Conférence de presse dans la salle Jean-Paul II de la Salle de presse du Saint-Siège, à l’occasion de la présentation du Message du pape François pour la prochaine Journée mondiale du migrant et du réfugié qui sera célébrée dans l’Église le 17 janvier 2016. Elle sera intitulée : « Migrants et réfugiés nous interpellent. La réponse de l’Évangile de la miséricorde ».
Intervention du cardinal Antonio Maria Vegliò, président du Conseil pontifical pour la pastorale des migrants et des personnes en déplacement.
J’ai le grand honneur et le privilège de présenter le Message du Saint-Père François à l’occasion de la célébration annuelle de la Journée mondiale du migrant et du réfugié qui, au niveau de l’Église universelle, se tiendra le dimanche 17 janvier 2016 ; elle sera intitulée : « Migrants et réfugiés nous interpellent. La réponse de l’Évangile de la miséricorde ».
D’un côté, la célébration de la Journée mondiale s’inscrit naturellement dans le contexte de l’Année de la miséricorde, point de référence pour toute l’Église dans les prochains mois. De l’autre, face à une situation où la migration est en train d’assumer des proportions immenses, et à tant de tragédies survenues dans le monde entier, il faut reconnaître que ce phénomène, sous toutes ses formes, nous appelle à donner une réponse.
La Journée mondiale qui, nous l’espérons, sera célébrée cette année dans toute l’Église au niveau national et diocésain comme Journée jubilaire du migrant et du réfugié, devient ainsi une occasion concrète pour toute la communauté chrétienne de réfléchir, prier et agir. La migration touche surtout nos Églises locales, qui sont l’environnement le plus proche des migrants et des réfugiés. C’est là que nous rencontrons ces personnes face à face et c’est à ce niveau que nous pouvons réaliser concrètement notre rencontre.
Aujourd’hui, dans cette intervention, je tenterai d’illustrer la pensée du Saint-Père, contenue dans son Message pour l’année prochaine, à la lumière d’une caractéristique attestée avec une fréquence particulière dans l’Évangile, qui est la miséricorde. Ensuite, Mgr Joseph Kalathiparambil présentera l’aspect des réfugiés du Message pontifical.
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Avec en arrière-plan l’image de Dieu Père, qui manifeste sa sollicitude paternelle « envers tous, comme le fait le pasteur avec son troupeau » et qui « est particulièrement sensible aux besoins de la brebis blessée, fatiguée ou malade », le pape François décrit la réalité du contexte mondial actuel ; il affirme que « les flux migratoires sont en constante augmentation dans tous les coins de la planète ». La présence de tant de personnes en mouvement – migrants, réfugiés et personnes fuyant leur patrie – interpelle les individus et les collectivités, parce qu’elle défie les modes de vie traditionnels, la perspective, l’horizon culturel et social auxquels tout le monde doit se confronter. Les difficultés de tous ces migrants et réfugiés exigent de l’attention et de la sensibilité à l’égard de cette situation globale.
On ne peut pas rester indifférent et silencieux devant tant de tragédies qui se déroulent dans le monde. On ne peut qu’exprimer sa douleur la plus sincère devant de telles situations de souffrance : ce sont des hommes et des femmes – souvent pauvres, affamés, persécutés, blessés spirituellement ou physiquement, exploités ou victimes de guerre – qui cherchent une vie meilleure. Dans un monde souvent caractérisé aujourd’hui par la globalisation de l’indifférence qui nous fait nous habituer à la souffrance de l’autre, le pape François affirme que « l’Évangile de la miséricorde secoue les consciences (…) et indique des voies pour des réponses qui s’enracinent dans les vertus théologales de la foi, de l’espérance et de la charité, se déclinant dans les œuvres de miséricorde spirituelles et corporelles ».
Voici la base sur laquelle se fonde le thème choisi par le Saint-Père pour la prochaine Journée mondiale. Dans sa structure, si l’on exclut la partie introductive et la conclusion, le Message se divise en fait en deux parties. Dans la première section du document, le pape souligne trois « questions » sur lesquelles les migrants interpellent les individus comme les communautés.
En premier lieu, nous pouvons noter la question de la crise humanitaire actuelle dans le cadre de la migration, existant non seulement en Europe mais présente dans le monde entier. Les migrants et les réfugiés interpellent notre sensibilité à l’égard de cette crise humanitaire. Le pape observe : « Les histoires dramatiques de millions d’hommes et de femmes interpellent la Communauté internationale, devant l’émergence de crises humanitaires inacceptables dans de nombreuses zones du monde. » Cette réalité, comme l’écrit le Saint-Père, nécessite un approfondissement de la situation pour pouvoir mieux connaître les causes qui produisent les migrations ainsi que les conséquences qui en découlent dans les lieux d’arrivée, mais aussi dans un panorama global, pour affronter le phénomène d’une façon juste et qui respecte la sauvegarde de la dignité humaine. La situation d’urgence actuelle ne permet cependant pas que l’on perde de temps en ce moment, et elle requiert une action immédiate. Le danger existant, affirme le pape François, est celui de l’indifférence et du silence qui nous rendent complices « quand nous assistons en spectateurs aux morts par asphyxie, privations, violences et naufrages ».
En second lieu, le Message relève la question de l’identité. « Celui qui émigre, écrit le Saint-Père dans son Message, est contraint de modifier certains aspects qui définissent sa personne et, même s’il ne le veut pas, il force à changer aussi celui qui l’accueille. » L’arrivée du migrant dans un nouveau contexte social demande en effet un processus d’adaptation mutuelle à une nouvelle situation. Le migrant ne peut pas seulement chercher à satisfaire les exigences de sa propre existence, telles que trouver un travail et un logement, pour bien s’établir dans le nouveau lieu. Son insertion dans la nouvelle société requiert aussi un effort intérieur qui nécessite également des changements dans les éléments de son identité pour s’adapter au nouveau contexte social et culturel. Nous pouvons énumérer par exemple le besoin fondamental d’apprendre la langue locale, mais aussi celui de montrer un profond respect pour la culture, l’histoire et l’héritage du peuple qui accueille le migrant.
D’autre part, l’arrivée du migrant « interpelle sérieusement les différentes sociétés qui l’accueillent » afin que le processus d’insertion et d’intégration soit respectueux des valeurs qui « rendent l’homme toujours plus homme dans un juste rapport à Dieu, aux autres et à la création » mais qui, en même temps, permet au migrant de pouvoir contribuer à la croissance de la société qui l’accueille. Le Saint-Père invite à trouver un équilibre délicat entre les deux extrêmes, évitant de créer un ghetto culturel d’une part, et toute trace de nationalisme extrême ou xénophobe de l’autre.
Enfin, le Message du Saint-Père met en évidence la question de l’accueil. Le pape François commence par les aspects positifs, citant de nombreuses institutions, associations, des mouvements, des groupes engagés, des organismes diocésains, nationaux et internationaux, qui « font l’expérience de l’étonnement et de la joie de la fête de la rencontre, de l’échange et de la solidarité ». La communauté chrétienne cherche à reconnaître le visage de Jésus et à écouter sa Parole dans le récit de la parabole du Jugement dernier (cf. Mt 25). L’Église a une « parole » prophétique
dans l’œuvre de sensibilisation à l’accueil qui résonne avec force à travers les différentes actions et les œuvres prises concrètement en charge par les communautés chrétiennes. C’est la sensibilisation qui naît de l’engagement et de l’agir quotidien. Par ailleurs, poursuit le pape, en cette époque de grands mouvements migratoires, on découvre que les étrangers font souvent l’objet de soupçon et de crainte. Divers débats animés « sur les conditions et sur les limites à mettre à l’accueil » ont lieu à différents niveaux, des débats qui n’existent pas seulement dans le monde politique, mais aussi dans certaines communautés chrétiennes « qui voient menacée leur tranquilité traditionnelle ».
Devant ces questions et ces interrogations, affirme le Saint-Père, « la réponse de l’Évangile est la miséricorde ». Et ainsi, nous entrons dans la seconde partie de la structure du Message, où nous pouvons relever trois autres thèmes.
La miséricorde pousse à la solidarité envers le prochain : elle « alimente et renforce la solidarité envers le prochain en tant qu’exigence de réponse à l’amour gratuit de Dieu ». Il existe un rapport étroit entre recevoir le don gratuit de l’amour miséricordieux de Dieu et la réponse de l’homme. L’expérience de la miséricorde, fait observer le pape, donne une joie qui veut ensuite s’exprimer dans l’amour que l’on offre à son prochain. La charité est le don de Dieu miséricordieux qui, en même temps, nourrit et stimule le service et la solidarité envers le prochain. Mais la solidarité ne reste pas seulement une expression de respect et d’assistance charitable envers l’autre, elle comporte aussi, écrit le pape, « l’entretien de bons contacts personnels et la capacité de dépasser les préjugés et les peurs ».
Tout ceci est indispensable dans la seconde ligne directrice soulignée par le pape dans son Message : la miséricorde pousse à cultiver la culture de la rencontre. Il s’agit d’un concept important dans la pensée du Saint-Père puisqu’il apparaît souvent dans le contexte de la migration. En effet, le pape l’a déjà souligné dans ses deux messages précédents pour les Journées mondiales de 2014 et 2015. La culture de la rencontre interpelle tout le monde afin que chacun soit disposé non seulement à donner, mais aussi à recevoir des autres, et elle tend à construire la communion et l’unité, ce qui implique aussi un échange réciproque. « L’hospitalité, en effet, dit le pape, vit de ce qui est donné et de ce qui est reçu. »
La complexité du phénomène migratoire rend difficile de séparer les différents aspects, politique ou législatif, humanitaire ou sécuritaire. La perspective de la culture de la rencontre implique un regard sur la personne du migrant dans son ensemble, avec tous ses aspects. Avant tout, le phénomène ne se réduit pas aux statistiques ou aux chiffres. Nous sommes devant des personnes humaines qui ont un visage, une histoire réelle, une famille et des expériences concrètes qui ne doivent pas être négligées. C’est important, puisque nous parlons de l’accueil de personnes concrètes, et non d’idées abstraites. En même temps, la culture de la rencontre requiert aussi de la part des migrants l’effort d’assumer « de manière responsable des devoirs à l’égard de ceux qui les accueillent, en respectant avec reconnaissance le patrimoine matériel et spirituel du pays qui les reçoit, en obéissant à ses lois et en contribuant à ses charges ». Ainsi, la présence des migrants ne devient pas seulement une simple juxtaposition de cultures différentes sur le même territoire, mais une rencontre de peuples, où la proclamation de l’Évangile « inspire et encourage des itinéraires qui renouvellent et transforment l’humanité entière ».
Le troisième sujet soulevé par le Saint-Père dans son Message est la défense du droit de chacun à vivre dans la dignité en restant dans sa patrie. Le pape François écrit : « L’Église est aux côtés de tous ceux qui s’efforcent de défendre le droit de chacun à vivre dans la dignité, avant tout en exerçant son droit de ne pas émigrer pour contribuer au développement de son pays d’origine. » Dans l’esprit de Gaudium et spes, toute personne a le droit d’émigrer, un droit inscrit parmi les droits fondamentaux de tous les êtres humains. Mais au-delà de cela, et même avant, il faut réaffirmer le droit de ne pas émigrer, à savoir d’être dans les conditions de pouvoir demeurer sur sa propre terre.
Avant tout, fait observer le pape François, ceci comporte la nécessité d’aider les pays d’où partent les migrants et les réfugiés. « La solidarité, la coopération, l’interdépendance internationale et la distribution équitable des biens de la terre », écrit le pape dans son Message, « sont des éléments fondamentaux pour œuvrer en profondeur et de manière incisive, surtout dans les régions de départ des flux migratoires ». La nécessité d’une réponse ne se limite pas seulement à la guerre contre les trafiquants ou à la restriction des normes sur l’immigration, mais il faut garder présent à l’esprit que celui qui jouit de la prospérité devrait mettre à la disposition des pauvres et des personnes démunies (comprises individuellement ou comme en tant que nations) les moyens avec lesquels pouvoir répondre à leurs besoins et entrer sur un chemin de développement grâce à une distribution équitable des ressources de la planète. En planifiant les investissements, les entrepreneurs indépendants et les nations mieux développées devraient tenir compte des besoins économiques urgents des pays émergents. La propriété et la possession n’acquièrent un sens que quand elles offrent à l’homme l’occasion de remplir ses devoirs dignement dans la vie sociale et économique, en étant attentif à rechercher le bien commun.
Enfin, ajoute le pape, « il est indispensable que l’opinion publique soit informée correctement, entre autres pour prévenir des peurs et des spéculations injustifiées sur le dos des migrants ». Les mass-médias, comme le fait observer le Saint-Père, ont un rôle de grande responsabilité. Il est important qu’ils aident à démasquer les faux préjugés sur la migration, en la montrant le plus authentiquement possible.
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Le Saint-Père conclut son Message en rappelant l’image biblique de l’accueil de l’étranger comme étant l’accueil de Dieu lui-même, exhortant les migrants et les réfugiés à ne pas se laisser voler l’espérance et la joie qui viennent de l’expérience de la miséricorde de Dieu. Cette année aussi, ses paroles se situent dans le rappel biblique de l’image de la Sainte Famille exilée en Égypte : c’est à son intercession que le pape François confie leur vie ainsi que tous ceux qui consacrent leurs énergie, leur temps et leurs ressources aux migrations.
Je joins ma voix à celle du Saint-Père pour exprimer ma reconnaissance et ma gratitude personnelle aux personnes qui sont au service des migrants. Je les remercie pour leur dévouement et leur courage et j’espère que l’Esprit-Saint continuera de garder vivante dans leurs œuvres l’« imagination de la charité » qu’elles expriment envers toutes les personnes en déplacement.
Merci pour votre attention.
© Traduction de Zenit, Constance Roques