paul aux Philippiens. Plus loin, l’apôtre parle du fait que Jésus ne considère pas comme un privilège « le rang qui l’égalait à Dieu » (Ph 2,6). Il y a ici un message précis. L’obsession de préserver sa propre gloire, sa propre « dignité », sa propre influence ne doit pas faire partie de nos sentiments. Nous devons rechercher la gloire de Dieu et elle ne coïncide pas avec la nôtre. La gloire de Dieu qui éclate dans l’humilité de la grotte de Bethléem ou dans le déshonneur de la croix du Christ nous surprend toujours.

Un autre sentiment de Jésus qui donne forme à l’humanisme chrétien est le désintéressement « Que chacun de vous ne soit pas préoccupé de ses propres intérêts ; pensez aussi à ceux des autres » (Ph 2,4), demande encore saint Paul. Donc, plus que le désintéressement, nous devons rechercher le bonheur de celui qui est à côté de nous. L’humanité chrétienne est toujours en train de sortir. Elle n’est pas narcissique, autoréférentielle. Quand notre cœur est riche et très satisfait de lui-même, il n’a alors plus de place pour Dieu. Évitons, s’il vous plaît, de « nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles » (Exhort. ap. La joie de l’Évangile). Notre devoir est de travailler pour faire de ce monde un endroit meilleur et pour lutter. Notre foi est révolutionnaire par l’impulsion qui vient de l’Esprit-Saint. Nous devons suivre cette impulsion pour sortir de nous-mêmes, pour être des hommes selon l’Évangile de Jésus. Toute vie se décide sur sa capacité à se donner. C’est là qu’elle se transcende, qu’elle parvient à être féconde.

Un autre sentiment du Christ Jésus est la béatitude. Le chrétien est un bienheureux, il a en lui la joie de l’Évangile. Dans les Béatitudes, le Seigneur nous indique le chemin. En le parcourant, nous, les êtres humains, nous pouvons arriver au bonheur plus authentiquement humain et divin. Jésus parle du bonheur dont nous faisons l’expérience lorsque nous sommes pauvres en esprit. Pour les grands saints, la béatitude est liée à l’humiliation et la pauvreté. Mais même chez les plus humbles de notre peuple, il y a beaucoup de cette béatitude : celle de celui qui connaît la richesse de la solidarité et du partage du peu que l’on possède ; la richesse du sacrifice quotidien d’un travail, parfois dur et mal payé, mais fait par amour envers les proches ; et aussi celle de nos misères personnelles qui, vécues avec confiance dans la Providence et dans la miséricorde de Dieu le Père, alimentent pourtant une humble grandeur.

Les Béatitudes que nous lisons dans l’Évangile commencent par une bénédiction et se terminent par une promesse de consolation. Elles nous introduisent sur un sentier de grandeur possible, celui de l’esprit, et quand l’esprit est prêt, tout le reste vient naturellement. Certes, si nous n’avons pas le cœur ouvert à l’Esprit-Saint, elles nous paraîtront absurdes parce qu’elles ne nous conduisent pas au « succès ». Pour être
« bienheureux », pour goûter la consolation de l’amitié avec Jésus-Christ, il est nécessaire d’avoir le cœur ouvert. La béatitude est un pari laborieux, fait de renonciations, d’écoute et d’apprentissage, dont les fruits se cueillent dans le temps, nous offrant une paix incomparable : « Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur » (Ps 34,9).

Humilité, désintéressement, béatitude : ces trois aspects que je veux aujourd’hui présenter à votre méditation sur l’humanisme chrétien qui naît de l’humanité du Fils de Dieu. Et ces traits disent aussi quelque chose à l’Église italienne qui est réunie aujourd’hui pour cheminer ensemble. Ces traits nous disent que nous ne devons pas être obsédés par le « pouvoir », même lorsque celui-ci prend le visage d’un pouvoir fonctionnel et utile à l’image sociale de l’Église. Si l’Église n’assume pas les sentiments de Jésus, elle est désorientée, elle perd son sens. Si elle les assume en revanche, elle sait être à la hauteur de sa mission. Les sentiments de Jésus nous disent qu’une Église qui penserait à elle-même et à ses propres intérêts serait triste.

Les Béatitudes, enfin, sont le miroir dans lequel nous regarder, celui qui nous permet de savoir si nous marchons sur le bon chemin : c’est un miroir qui ne ment pas. Une Église qui présente ces trois traits – humilité, désintéressement et béatitude – est une Église qui sait reconnaître l’action du Seigneur dans le monde, dans la culture, dans la vie quotidienne des personnes. Je l’ai dit plusieurs fois et je vous le redis aujourd’hui : « Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures » (La joie de l’Évangile, 49). Mais les tentations à affronter sont nombreuses. Je vous en présente au moins deux.

La première est la tentation pélagienne. Elle pousse l’Église à ne pas être humble, désintéressée et bienheureuse. Et elle le fait sous l’apparence d’un bien. Le pélagianisme nous pousse à avoir confiance dans les structures, dans les organisations, dans les planifications parfaites parce que abstraites. Cela nous entraîne souvent même à assumer un style de contrôle, de dureté, de normativité. La norme donne au pélagien la sécurité de se sentir supérieur, d’avoir une orientation précise. C’est là qu’il trouve sa force, et non dans la légèreté du souffle de l’Esprit. Face aux maux ou aux problèmes de l’Église, il est inutile de chercher des solutions dans des conservatismes et des fondamentalismes, dans la restauration de conduites et de formes dépassées qui n’ont même pas la capacité d’être significatives culturellement. La doctrine chrétienne n’est pas un système fermé incapable de générer des questions, des doutes, des interrogations, mais elle est vivante, elle sait inquiéter, animer. Elle a un visage qui n’est pas rigide, elle a un corps qui se meut et se développe, elle a une chair tendre : elle s’appelle Jésus-Christ.

La réforme de l’Église – et l’Église est semper reformanda (elle doit toujours être réformée, ndt) – est étrangère au pélagianisme. Elle ne s’épuise pas dans un énième plan pour changer les structures. Elle signifie en revanche se greffer et s’enraciner dans le Christ en se laissant conduire par l’Esprit. Alors, tout devient possible, avec génie et créativité. Que l’Église italienne se laisse porter par son souffle puissant et, pour cette raison même, parfois inquiétant. Qu’elle fasse toujours sien l’esprit de ces grands explorateurs qui, sur les bateaux, ont été passionnés de navigation en haute mer sans se laisser effrayer par les frontières et les tempêtes. Qu’elle soit une Église libre et ouverte aux défis du présent, jamais sur la défensive de crainte de perdre quelque chose. Et en rencontrant les gens sur leurs chemins, qu’elle reprenne à son compte les propos de saint Paul : « Avec les faibles, j’ai été faible, pour gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous pour en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Cor 9,22).

La seconde tentation à vaincre est celle du gnosticisme. Elle pousse à faire confiance au raisonnement logique et clair, qui perd cependant la tendresse de la chair du frère. L’attrait du gnosticisme réside dans « une foi renfermée dans le subjectivisme, où seule compte une expérience déterminée ou une série de raisonnements et de connaissances que l’on considère comme pouvant réconforter et éclairer, mais où le sujet reste en définitive fermé dans l’immanence de sa propre raison ou de ses sentiments » (La joie de l’Évangile, 94).

La différence entre la transcendance chrétienne et n’importe quelle forme de spiritualisme gnostique se trouve dans le mystère de l’Incarnation. Ne pas mettre en pratique, ne pas rapporter la Parole à la réalité, signifie construire sur le sable, rester dans l’idée pure et dégénérer dans un intimisme qui ne porte pas de fruit, qui rend stérile son dynamisme.

L’Église italienne a de grands saints dont l’exemple peut l’aider à vivre la foi avec humilité, désintéressement et joie, de François d’Assise à Philippe Neri. Mais pensons aussi à la simplicité de personnages inventés comme don Camillo qui fait équipe avec Peppone. Je suis frappé, dans les histoires de Guareschi, de voir combien la prière d’un bon curé est liée à sa proximité évidente avec les gens. Don Camillo disait de lui : « Je suis un pauvre prêtre de campagne qui connaît ses paroissiens un par un, qui les aime, qui sait quelles sont leurs douleurs et leurs joies, qui souffre et sait rire avec eux. » La proximité avec les gens et la prière sont la clé pour vivre un humanisme chrétien populaire, humble, généreux, joyeux. Si nous perdons ce contact avec le peuple fidèle de Dieu, nous perdons en humanité et nous n’allons nulle part.

Mais alors, que devons-nous faire ? direz-vous. Que nous demande le pape ? C’est à vous de décider : le peuple et les pasteurs ensemble. Aujourd’hui, je vous invite simplement à lever la tête et à contempler la scène. Retournons au Jésus qui est représenté ici comme Juge universel. Que se passera-t-il quand « le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, et tous les anges avec lui » et qu’« il siégera sur son trône de gloire » (Mt 25,31) ? Que nous dit Jésus ?

Nous pouvons imaginer ce Jésus, qui se tient au-dessus de nos têtes, dire quelques mots à chacun de nous et à l’Église italienne. Il pourrait dire : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage le Royaume préparé pour vous depuis la fondation du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger ; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » (Mt 25,34-36).

Mais il pourrait aussi dire : « Allez-vous-en loin de moi, vous les maudits, dans le feu éternel préparé pour le diable et ses anges. Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais un étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas habillé ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité » (Mt 25,41-43).

Les Béatitudes et les paroles que nous venons de lire sur le Jugement universel nous aident à vivre la vie chrétienne au niveau de la sainteté. Les paroles sont peu nombreuses, simples mais pratiques. Que
le Seigneur nous donne la grâce de comprendre son message ! Et regardons encore une fois les traits du visage de Jésus et ses gestes. Voyons Jésus qui mange et boit avec les pécheurs (cf. Mc 2,16 ; Mt 11,19) ; contemplons-le tandis qu’il converse avec la Samaritaine (cf. Jn 4,7-26) ; épions-le lorsqu’il rencontre de nuit Nicodème (Jn 3,1-21) ; goûtons avec affection la scène où il se fait oindre les pieds par une prostituée (cf. Lc 7,36-50) ; sentons sa salive sur la pointe de notre langue qui se délie ainsi (Mc 7,33). Admirons la « sympathie de tout le peuple » qui entoure les disciples, c’est-à-dire nous-mêmes, et faisons l’expérience de leur « allégresse et simplicité de cœur » (Ac 2,46-47).

Aux évêques, je demande d’être des pasteurs : que ce soit votre joie. Ce sont les gens, votre troupeau, qui vous soutiendront. Récemment, j’ai lu l’histoire d’un évêque qui racontait qu’il était dans le métro à une heure de pointe et qu’il y avait tellement de personnes qu’il ne savait plus où poser la main pour se tenir. Poussé à droite et à gauche, il s’appuyait sur les personnes pour ne pas tomber. Et c’est comme cela qu’il a pensé que, outre la prière, ce qui fait tenir debout un évêque, c’est son peuple. Que rien ni personne ne vous enlève la joie d’être soutenus par votre peuple. Comme pasteurs, soyez non pas des prédicateurs de doctrines complexes, mais des annonciateurs du Christ, mort et ressuscité pour nous. Allez à l’essentiel, au kérygme. Il n’y a rien de plus solide, profond et sûr que cette annonce. Mais que ce soit tout le peuple de Dieu qui annonce l’Évangile, je veux dire le peuple et les pasteurs. J’ai exprimé ma préoccupation pastorale dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium (cf. 111-134).

À toute l’Église italienne, je recommande ce que j’ai indiqué dans cette exhortation : l’inclusion sociale des pauvres, qui ont une place privilégiée dans le peuple de Dieu, et la capacité de rencontre et de dialogue pour favoriser l’amitié sociale dans votre pays, en recherchant le bien commun. L’option pour les pauvres est « une forme spéciale de priorité dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l’Église » (Jean-Paul II, Enc. Sollicitudo rei socialis, 42). Cette option « est implicite dans la foi christologique en ce Dieu qui s’est fait pauvre pour nous, pour nous enrichir de sa pauvreté » (Benoît XVI, Discours à la session inaugurale de la Ve Conférence générale de l’épiscopat latino-américain et des Caraïbes). Les pauvres connaissent bien les sentiments de Jésus-Christ parce que, par expérience, ils connaissent le Christ souffrant. « Nous sommes appelés à découvrir le Christ en eux, à prêter notre voix à leurs causes, mais aussi à être leurs amis, à les écouter, à les comprendre et à accueillir la mystérieuse sagesse que Dieu veut nous communiquer à travers eux » (Evangelii gaudium, 198).

Que Dieu protège l’Église italienne de tout succédané de pouvoir, d’image ou d’argent. La pauvreté évangélique est créative, elle accueille, soutient et elle est riche d’espérance. Nous sommes ici à Florence, la ville de la beauté. Que de beauté dans cette ville a été mise au service de la charité ! Je pense à l’Hôpital des Innocents, par exemple. Une des premières constructions de la Renaissance a été créée pour le service des petits enfants abandonnés et des mères désespérées. Souvent, ces mamans laissaient avec leur nouveau-né, des médailles coupées en deux, grâce auxquelles elles espéraient qu’en présentant la seconde moitié, elles pourraient reconnaître leurs enfants lorsque les temps seraient meilleurs. Voilà, nous devons imaginer que nos pauvres ont une médaille coupée en deux. Nous, nous avons l’autre moitié. L’Église, mère, a l’autre moitié de la médaille de chacun d’eux, et elle reconnaît tous ses enfants abandonnés, opprimés, fatigués. Le Seigneur a versé son sang, non pas pour quelques-uns, ni pour un petit nombre ni pour un grand nombre, mais pour tous.

Je vous recommande aussi, tout particulièrement, la capacité de dialogue et de rencontre. Dialoguer n’est pas négocier. Négocier, c’est chercher à obtenir sa « part » du gâteau commun. Ce n’est pas cela que je veux dire. Mais c’est chercher le bien commun pour tous. Discuter ensemble, penser aux meilleures solutions pour tous. Très souvent, la rencontre se trouve impliquée dans un conflit. Dans le dialogue, il y a un conflit : il est logique et prévisible qu’il en soit ainsi. Et nous ne devons pas en avoir peur ni l’ignorer, mais l’accepter.

« Accepter de supporter le conflit, de le résoudre et de le transformer en un maillon d’un nouveau processus » (idem., 227). Mais nous devons toujours nous rappeler qu’il n’existe pas d’humanisme authentique qui ne contemple l’amour comme le lien entre les êtres humains, qu’il soit de nature interpersonnelle, intime, sociale, politique ou intellectuelle. C’est sur lui que se fonde la nécessité du dialogue et de la rencontre pour construire avec les autres la société civile. Nous savons que la meilleure réponse au caractère conflictuel de l’être humain du fameux « homo homini lupus » (« l’homme est un loup pour l’homme ») de Thomas Hobbes est l’ « Ecce homo » de Jésus qui ne récrimine pas, mais qui accueille et qui sauve en payant de sa personne.

La société italienne se construit quand ses différentes richesses culturelles peuvent dialoguer de façon constructive : richesse populaire, académique, des jeunes, artistique technologique, économique, politique, des médias… Que l’Église soit un ferment de dialogue, de rencontre, d’unité. D’ailleurs, mêmes nos formulations de la foi sont le fruit d’un dialogue et d’une rencontre entre cultures, communautés et institutions différentes. Nous ne devons pas avoir peur du dialogue : au contraire, ce sont justement la confrontation et la critique qui nous aident à empêcher la théologie de se transformer en idéologie.

Souvenez-vous en outre que la meilleure façon de dialoguer n’est pas de parler et de discuter mais de faire quelque chose ensemble, de construire ensemble, de faire des projets : pas tout seuls, entre catholiques, mais avec tous ceux qui ont de la bonne volonté. Et sans crainte d’accomplir l’exode nécessaire à tout dialogue authentique. Sinon, il n’est pas possible de comprendre les raisons de l’autre, ni de comprendre en profondeur que notre frère compte plus que les positions que nous jugeons loin de nos certitudes pourtant authentiques.

Mais que l’Église sache aussi donner une réponse claire face aux menaces qui émergent au sein du débat public : c’est l’une des formes de la contribution spécifique des croyants à la construction de la société commune. Les croyants sont des citoyens. Et je le dis ici, à Florence, où l’art, la foi et la citoyenneté ont toujours été en contact dans un équilibre dynamique entre dénonciation et proposition. La nation n’est pas un musée, mais c’est une œuvre collective en construction permanente et où l’on doit justement mettre en commun ce qui différencie, y compris les appartenances politiques ou religieuses

Je fais surtout appel à vous « jeunes gens : vous êtes forts », comme l’écrivait l’apôtre Jean (1 Jn 2,14). Surmontez l’apathie. Que personne ne méprise votre jeunesse, mais apprenez à être des modèles par votre parole et votre conduite (cf. 1 Tm 4,12). Je vous demande d’être des constructeurs de l’Italie, de vous mettre au travail pour une Italie meilleure. Ne regardez pas votre vie du balcon, mais engagez-vous, plongez-vous dans le vaste dialogue social et politique. Que les mains de votre foi s’élèvent v
ers le ciel, mais qu’elles le fassent tout en édifiant une ville construite sur des relations dont l’amour de Dieu est le fondement. Et ainsi, vous serez libres pour accepter les défis d’aujourd’hui, pour vivre les changements et les transformations.

On peut dire qu’aujourd’hui, nous ne vivons pas une époque de changements, mais plutôt un changement d’époque. Les situations que nous vivons aujourd’hui lancent donc de nouveaux défis qui sont même parfois difficiles à comprendre pour nous. Notre temps demande de vivre les problèmes comme des défis et non comme des obstacles : le Seigneur est actif et à l’œuvre dans le monde. Sortez donc dans les rues et allez aux carrefours : tous ceux que vous trouverez, appelez-les, sans exclure personne (cf. Mt 22,9). Surtout, accompagnez ceux qui sont restés au bord de la route, « les boiteux, les estropiés, les aveugles, les sourds » (cf. Mt 15,30)

Où que vous soyez, ne construisez jamais de murs ni de frontières, mais des places et des hôpitaux de campagne. Ce que j’aime, c’est une Église italienne inquiète, toujours plus proche des personnes abandonnées, oubliées, imparfaites. Je désire une Église joyeuse, avec le visage d’une maman qui comprend, accompagne, caresse. Rêvez, vous aussi, cette Église, croyez en elle, innovez librement. L’humanisme chrétien que vous êtes appelés à vivre affirme radicalement la dignité de toute personne comme Enfant de Dieu, il établit entre tous les êtres humains une fraternité fondamentale, il enseigne à comprendre le travail, à habiter la création comme notre maison commune, il donne des raisons d’être joyeux et d’avoir de l’humour, même au cœur d’une vie très dure.

Bien qu’il ne me revienne pas de dire comment réaliser ce rêve aujourd’hui, permettez-moi seulement de vous laisser une indication pour les prochaines années : dans toutes les communautés, dans toutes les paroisses et institutions, dans tous les diocèses et circonscriptions, cherchez à lancer, sur le mode synodal, un approfondissement de l’exhortation Evangelii gaudium, pour en tirer des critères pratiques et pour en mettre en œuvre les dispositions. Je suis certain de votre capacité à vous mettre en mouvement, de façon créative, pour concrétiser cette étude. J’en suis certain parce que vous êtes une Église adulte, très ancienne dans la foi, solidement enracinée et qui a porté beaucoup de fruit. C’est pourquoi, soyez créatifs dans l’expression de ce génie que vos grands prédécesseurs, de Dante à Michel-Ange, ont manifesté d’une manière inégalable. Croyez au génie du christianisme italien, qui n’est le patrimoine ni d’individus ni d’une élite, mais de la communauté, du peuple de ce pays extraordinaire.

Je vous confie à Marie que l’on vénère ici, à Florence, comme la Santissima Annunziata. Sur la fresque qui se trouve dans la basilique du même nom – où je me rendrai sous peu – l’ange se tait et Marie parle et dit : « Ecce ancilla Domini » (Voici la servante du Seigneur). Dans ces paroles, nous sommes tous présents. Que toute l’Église italienne les prononce avec Marie.

© Traduction de Zenit, Constance Roques

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