Une semaine après le terrible massacre contre les chrétiens perpétré jeudi 2 avril dans l’université de Garissa par le mouvement islamiste somalien shebab (148 morts), Marc Fromager, directeur de l’AED, apporte son éclairage sur la situation dans cet entretien publié par l’AED-France qui donne à Zenit l’iamable autorisation de re-publier.
L’AED: Comment expliquer cet attentat dans un pays majoritairement chrétien à 80% ?
Marc Fromager: Comme souvent, cette attaque résulte de la conjonction de plusieurs éléments, en l’occurrence ici de trois choses :
– Un environnement géopolitique instable avec la proximité de cette zone de non-droit que constitue la Somalie
– Une stratégie de chaos qui se fonde sur l’exacerbation des tensions religieuses
– Un groupe radical prêt à commettre un carnage pour enflammer ce terrain explosif
Qui sont les islamistes somaliens chebab ? que revendiquent-ils ?
M.F.: Apparus à la faveur de la décomposition de la Somalie, les chebab sont au départ des milices de type mafieux qui contrôlent une partie du territoire et les trafics en tous genres qui se multiplient naturellement dans des zones de non-droit gangrenées par la violence. Leur militance islamiste radicale s’est surajoutée sur cette base infectée.
A travers cette attaque, leur objectif est double : à court terme, punir le Kenya qui intervient militairement en Somalie mais à long terme, s’approprier le nord-est du pays. Cette lutte autonomiste s’appuie sur un déroulé rationnel : répandre la terreur, instaurer le chaos, chasser les populations insoumises et finir par exercer le contrôle effectif de la zone.
Vous avez été au Kenya il y a quelques mois, en octobre 2013. L’Eglise se sentait-elle particulièrement menacée ? Que dire de la situation de la liberté religieuse dans ce pays ?
M. F.: Le Kenya est assez ressemblant à la Tanzanie voisine. Ce sont des pays majoritairement chrétiens sauf sur la côte où les musulmans sont majoritaires, que ce soit à Mombasa au Kenya ou à Dar-es-Salam en Tanzanie. A Zanzibar, au large de Dar-es-Salam, on est sur une île quasiment entièrement musulmane où les chrétiens sont ultra-minoritaires et pour le coup réellement sous pression. Le curé de la cathédrale catholique de Zanzibar avait sur son bureau la photo d’un prêtre : c’était celle de son prédécesseur, assassiné six mois plus tôt.
D’une manière générale, l’Eglise se sentait en effet de plus en plus menacée dans cette partie de ces pays par la montée d’un radicalisme musulman qui se traduisait par une tension croissante. Pour y remédier, l’Eglise tentait de développer des passerelles de dialogue avec les autorités musulmanes. Du côté de l’Etat, kenyan ou tanzanien, la réponse à cette tension se traduisait plutôt par une fermeté voire même une forme de surveillance à la limite de la discrimination. Il est probable que ce genre de tragédies augmentera cette évolution.
Est-ce le Kenya qui est visé ou toute une région ?
M. F.: Pour le moment, c’est le Kenya qui est visé du fait de sa proximité immédiate avec la Somalie mais encore une fois, c’est à terme toute la côte kenyane et tanzanienne qui est visée, même si les attentats peuvent également avoir lieu à l’intérieur des terres. On peut s’attendre à une aggravation de la situation dans ces deux pays.
Comment l’AED peut agir ?
M.F.: L’AED est très présente dans ces deux pays où elle soutient de très nombreux projets de l’Eglise catholique pour un total de 2,4 millions d’euros (900.000 pour le Kenya, 1,5 million pour la Tanzanie (chiffres 2014). Notre rôle est de donner les moyens à l’Eglise de faire son travail pastoral dans cet environnement particulier. Là aussi, il est probable que notre effort pour cette région de l’Afrique sera appelé à se développer dans les années à venir.
(c) AED-France