A part le récit de l’Institution qui reprend les paroles de Jésus lui-même, toutes les Prières eucharistiques, y compris les préfaces, sont écrites à la première personne du pluriel : « nous ». Cela peut paraître étrange puisque la Prière eucharistique est prononcée par le prêtre seul. Il en est ainsi dans le vénérable canon romain (Prière I). Mais il en est de même dans les Prières récentes qui n’hésitent pas à employer le « tu » pour s’adresser à Dieu : donc, le « nous » n’est sûrement pas un pluriel de majesté. Ce serait un comble !
Ce n’est pas, non plus, un « nous » de concélébration : celle-ci avait pratiquement disparu pendant des siècles et la concélébration n’est pas la pratique la plus commune, dans la vie ordinaire des communautés chrétiennes.
« Nous t’offrons …. »
Il est toujours salutaire de remonter aux origines juives de la prière chrétienne. Bon nombre de psaumes sont écrits au pluriel : « Que Dieu nous prenne en grâce et nous bénisse » (psaume 66-67, 2). Même quand il sont écrits au singulier, le psalmiste représente souvent le Peuple, que ce soit dans l’action de grâce ou dans la détresse. Quant aux prières de la synagogue, ces « bénédictions », ancêtres des prières eucharistiques, elles sont au pluriel, mais récitées par un membre de la communauté désigné pour cela : « Béni sois-tu, Seigneur, notre Dieu, roi de l’univers… » Quand Jésus enseigne une prière aux disciples, il leur donne le « Notre Père », bien que lui, seul, à proprement parler, puisse appeler Dieu son Père.
La bonne perspective est donc de voir, dans le « nous » prononcé par le prêtre, celui de l’assemblée qui célèbre ; plus largement, le « nous » de l’Eglise locale et de l’Eglise entière, priant pour toute l’humanité.
Avant même le début de la Prière eucharistique, le prêtre s’était adressé aux fidèles :
- Prions ensemble, au moment d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise
- Pour la gloire de Dieu et le salut du monde.
Dès ce moment, il est dit clairement que l’offrande du sacrifice sera le fait de tous et de chacun dans l’assemblée. Le ministère spécifique du prêtre sera évoqué plus loin. Autrefois, le prêtre disait : « Priez, mes frères, pour que mon sacrifice qui est aussi le vôtre… » : c’était une manière d’unir tout en distinguant. Pour l’instant, il suffit d’enregistrer que prêtre et fidèles font corps, ne serait-ce qu’en vertu de ce qui leur est commun : le sacerdoce baptismal.
Ce n’est pas une découverte « Vatican II ». Le pape Pie XII avait évoqué cette question dans son encyclique sur la liturgie, Mediator Dei (1947). « Les prières dans lesquelles la divine hostie est offerte à Dieu sont formulées, la plupart du temps, au pluriel et il y est plus d’une fois indiqué que le peuple, lui aussi, prend part à cet auguste sacrifice, en tant qu’il l’offre… Il n’est pas étonnant que les fidèles soient élevés à cette dignité… Par le bain du baptême, en effet, les chrétiens deviennent à titre commun membres dans le corps du Christ-Prêtre… Ils sont délégués au culte divin du Christ-Prêtre. Ils ont donc part eux aussi au sacerdoce du Christ lui-même. »
Le dialogue qui précède la préface renforce la conscience de cette unité. Il comporte trois échanges entre le prêtre et l’assemblée : les deux derniers manifestent que prêtre et fidèles forment comme un unique sujet : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu. »
La suite de la Prière eucharistique est très claire : les fidèles ne sont pas seulement ceux qui ont apporté le pain, le vin (et la quête) à l’offertoire. Ils rendent grâce, ils appellent l’Esprit Saint, ils font mémoire, ils prient pour les vivants et les morts.
L’évêque et le prêtre, ministres de l’Eucharistie
Par le baptême, nous formons un seul Corps, dans un seul Esprit. Mais ce Corps est différencié. « Vous êtes le corps du Christ et membres, chacun pour sa part. Et ceux que Dieu a établis dans l’Eglise sont premièrement les apôtres… » (1 Corinthiens 12, 27-28).
Si l’on veut comprendre chrétiennement l’Eglise, il faut partir du Christ et des apôtres, à qui il a confié la mission de pasteurs. Les évêques sont leurs successeurs. A leur ordination, ils reçoivent comme signe extérieur le « bâton pastoral » : le terme est plus exact que celui de « crosse », qui désigne la volute de l’extrémité supérieure. Les prêtres sont associés au ministère de pasteur qui est, d’abord, celui de l’évêque.
Le Pasteur de l’Eglise, c’est le Christ. A Pierre, il dit : « Pais mes brebis ». C’est le Christ qui nous a rachetés, à grand prix, pour reprendre les images bibliques. Il nous confie à ceux qu’il a lui-même choisis, comme il avait choisi les Douze. Il les choisit et les consacre à ce ministère par le sacrement qu’ils ont reçu.
Le propre d’un pasteur, dans la Bible, c’est de conduire le troupeau qui lui est confié vers des près d’herbe fraîche. Il doit lui permettre d’arriver à bon port. Dans la célébration eucharistique, le ministère de l’évêque ou du prêtre est de faire aboutir, en l’insérant dans l’offrande du Christ, celle que chaque fidèle cherche à vivre dans la logique de son baptême. Comme le sacrement de la réconciliation fait « aboutir » une contrition toujours imparfaite.
Mais le Pasteur est en même temps l’Agneau. En faisant ce que le Seigneur a dit de faire comme son mémorial, l’évêque ou le prêtre rend présent et actuel le sacrifice de l’Agneau. Mais la consécration du pain et du vin n’est pas une fin en soi : le but est « d’offrir le sacrifice de toute l’Eglise pour la gloire de Dieu et le salut du monde. »
Dans le rite d’ordination, l’évêque dit au nouveau prêtre : « Prenez bien conscience de ce que vous ferez, vivez ce que vous accomplirez, et conformez-vous au mystère de la croix du Christ. » Le ministère du prêtre ne consiste pas seulement à « dire la Messe ». Mais le prêtre et l’Eucharistie sont inséparables. Approfondir le Mystère eucharistique, c’est aussi approfondir le Mystère du sacerdoce, celui de tous les fidèles, celui des évêques et des prêtres.