« Les pasteurs de l’Église, dans le temps présent, sont appelés à assumer dans leur vie un rôle prophétique », déclare le cardinal Alencherry.
C’est par la prière de l’heure de Tierce que s’est ouverte – comme chaque matin – la troisième Congrégation générale de la XIVe Assemblée générale ordinaire du synode des évêques, dans la salle du synode au Vatican, ce mardi 6 septembre 2015, à 9 heures.
L’homélie a été confiée à S. B. le cardinal George Alencherry, archevêque majeur d’Ernakulam-Angamaly des syro-malabars (Inde), président du Synode de l’Église syro-malabare.
« Dans de nombreux pays du monde, des peuples se voient nier la justice et le droit parce que l’on promeut l’individualisme, l’hédonisme et l’oppression par des valeurs et des lignes d’action sécularistes. La question se pose de savoir si les responsables de l’Église se sont levés avec un rôle prophétique comme Jérémie qui soutient le peuple par la Parole de Dieu et par son témoignage personnel », fait observer le cardinal indien.
Il pose cette exigence : « Les pasteurs de l’Église, dans le temps présent, sont appelés à assumer dans leur vie un rôle prophétique de souffrance et de kénose, semblable à celui du prophète Jérémie. »
Voici notre traduction intégrale, de l’anglais, de l’homélie du cardinal Alencherry.
A.B.
Homélie du card. Alencherry
Saint-Père et mes chers amis,
La lecture tirée de Jérémie, au chapitre 22, verset 3, nous donne un message tout à fait applicable à l’objectif de nos délibérations synodales sur la famille. Le prophète Jérémie prononça quelques oracles à l’attention de la famille royale de Juda, mettant en garde le roi contre la ruine qui risque de tomber sur le royaume si le roi ne pratique pas la justice et le droit et ne sauve pas les opprimés de la main de l’oppresseur. Josias et Joakim étaient les rois de Juda à cette époque. Nous savons qu’ils étaient tous deux des rois faibles, et Nabuchodonosor, le roi de Babylone, avait détruit le royaume de Juda et le Temple. À cause des défaillances des rois, le peuple fut emmené en exil et connut toutes les souffrances qui en ont découlé. (…) Les rois de Juda, ne pouvaient pas pratiquer la justice et le droit ni sauver les opprimés de la main de l’oppresseur.
La justice représente l’acceptation du règne de Dieu, et le droit est la grâce de Dieu, qui résulte de l’acceptation du règne de Dieu. Les rois de Juda ont failli dans leur responsabilité de pratiquer la justice et le droit à l’égard du peuple, et le peuple dut en supporter les conséquences.
Les paroles du prophète peuvent être appliquées aux chefs et aux gouvernants de tous les temps, ainsi qu’aux peuples qu’ils gouvernent. Dans de nombreux pays du monde, des peuples se voient nier la justice et le droit parce que l’on promeut l’individualisme, l’hédonisme et l’oppression par des valeurs et des lignes d’action sécularistes. La question se pose de savoir si les responsables de l’Église se sont levés avec un rôle prophétique comme Jérémie qui soutient le peuple par la Parole de Dieu et par son témoignage personnel.
Jérémie a dû payer le prix de son rôle prophétique. Sa vie était un symbole du message qu’il délivrait. Il a dû prendre sur lui la souffrance et la ruine. Il lui avait été demandé d’accepter trois signes dans sa vie : ne pas se marier, ne pas assister à des funérailles et ne pas participer à des fêtes.
« Tu ne prendras pas de femme » (16, 2) : Jérémie ne fera pas l’expérience de l’amour profond d’une épouse, car l’épouse, Israël, a rejeté l’amour du Seigneur. Il doit faire l’expérience de la solitude, comme le Seigneur fait l’expérience de la solitude. À l’époque chrétienne, le célibat devient un signe.
« N’entre pas à la maison du deuil » (16, 5) : Jérémie ne doit pas pleurer ni montrer de la compassion pour les morts, parce que le Seigneur a perdu tout sentiment pour son peuple qui mourra sans qu’on le pleure.
« Tu n’entreras pas non plus à la maison du festin » (16, 8) : Jérémie ne doit se joindre à aucune célébration, parce qu’il n’y a rien à célébrer. Jérémie est appelé à mener une vie terrible ; ce n’est pas étonnant qu’il entre dans une profonde dépression et se lamente amèrement (cf. 20, 7 sq.). Il n’est pas facile d’être un prophète.
Les pasteurs de l’Église, dans le temps présent, sont appelés à assumer dans leur vie un rôle prophétique de souffrance et de kénose, semblable à celui du prophète Jérémie. Les paroles du Saint-Père, le pape François, dans Evangelii gaudium (n. 49) prennent ici tout leur sens :
« Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus-Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie. Plus que la peur de se tromper, j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37). »
© Traduction de Zenit, Constance Roques