Les chroniques précédentes ont été centrées sur la personne du Christ : récit de l’Institution puis mémoire du « Mystère de la foi », mort et résurrection du Seigneur Jésus, dans l’attente de sa venue. Le Père n’était pas absent : c’est à lui qu’est présentée « l’offrande vivante et sainte », le « sacrifice de toute l’Eglise ».
La Prière Eucharistique va maintenant rappeler que le Fils et l’Esprit Saint sont indissociables.
Le Saint-Esprit avait déjà été invoqué deux fois avant la consécration : sur la Création que le Père sanctifie par son Fils « avec la puissance du Saint-Esprit », et sur les offrandes pour qu’elles deviennent le corps et le sang du Christ. Pour montrer la continuité dans le Plan de Dieu, il était dit que l’Esprit qui consacre le pain et le vin est « le même » que l’Esprit qui sanctifie la Création. Les deux fois, quand l’Esprit est nommé, c’est en lien direct avec le Christ.
Pourquoi invoquer encore l’Esprit Saint ?
Invoquer l’Esprit Saint pour la consécration se comprend aisément. S’il est déjà à l’œuvre pour vivifier et sanctifier le monde, à plus forte raison quand il s’agit de donner au monde le Pain de Vie, le « Saint de Dieu » (Marc 1, 24). Mais, une fois le Christ réellement présent, la mission de l’Esprit Saint n’est-elle pas achevée ?
Toutes les Prières eucharistiques proposées depuis la réforme liturgique « Vatican II » répondent : « non ». Elles ont tenu à nommer l’Esprit Saint dans ce qu’on pourrait appeler le « second versant » de la Prière eucharistique, entre la consécration et l’Amen final.
Le plus souvent, l’Esprit Saint est invoqué pour rassembler les fidèles, pour établir la communion. « Communion », « unité » sont des mots qui vont de pair avec le Saint Esprit.
Au début de la Messe, une des formules d’ouverture est empruntée à saint Paul (2 Corinthiens 13, 13) : « La grâce de Jésus notre Seigneur, l’amour de Dieu le Père et la communion de l’Esprit Saint soient toujours avec vous » : ce vœu initial atteint son maximum de réalisme dans la célébration eucharistique.
L’acclamation qui conclut la Prière eucharistique (« doxologie ») rend gloire au Père « dans l’unité de l’Esprit Saint » et, autrefois, cette formule se trouvait dans la conclusion de toutes les oraisons. Comme elle était répétée à chaque fois, nous n’y prêtions guère attention.
Il est logique d’invoquer l’Esprit Saint pour que l’assemblée fasse corps, alors que le corps du Christ est réellement présent. La Prière III dit : « … être un seul corps et un seul esprit ». Il importe que ce corps soit le Corps du Christ et l’esprit, l’Esprit Saint. Car l’esprit de corps peut aussi tourner au sectarisme. A la fin du discours sur le Pain de vie, Jésus dit aux quelques disciples qui sont restés : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie » (Jean 6, 63).
« Faire de nous une éternelle offrande à ta gloire »
Dans le Discours après la Cène, Jésus a dit que l’Esprit Saint nous rappellerait toutes choses (Jean 14, 26). Il exerce pleinement cette mission en nous permettant de célébrer le « mémorial » de la Passion.
Il nous donne l’Eucharistie, comme il est venu sur Marie au jour de l’Annonciation. C’est lui qui permet de proclamer « Jésus est Seigneur » (1 Corinthiens 12, 3) ; de même, dans la célébration, c’est lui qui permet de « discerner le Corps » (1 Corinthiens 11, 29) : sans doute le Corps du Christ dans son Eucharistie comme le Corps du Christ dans son Eglise.
Mais il ne s’agit pas seulement de discerner. Il s’agit d’adhérer, d’entrer dans le sacrifice du Christ. Comment cela serait-il possible sans l’Esprit Saint ? Le Christ lui-même s’est offert à Dieu « par un Esprit éternel » : grâce à son offrande, nous pouvons « rendre un culte au Dieu vivant » (Hébreux 9, 14).
Pour définir son apostolat, saint Paul se présente comme « un officiant (liturge) du Christ Jésus parmi les nations (païennes), consacré au ministère (le mot comporte la notion de « sacré ») de l’Evangile de Dieu, afin que les nations deviennent une offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint » (Romains 15, 16). Son apostolat ne se limite pas à la célébration eucharistique mais celle-ci en est quand même la source et le sommet. Par elle, mieux et autrement que de n’importe autre manière, us devenons une « offrande agréable, sanctifiée dans l’Esprit Saint ».
Le plus original dans la Prière eucharistique III est ce qui sert de titre à cette chronique : « …quand nous serons nourris de son corps et de son sang et remplis de l’Esprit Saint ». Le Christ, dans la communion, donne l’Esprit. Cette perspective est plutôt celle de saint Jean. Sur la Croix, Jésus, en expirant, « transmet l’Esprit » (Jean 19, 30). Juste après, de son côté transpercé coulent le sang et l’eau. Ce sont les « trois témoins » dont parle la Première Epître de Jean (5, 8) : « Et ces trois tendent au même but. » On pourrait traduire : les trois convergent.
Quand saint Paul essaie de lever les objections des Corinthiens contre la résurrection, il leur explique qu’on est semé « corps psychique » mais qu’on ressuscite corps « spirituel », adjectif correspondant à l’ « Esprit » Saint. Le Christ, dernier Adam, est devenu, par sa Résurrection, « esprit vivifiant » (1 Corinthiens 15, 44-45). L’Esprit qui habitait en lui durant sa vie terrestre peut désormais se répandre « sur toute chair » (Joël 3, 1). « Il vous est bon que je m’en aille. »
Les quelques mots de la Prière III (« remplis de l’Esprit Saint ») nous mettent en garde contre les schémas trop simplistes. L’Esprit Saint annonce le Christ (les prophètes) ; il le fait venir au monde (Incarnation, Eucharistie) ; il nous unit au Christ et nous rassemble en lui. Mais, en retour, le Christ nous donne part plus largement à son Esprit, comme il l’a promis à ses disciples. Le propre du Mystère trinitaire est ce renvoi perpétuel de l’Un à l’Autre.