La Prière eucharistique III: le mystère

« Notre Seigneur nous a dit de célébrer ce mystère »

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Juste avant le récit de la dernière Cène, la Prière III rappelle que c’est « notre Seigneur qui nous a dit de célébrer ce mystère ». Après la consécration, le prêtre lance l’anamnèse (nous en parlerons plus tard) par ces mots : « Il est grand, le mystère de la foi ».

Comme d’habitude, le texte français n’est pas tout-à-fait la transposition du latin. Dans l’original, la première fois, le mot « mystère » est employé au pluriel : « célébrer ces mystères ». La seconde fois, la formule est on ne peut plus concise : « Mystère de la foi », mysterium fidei.

Les mystères

Le pluriel, « les mystères », est peut-être un signal en direction de l’Orient chrétien. En effet, parmi tous les noms désignant l’Eucharistie, les Orientaux aiment bien celui-ci : « les mystères » ou « les saints mystères ».

Dans le Missel romain, le prêtre dit, avant de communier : « Que cette communion à ton corps et à ton sang n’entraîne pour moi ni jugement, ni condamnation… ». La liturgie orientale a une formule similaire, mais avec le mot qui nous intéresse ici : « Que la participation à tes saints mystères ne me soit, ni jugement, ni condamnation. »   

Si « mystère » est plus en faveur chez les Grecs, il n’est pas ignoré des Latins. Chez saint Ambroise, il est l’équivalent de « sacrement ». Le grand évêque de Milan, qui baptisa saint Augustin, écrivit deux traités, très semblables : Des mystères et Des sacrements. Il y parle surtout du baptême et de l’Eucharistie.   

Dans un sermon pour le jour de Pâques, saint Augustin déclare : « Nous irons à la sainte Eglise. Nous participerons à la table des mystères de Dieu. » Il s’agit, évidemment, de l’Eucharistie. Ces « mystères » n’ont rien à voir avec ceux que les policiers ont à élucider.

Dans la langue chrétienne occidentale, les « mystères » désignent aussi les différents moments de la vie du Christ. Chacun d’eux est porteur d’une révélation et d’une grâce, toujours actuelles puisque le Christ est ressuscité. C’est ainsi que le rosaire propose de méditer vingt « mystères » : joyeux, lumineux, douloureux, glorieux. Cette remarque n’a pas pour but de recommander la récitation du chapelet pendant la Messe. Mais elle suggère que l’Eucharistie récapitule toute l’existence du Christ, dont l’amour pour nous culmine dans le sacrifice de la Croix.

Mystère de la foi

Les deux mots, mysterium fidei, étaient autrefois inclus dans les paroles du Christ pour la consécration du vin. Nul ne sait comment ils étaient arrivés là. Ils pouvaient être compris dans un sens assez restreint : la consécration du pain et du vin en corps et Sang du Christ, alors qu’apparemment rien n’a changé, est un défi à la raison raisonnante, que seule la foi peut relever. Mais ce serait porter le regard sur le seul aspect miraculeux de la consécration.

Dans son commentaire très savant sur la « Messe romaine » (1953), le Père Jungmann avait trouvé cette belle formule : « Le calice de la Nouvelle alliance est le Saint des Saints de notre foi. »

L’expression « mystère de la foi » se trouve une fois, telle quelle, dans la 1ère à Timothée 3, 9. Dans les évangiles, il est question du Mystère du Royaume : il est donné aux disciples de le connaître. Le mot revient plusieurs fois chez saint Paul, en différentes épîtres. Le « Mystère » est toujours lié à l’idée de « révélation » ou « d’annonce ». Le Mystère était caché dans l’éternité de Dieu. Mais, aujourd’hui, il est révélé et il doit être annoncé, parce qu’il est bonne nouvelle.

En quoi consiste le Mystère ? En ce que les païens sont admis au même héritage qu’Israël. Désormais, ils sont concitoyens des saints. Ils font partie de la maison de Dieu. Ils ne sont plus des étrangers, sans espérance ni Dieu en ce monde. Eux qui étaient loin sont devenus proches. Désormais, n’existe plus qu’un seul Corps. Cet « Homme nouveau » est né de la Croix du Christ, car « en sa chair, il a tué la Haine » (2, 15-16).

Le même thème est repris dans l’épître aux Colossiens (1, 27), avec un cri de joie et d’admiration : « Dieu a bien voulu faire connaître de quelle gloire est riche ce mystère chez les païens : c’est le Christ parmi vous ! l’espérance de la gloire ! »  Cette exclamation fait penser à notre acclamation liturgique, dans sa traduction française qui, pour n’être pas littérale, n’en est pas moins fidèle : « Il est grand, le mystère de la foi ! »

Il est grand, dans les quatre dimensions chères à saint Paul. Le salut dont l’Eucharistie fait mémoire manifeste la profondeur de l’amour de Dieu qui, en son Fils, est descendu aux enfers. Il s’étend à tous les peuples, dans la largeur de l’espace et la longueur de l’Histoire. Il nous élève auprès du Père, puisque, toujours selon les mots de saint Paul, Dieu « nous a ressuscités et fait asseoir aux cieux, dans le Christ Jésus » (Ephésiens 2, 6).

Christ manifesté dans la chair,

Justifié dans l’Esprit,

Apparu aux anges,

Proclamé aux nations

Cru dans le monde,

Enlevé dans la gloire !

Ce Mystère est « grand » (1 Timothée 3, 16) et c’est lui qui nous est rendu présent dans l’Eucharistie quand sur l’ordre du Seigneur, nous le célébrons.

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Jacques Perrier

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