Lectures: Is 22,19-23; Ps 137; Rm 11,33-36; Mt 16,13-20
1) C’est la vie qui doit répondre
Qui est le Christ ? Cette question, toujours actuelle et incontournable, est adressée au monde, aux disciples et aujourd’hui à nous.
En ce qui concerne le monde, dans le meilleur des cas, les gens répondent que le Messie est un prophète, voix de Dieu et son souffle. Il s’agit d’une belle réponse mais elle est fausse, surtout parce que Jésus ne peut pas être réduit à l’une des personnalités religieuses qui ont dit ou fait des choses extraordinaires. Jésus a apporté au monde pas seulement un message intéressant, profond et vrai. Il a aussi apporté au monde Dieu-même.
Au nom des disciples, Pierre répond: « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Donc il souligne ce qui n’est qu’une étrange « prétention » pour beaucoup de monde : le Christ n’est pas seulement un personnage historique important qui est vrai, mais il est aussi vivant. Le problème donc n’est pas tant celui de le connaître comme une théorie du passé, même si elle est encore actuelle, mais de Le rencontrer, Lui, la Vie vraie qui donne vie aujourd’hui comme hier : toujours.
Nous, aujourd’hui, nous sommes dans le socle de la réponse de Pierre, nous sommes appelés à répondre que le Christ a non seulement existé et qu’Il est vrai, mais qu’il est aussi connaissable et « rencontrable ». Il est vivant et présent, il est le Dieu de la fleur vivante et non des mortes pensées.
Deux façons de connaître le Christ sont décrites dans l’Evangile de ce dimanche.
La première façon est celle d’une connaissance externe, caractérisée par l’opinion publique et par la réduction du Messie à un grand personnage tel que l’ont été les prophètes. En effet à la question de Jésus « Le Fils de l'homme, qui est-il, d'après ce que disent les hommes ?», les disciples répondirent: « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes». Cela signifie que le Christ est considéré comme un personnage religieux parmi les autres, éventuellement le plus grand mais semblable à ceux qui sont déjà connus.
La deuxième façon est celle de la connaissance qui vient de l’expérience de la communion. En effet, en s’adressant personnellement aux disciples qui sont depuis très longtemps avec Lui, Jésus demande : «Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? ».
C’est à partir de la vie avec le Christ, à partir de l’expérience de communion avec Jésus, que Pierre donne sa réponse, en faisant la première confession de foi : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Cette profession de foi est aussi faite au nom des autres disciples.
La foi va au-delà des simples données empiriques ou historiques, et elle est capable de saisir le mystère de la personne du Christ dans sa profondeur. La foi naît de la rencontre et elle grandit dans le renouvellement quotidien de cette rencontre entre le Christ, Pierre et les autres disciples, c’est-à-dire nous aussi, enfants de Dieu et de l’Eglise.
2) L’Eglise et le Pape, garant de la Vérité et de la Charité
Le passage évangélique d’aujourd’hui ne parle pas seulement du Christ et de Pierre, mais aussi de l’Eglise. Il nous dit avant tout que l’Eglise appartient au Christ: « Mon Eglise » et il en remarque la stabilité perpétuelle: l’Eglise est comme une maison bâtie sur le rocher, même s’il semble qu’elle repose sur la fragilité des hommes: «et la puissance de la Mort ne l’emportera pas sur elle ». Il s’agit d’une stabilité éprouvée, mais sure. Elle est éprouvée car la clef dont le Christ parle et qu’Il donne à Pierre, est celle de la Croix. Elle est sure car elle est bâtie sur le roc d’une foi solide et d’un amour sans faille. Pierre est le roc dans la mesure où il transmet encore le Christ, trésor pour l’humanité entière. Il est le roc dans la mesure où il montre que Dieu est vivant parmi nous et il nous appelle à participer à son amour crucifié, désarmé (1), constant (2) : éternel. «Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? », demanda Jésus aux disciples et Pierre dit seulement « Dieu » : le Christ n’était pas seulement ce que Pierre affirmait de Lui, mais ce dont il vivait : « Seigneur, tu as les paroles de vie éternelle ».
Avant d’être une doctrine et une morale, le christianisme est une Personne qui nous aime et qu’il faut aimer. L’amour de Dieu a écrit son récit sur le corps du Christ avec l’alphabet de blessures ineffaçables comme l’amour.
Les deux images du rocher et des clefs, auxquelles Jésus a recours, sont en elles-mêmes très claires : Pierre sera le fondement rocheux sur lequel reposera la construction de l’Eglise. Pierre aura les clefs du Royaume des cieux pour l’ouvrir ou le fermer à celui à qui il lui paraîtra juste de le faire en vérité et charité. Enfin, il pourra lier ou délier, ce qui veut dire qu’il pourra établir ou interdire ce qu’il croira nécessaire de faire ou ne pas faire pour la vie de l’Eglise, qui est et reste du Christ. Il s’agit toujours de l’Eglise du Christ et non de Pierre.
Ces deux images parlent de foi et de confiance : de la foi de Pierre et de la confiance de Jésus. La pierre ou rocher met en évidence la stabilité du croire comme le verbe hébraïque amen qui justement signifie « se tenir fermement ».
C’est le roc qui solidifie la maison. Et c’est bien à ce roc à qui est donnée une pleine autorité: « à lui seulement son confiées les clefs », pour interdire ou permettre, pour séparer et pardonner. En tout cas il ne faut pas oublier que l’autorité de Pierre est une autorité vicaire (3) Pierre est l’image d’un Autre, du Christ qui est le vrai Maître de l’Eglise.
La foi qui émerge de ces mots « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », n’est pas le fruit d’une spéculation ; ce n’est pas une question de « chair et sang ». Si c’était pour « la chair et le sang », Pierre n’aurait pu voir en Jésus « quelqu’un des prophètes ». Vis-à-vis de Jésus « la pensée selon les hommes » ne suffit pas, pour autant qu’elle puisse être subtile et intelligente: en effet il a plu à Dieu « cacher ces choses aux sages et aux savants, et les révéler aux tout-petits ». De ce fait, à partir du moment où Pierre professe le fondement de la foi au nom de l’Eglise entière, il est le plus petit parmi les plus petits de ses frères, mais il aime le Christ plus que tous les autres ; pour cela et seulement pour cela, il est devenu le premier, sommet irremplaçable de communion. Il ne s’agit pas d’un pieux exercice d’humilité, mais de la vérité faite à une personne et aimée plus que soi-même.
Et c’est sur Pierre qui l’aimait plus que tous les autres, sur ce stable roc d’amour que Jésus édifie son Eglise ; la puissance de la Mort ne l’a pas emporté sur elle, ni l’emportera.
Le poids de la gloire du Premier des Apôtre, comme celui de ces successeurs, naît du signe divin gravé dans son cœur et dans sa tête. Pierre devra lutter tous les jours pour surveiller la « chair et le sang ».
Pierre devra protéger la Vérité et la Communion acceptant tous les jours la remise des clefs: la croix qui a ouvert les portes du Paradis est la clef grâce à laquelle le Seigneur a ouvert le Ciel et fermé l’enfer pour tous ceux qui l’accueillent : Lui, le Crucifié. La Croix est la crosse de Pierre et de ses successeurs, qui peuvent paître les fidèles car ils sont les premiers dans l’amour ; premiers en un amour humble et doux qui libère les hommes de l’esclavage du monde, de la chair et du démon, et les relie au Christ dans une fraternité éternelle qui les rend à jamais fils du Père céleste.
3) Le principe marial
Non seulement Pierre, mais en lui et avec lui, toute l’Eglise s’écrie : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Depuis ce jour, Pierre et l’Eglise annoncent la foi qui l’emporte sur chaque centimètre carré du monde, toujours prêts à se salir comme Jésus à l a recherche de chaque brebis égarée, comme le Pape François nous le rappelle souvent.
Nous tous, nous sommes appelés à reconnaître l’amour de Dieu dans les situations plus difficiles, là où le péché « lie » les hommes à la douleur et à la mort pour pouvoir les « dissoudre » dans la liberté des Fils de Dieu. Mais il faut garder à l’esprit qu’outre le principe pétrinien (4), il y a aussi le principe marial dans l’Eglise.
Dans la lettre encyclique Mulieris dignitatem, Saint Jean-Paul II rappelle que Marie est « Reine des apôtres » même si elle ne revendique pas des pouvoirs apostoliques pour elle.
Elle détient quelque chose d’autre et quelque chose de plus. Mais qu’est-ce que c’est « le quelque chose de plus » du principe marial dans l’Eglise ? Balthasar affirme que Marie disparaît dans le cœur de l’Eglise pour y rester comme une présence réelle qui toutefois cède toujours la place au son Fils.
Ce principe marial est bien gardé et « promu » par les vierges consacrés dans le monde. C’est l’amour qui est maternellement (5) répondant à leur vocation, ces femmes consacrées vivent le principe marial comme accueil.
Elles vivent la dimension de l’accueil, de l’actualisation du don du salut dans l’aujourd’hui de l’humanité, dimension essentielle de la vie chrétienne et ecclésiale, qui a son modèle en Marie, Vierge et Mère. Au moment de l’annonciation, avec son « oui » ,la jeune femme de Nazareth accueillit en elle le Verbe de Dieu et lui donna chair humaine. Aux pieds de la croix,
Marie fut investie d’une nouvelle maternité qui embrassa toute l’humanité et continue de le faire. Avec un nouveau « oui », elle accepta la volonté de Dieu que le Christ mourant lui avait indiquée, et elle rendit à Dieu le Père le fils qu’elle avait conçu en elle, en accueillant à sa place Jean, et en lui l’humanité entière.
Les vierges consacrées sont invitées à pratiquer cette fécondité par la prière de l’Evêque: « Que Jésus, notre Seigneur, époux fidèle de celles qui Lui sont consacrées, vous donne, par sa Parole, une vie heureuse et féconde ... Que l’Esprit Saint, qui fut donné à la Vierge Marie et qui a consacré aujourd’hui vos cœurs, vous anime de sa force pour le service de Dieu et de l’Eglise ».(Rituel de consécration des vierges N° 36)
A l’exemple de Marie, ces femmes pratiquent la « charité de l’unité » (Saint Augustin) en vivant la consécration à l’époux Jésus avec une existence centrée sur l’amour : amour reçu, partagé et donné.
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NOTES:
(1) Jésus n’a jamais rassemblé des armées et dans ce monde d’oppresseurs, Il a affirmé: Heureux les doux, ceux qui sont sans défense, et les artisans de paix.
(2) « Ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra jamais nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (cf. Rm 8, 39). Rien et jamais: deux mots absolus, parfaits, totaux: nous sommes inséparables de l’amour du Christ.
(3) “Vicaire de Christ” est le premier tire de l’Evêque de Rome qui est le Pape.
(4) Pour ce qui est du principe pétrinien Hans Urs von Balthasar esquisse 5 points:
a. La dimension institutionnelle est la structure qui représente le Christ, entant que Chef du Corps, qui continue à y être présent et engendre la vie à travers les sacrements, le ministère, etc....
b. L’institution est donc la condition de la possibilité de la présence personnelle, non-déformée, du Christ dans l’Eglise.
c. L’institution met à disposition une « règle » objective sous laquelle on peut vivre sans dérapages.
d. Le principe pétrin est éducatif entant qu’il forme à la pensée du Christ.
e. Il est le gage de l’authenticité du sens prophétique de la foi vivante des croyants.
(5) En utilisant le langage de la famille, Hans Urs von Balthasar parle du ministère pétrinien dans l’Eglise comme du rôle de chef de famille. Marie par contre est la mère. Marie constitue l’unité intérieure de l’Eglise alors que Pierre est, dans le cadre du collège des apôtres, le principe extérieur d’unité.
LECTURE PATRISTIQUE
saint Jean Chrysostome (+ 407)
Le péché de Pierre, chemin de miséricorde
Homélie sur saint Pierre et saint Élie, 1; PG 50, 727-728.
Pierre devait recevoir les clés de l'Église, plus encore les clés des cieux, et le gouvernement d'un peuple nombreux devait lui être confié. Le Seigneur lui avait dit: Tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux (Mt 16,19). Si Pierre, avec sa tendance à la sévérité, était resté sans péché, comment aurait-il pu faire preuve de miséricorde pour ses disciples? Or, par une disposition de la grâce divine, il est tombé dans le péché, si bien qu'après avoir fait lui-même l'expérience de sa misère, il a pu se montrer bon envers les autres.
Rends-toi compte: celui qui a cédé au péché, c'est bien Pierre, le coryphée des Apôtres, le fondement solide, le rocher indestructible, le guide de l'Église, le port imprenable, la tour inébranlable, lui qui avait dit au Christ: Même si je dois mourir avec toi, je ne te renierai pas (Mt 26,35); lui qui, par une divine révélation, avait confessé la vérité: Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant (Mt 16,16).
Or, l'Evangile rapporte que, la nuit même où le Christ fut livré, Pierre vint s'approcher du feu pour se chauffer. Une jeune fille lui dit alors: Toi aussi, hier, tu étais avec cet homme, et Pierre lui répondit: Je ne connais pas cet homme (cf. Mt 26,69-72).
Tu viens de dire: Même si je dois mourir avec toi, et maintenant tu nies en disant: Je ne connais pas cet homme. Pierre, est-ce bien cela que tu avais promis? On ne t'a encore fait subir aucune torture, infligé aucun coup de fouet, mais il a suffi qu'une fille t'adresse la parole pour que tu te mettes à nier!
Une deuxième fois, la fille lui dit: Toi aussi, hier, tu étais avec lui. Et Pierre répondit: Je ne connais pas l'homme en question.
Quelle est la personne qui te parle pour que tu nies ainsi? Une femme sans influence, une portière, une étrangère, une esclave, qui n'a droit à aucune considération, te parle et tu lui réponds en niant. Que c'est étonnant! Une fille vient vers Pierre, une femme de mauvaise vie bouleverse la foi de Pierre. Lui, la colonne, le rempart, se dérobe devant les soupçons d'une femme. Ce n'étaient que des mots, mais ils ont ébranlé la colonne, ils ont fait trembler le rempart lui-même.
On lui dit une troisième fois: Toi aussi, hier tu étais avec cet homme, mais il le nia une troisième fois.
Finalement, Jésus fixa sur lui son regard pour lui rappeler ce qu'il lui avait dit. Pierre comprit, se repentit de sa faute et se mit à pleurer. Mais alors le Seigneur miséricordieux lui accorda son pardon, car il savait que Pierre, étant un homme, était sujet à la faiblesse humaine.
Comme je l'ai déjà dit, Dieu en a disposé ainsi et a permis que Pierre commette un péché, parce qu'un peuple nombreux allait lui être confié: car il ne fallait pas que, sévère parce que sans péché, il soit incapable de pardonner à ses frères. Il a été soumis au péché pour que la conscience de sa faute et du pardon reçu du Seigneur, le conduise à pardonner aux autres par amour. Il accomplissait ainsi une disposition providentielle conforme à la manière d'agir de Dieu.
Il a fallu que Pierre, lui à qui l'Église devait être confiée, la colonne des Églises, le port de la foi, le docteur du monde, se montre faible et pécheur. C'était, en vérité, pour qu'il puisse trouver dans sa faiblesse une raison d'exercer sa bonté envers les autres hommes.