"Marie, chantre de la miséricorde"

Rencontre islamo-chrétienne de Jamhour (Liban)

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« Marie, chantre de la miséricorde »: c’était le thème de cette méditation du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, Primat des Gaules, donnée au Liban, à Jamhour le 25 mars, en la fête de l’Annonciation, à l’occasion d’une rencontre islamo-chrétienne.

Nous la publions avec l’aimable autorisation de l’auteur à l’occasion de ce Samedi de Pâques – traditionnellement dédié à la Vierge Marie – et en préparation à la publication de Bulle d’indiction du pape François pour le Jubilé extraordinaire de la Miséricorde (8 déc. 2015-20 nov. 2016).

Le cardinal Barbarin est l’un des fondateurs des Congrès mondiaux de la miséricorde qui se tiennent tous les trois ans depuis la mort de saint Jean-Paul II. Il est, avec Mgr Albert-Marie de Monléon, évêque émérite de Meaux, Coordinateur, et Mgr Pascal Roland, évêque de Belley-Ars, l’un des évêques accompagnateurs des Congrès de la miséricorde en France.  

Le 4e congrès national de la miséricorde se tiendra à Lourdes, du 21 au 23 août 2015.

Rencontre islamo-chrétienne

« Marie, chantre de la miséricorde »

 Jamhour (Liban) – Fête de l’Annonciation – 25 mars 2015

Béatitude, Eminence,

Monsieur le représentant du Mufti de la République du Liban,

Excellences,

Illustres représentants de l’islam et du christianisme,

A Sa Béatitude le Patriarche Béchara Raï ainsi qu’à l’Amicale des anciens élèves du collège de l’université Saint-Joseph et du collège Notre-Dame de Jamhour, vont tout d’abord mes chaleureux remerciements pour m’avoir invité à vivre avec vous cette journée hautement symbolique du 25 mars.

De tout cœur, avec ceux qui m’accompagnent,  et en particulier avec monsieur Kamel Kabtane, recteur de la grande Mosquée de Lyon, nous souhaitons à votre pays une belle fête de rencontre et d’amitié. C’est pour nous, Français, un exemple étonnant et une expérience que, pour la première fois, en 2015, nous avons tenté de vivre ce samedi 21 mars, dans le sanctuaire de Notre-Dame de Longpont, dans le diocèse d’Evry Corbeil Essonne.

La Miséricorde, notre source commune

Entre chrétiens et musulmans, les relations sont anciennes, et l’histoire nous enseigne qu’elles sont faites de dialogue et de repli, de compréhension mais aussi de violences que nous voudrions voir disparaître définitivement. Comme entre deux parents, si nous regardons vers notre origine, nous serons à même de mieux nous comprendre. On dit que c’est en allant vers l’océan que le fleuve est fidèle à sa source, mais il est vrai aussi que c’est en remontant vers la source que l’on trouve le moment où nos deux cours ne faisaient qu’un[1].

Je voudrais commencer par mettre en évidence un concept majeur, celui de la « miséricorde » car il est, je crois pour nous, comme une source commune.

On apprend dans la Bible, en particulier dans le « Chant du Serviteur », au Livre d’Isaïe, que Dieu a choisi le peuple juif pour qu’il soit un serviteur de sa miséricorde envers toutes les nations. C’est sa mission en ce monde. Le juste, chez les juifs, est celui qui porte les péchés du monde entier afin que tous les hommes soient touchés par la miséricorde divine. Chaque année, à la fête de Yom Kippour, les juifs  prient non seulement pour le pardon de leurs propres péchés, mais aussi pour que le pardon de Dieu vienne sur nous, chrétiens et musulmans, et sur tous les hommes.

Dans toutes les sourates du Coran, sauf une, le nom de Dieu est immédiatement suivi de deux adjectifs : Al Rahmane et Al Rahim, « le tout miséricordieux, le très miséricordieux ». Pour les musulmans, la Miséricorde précède tout en Dieu : lorsqu’Il eut terminé l’œuvre de la création, il écrivit sur le livre qui se tient au-dessus de son trône, que sa Miséricorde l’emportera toujours, même sur sa colère, même quand les hommes mèneront la création dans l’impasse. « À la vérité, Dieu détient cent miséricordes, dit encore un hadith. Il en a fait descendre une seule sur la terre et il l’a répartie sur toutes ses créatures. » Quand nous, chrétiens, lisons ces lignes, elles nous font penser à Jésus, le Fils unique en qui s’accomplit l’oracle d’Isaïe : « Voici mon Serviteur que j’ai choisi, mon Bien-Aimé en qui j’ai mis tout mon amour » (Mt 12, 18).Lorsqu’au cours de son dernier voyage en Pologne, saint Jean-Paul II a consacré, le 17 août 2002, le sanctuaire de Łagiewnicki, près de Cracovie, à la Divine Miséricorde, il a souligné, lui aussi, que la Miséricorde n’était pas seulement un attribut de Dieu, mais son nom même.

La Miséricorde, voilà donc notre héritage et notre mission.

Marie, l’Annonciation et la Miséricorde

Entre chrétiens et musulmans, je l’ai dit, les relations sont anciennes et contrastées, faites de fraternité et de rivalité. Comme entre deux frères qui se sont trop souvent comportés en ennemis, c’est en regardant vers notre mère, que nous serons à même de mieux nous comprendre. Or, pour nous, chrétiens, la Vierge Marie est notre Mère, ainsi que Jésus l’a voulu au moment de sa mort sur la croix, en faisant de sa mère, une mère pour toute l’humanité (cf. Jean 19, 27).

Puis-je dire ici, aujourd’hui, la joie que j’éprouve à chaque fois que je rencontre sur le parvis de la Basilique de Fourvière, qui domine la ville de Lyon, une famille musulmane venue présenter à Marie un tout petit qui vient de naître, afin de le mettre sous sa protection maternelle et de le confier à son intercession. Il n’est pas rare que cette famille me demande de bénir cet enfant au nom de Dieu, et je le fais volontiers.

Chrétiens, nous avons le sentiment d’avancer « avec Marie », comme à côté d’une mère dont l’enfant tient la main. Sur le chemin qui nous tourne vers Dieu, nous la regardons comme celle qui est « la première en chemin », selon l’expression d’un de nos chants. Nous voyons les merveilles que  Dieu accomplit en cette jeune fille, pour elle et avec elle, et nous interrogeons le Seigneur : « Pourquoi ne le ferais-tu  pas aussi avec tes autres enfants ? » C’est un peu comme si la grâce de cette Mère continuait de se déployer à l’intérieur de la grande famille de l’humanité.

Dans le récit de l’Annonciation,  nous voyons comment la Vierge Marie accueille la Miséricorde de Dieu, qui va la faire sortir d’elle-même et la conduire vers des chemins nouveaux.

Ce texte est pour moi comme le modèle de toute prière : il montre l’importance de la disponibilité pour chacun de nous, afin que notre cœur et tout notre être soient prêts à accueillir Dieu lorsqu’il fait irruption dans nos vies. Dans ce récit, nous sommes témoins d’un dialogue merveilleux : cette jeune fille qui écoute la Parole de Dieu et qui, toute disposée, bien sûr, à Lui obéir, ne manque pas de poser librement les questions qui lui viennent à l’esprit. En voyant comment se déroule cette étonnante rencontre entre Marie et l’Archange Gabriel, nous comprenons mieux ce qu’est la prière. Le plus beau peut-être est de voir comment la Vierge sainte reprend les mots que Dieu vient de lui adresser à travers l’Ange. Ainsi, nous l’entendons s’exclamer : « Voici la servante du Seigneur. Que tout se passe pour moi selon ta parole » (v. 38).

Oui, à l’Annonciation,
il y a une parole, une promesse qui bouleverse Marie. Mais, même sans comprendre ce qui lui est demandé et tout ce qui va advenir, elle se déclare totalement disponible à la Parole. Il s’agit là, à la fois d’une parole, d’une action  –  elle accueille un enfant en son sein –  et d’une promesse qui se réalise. Merveille de la Miséricorde de Dieu à l’œuvre dans nos vies !

Marie, chantre de Miséricorde 

Aussitôt, elle part à la rencontre de sa vieille parente Elisabeth chez qui Dieu vient aussi de faire irruption. L’échange des salutations entre elles est débordant d’une joie qui les transporte. Elles ont été saisies par la grandeur de Dieu et elles savent l’exprimer. L’Eglise demande à ses fidèles de chanter ce cantique d’action de grâce chaque soir pour remercier Dieu de tout ce qu’Il donne à ses enfants.

Et l’on entend Marie proclamer : « Sa miséricorde s’étend d’âge en âge », une phrase qui est le cœur du Magnificat, non seulement parce que c’est le centre du Cantique, mais surtout parce que c’en est la clé.

La miséricorde touche tous ses enfants ; c’est l’objet même de « la promesse faite à nos pères, en faveur d’Abraham et de sa race à jamais » (v. 55), expression qui servira de conclusion à l’ensemble de ce chant d’action de grâce. Marie contemple et décrit la miséricorde de Dieu à travers les siècles, conformément à cette promesse. Dans le Magnificat, on découvre un fort contraste entre les pauvres et les riches, entre les humbles et les puissants ; on pourrait imaginer que Dieu brime les uns, tandis qu’il console les autres.

En fait, Dieu fait du bien à tout le monde.  Renverser les puissants de leurs trônes et donner à un riche la chance de se retrouver  « les mains vides », c’est un fruit de la Miséricorde de Dieu, aussi sûrement qu’élever un humble, lui montrer sa dignité, ou combler de biens les affamés pour leur redonner l’espérance. Dieu veut le bien de tous. « Renvoyer les riches les mains vides, disperser les superbes », c’est une bénédiction de la miséricorde divine, car l’orgueilleux va cesser de se croire supérieur aux autres et se découvrir enfant de Dieu, lui aussi, comme les autres.

Pour terminer, je voudrais souligner que l’on gagne la bataille de la miséricorde, non pas seulement par des efforts mais en la chantant. C’est d’abord dans la louange, cette joie de la Miséricorde, que nous trouvons l’énergie intérieure pour passer aux actes.  Charles Péguy compare nos prières à des bateaux qui avancent vers le Seigneur. Après avoir décrit les principales prières, il évoque la quatrième flotte invisible :  

« Et ce sont toutes les prières qui ne sont pas même dites, 

les paroles qui ne sont pas prononcées. 

Mais moi je les entends. Ces obscurs mouvements du cœur

les obscurs bons mouvements, les secrets bons mouvements

qui naissent et inconsciemment montent vers moi.

Celui qui en est le siège ne les aperçoit même pas.

Mais moi, je les recueille, dit Dieu[2] »

Voilà un cheminement spirituel qui peut nous réunir, par-delà nos paroles, nos prières, nos traditions : que nos cœurs soient unis dans cet élan miséricordieux, que nos cœurs battent au rythme même de la Miséricorde de Dieu.

Saint Charbel, cette si grande figure de votre peuple,  ne dit pas autre chose : «  Par vos prières, vous pouvez faire pleuvoir la Miséricorde et irriguer la terre de votre charité. »</p>

                  Conclusion

     Saint Jean Paul II a dit que le Liban était un « pays-message »[3]. Quel est ce message ? C’est pour moi d’abord celui de la miséricorde, celle-là même que chante la Vierge Marie dans le Magnificat. Ce message est plus utile que jamais, alors que la situation de nos frères chrétiens et musulmans se dégrade dans de nombreux endroits.

             Il est capital, qu’à votre école, chers frères et sœurs, cher amis Libanais, nous nous réapproprions ce terme de « miséricorde » dont les racines sont aussi profondes que celles du cèdre, pour déployer nos branches harmonieusement les uns vers les autres ! Ainsi, nourris et fortifiés par la sève de la Miséricorde, nous grandirons vers le Ciel !

              J’aime remarquer que deux enseignements de Jésus dans les Evangiles peuvent être mis en parallèle. Il dit d’un côté : « Vous donc, soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5,48), et par ailleurs, dans l’Evangile selon saint Luc : « Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » (6,36). On peut sans doute en déduire que c’est la miséricorde qui porte le sceau de la perfection spirituelle.

               Souhaitons-nous donc, en ce jour, d’être les uns et les autres accueillants à ce don de Dieu pour perfectionner notre humanité et de devenir toujours davantage des serviteurs de la Miséricorde et des artisans de paix dans notre monde.

*** 

NOTES

[1] Concile Vatican II, Déclaration Nostra Aetate, 1: « Tous les peuples forment, en effet, une seule communauté ; ils ont une seule origine, puisque Dieu a fait habiter toute la race humaine sur la face de la terre. »

[2] Charles Péguy, Le Mystère des Saints Innocents, in Œuvres poétiques complètes, NRF, Gallimard, 1975, p. 704-705.

[3] Lettre Apostolique à tous les Evêques de l’Eglise catholique sur la situation du Liban, 7 septembre 1989

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Philippe Barbarin

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