Les chrétiens qui ont sauvé des juifs pendant la Shoah, « au risque de leur vie », comptent « parmi les plus belles pages de l’histoire de l’Église », affirme Jean-Pierre Denis, directeur de l’hebdomadaire français « La Vie ».
Il y a 70 ans (1945-2015), avec l’avancée des troupes américaines, les camps de concentration et d’extermination du régime nazi étaient découverts et libérés. L’opinion publique allait découvrir peu à peu l’horreur de leur réalité.
Malgré le temps écoulé, aujourd’hui encore la période de la Shoah suscite la polémique, comme l’illustre la sortie du film « Ombres de vérité » réalisé par Liana Marabina sur Pie XII. Zenit a interrogé Jean-Pierre Denis, auteur de l’ouvrage « Nos enfants de la guerre » (Ed. du Seuil), qui témoigne d’un réseau de sauvetage d’enfants juifs – dont la mère et la tante de l’auteur – dans un couvent de religieuses de la France occupée.
Il constate qu’« il reste très difficile de parler de Pie XII de manière sereine » : « Depuis les années 60, deux visions se confrontent : une vision extrêmement négative de son rôle pendant la Deuxième guerre mondiale, représentant un homme complètement indifférent, c’est la « légende noire » ; et de l’autre côté, une tentation hagiographique visant à faire de Pie XII un juste méconnu. »
Jean-Pierre Denis plaide pour un équilibre : « Il faut se défaire de ces deux visions pour essayer d’avoir une vision plus nuancée, en se référant aux historiens pour écarter la légende noire comme l’hagiographie. »
D’après les faits historiques avérés, « ce qui semble assez clair, c’est que Pie XII a fait un certain nombre de choses en faveur des juifs, mais par contre il n’a pas parlé, ni pendant la guerre, ni après la guerre ».
Silence et actions durant la Seconde guerre mondiale
« Certes, Pie XII avait ses raisons pour ne pas parler, en premier des raisons diplomatiques : il pouvait penser qu’une intervention directe menacerait l’intérêt des catholiques dans les pays occupés, ne faisant qu’aggraver la situation ; mais il n’a pas parlé non plus après la guerre, c’est un fait », ajoute Jean-Pierre Denis.
Cependant le silence de Pie XII est à remettre dans le contexte du silence général de l’époque : « La question de la Shoah n’est pas la préoccupation des leaders de la lutte contre le nazisme. Il suffit de lire les Mémoires du général de Gaulle : la Shoah y est quasiment absente. Ni l’Angleterre, ni la France, ni les États-Unis ne sont rentrés en guerre à cause des camps de concentration. »
Il reste cependant la question du rôle d’un pape : « est-ce d’être « politique », y compris dans le sens noble du terme, ou est-ce d’être « prophétique » ? De fait Pie XII n’a pas eu de parole « prophétique »… Et dans la conscience des peuples, il a fallu des années pour que la Shoah devienne l’aspect principal de ce drame », fait observer Jean-Pierre Denis.
Le pape Pacelli a eu « une vision diplomatique, réaliste, politique, pour essayer de se sortir tant bien que mal de cette situation, de défendre du mieux qu’il pouvait les intérêts des catholiques. Il a été courageux, il est resté à Rome pendant les bombardements et par ailleurs, il a agi, permettant de sauver un certain nombre de juifs qui en témoignent ».
Aujourd’hui en revanche, « on attend du pape une parole prophétique » : c’est désormais « la vocation prophétique de la papauté » qui est soulignée, estime Jean-Pierre Denis.
Parmi les plus belles pages de l’histoire de l’Église
En France, rappelle-t-il, « trois évêques on protesté pendant le nazisme, le plus important étant Mgr Jules-Géraud Saliège, archevêque de Toulouse, qui a écrit cette lettre pastorale historique affirmant « Les Juifs sont des hommes, les Juives sont des femmes. Tout n’est pas permis contre eux, contre ces hommes, contre ces femmes, contre ces pères et mères de famille. Ils font partie du genre humain. Ils sont nos Frères comme tant d’autres. Un chrétien ne peut l’oublier. » »
« Ce qui fait son caractère remarquable, c’est que cette déclaration est exceptionnelle. Ce sont des faits : très peu d’évêques ont pris position aussi courageusement. En outre, Mgr Saliège a mis en place un réseau qui a permis la protection d’enfants juifs, dont ma mère et ma tante ».
Jean-Pierre Denis se dit « plein de gratitude envers tous ces chrétiens, religieux et laïcs, qui ont sauvé des juifs pendant la guerre, sans chercher à les convertir, sachant que la plupart l’ont fait dans une Église pétrie d’anti-judaïsme théologique ».
« Ils l’ont fait de leur propre chef au nom de l’humanité, au risque de leur vie, et ils ont eu d’autant plus de mérite qu’ils étaient dans un contexte adverse… leur action est à mon avis à inscrire dans les plus belles pages de l’histoire de l’Église ». Au final, « ce n’était pas le comportement de toute l’Église, mais je préfère retenir les justes et les saints », conclut-il.