Lourdes: Vendredi 16 juillet 1858, dix-huitième apparition

Sainte Bernadette Soubirous et Notre-Dame du Mont-Carmel

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Depuis le 7 avril, date de la dix-septième apparition, Bernadette n’était pas retournée à la Grotte. L’attitude des pouvoirs publics s’était durcie. Il avait même été jugé plus prudent d’envoyer Bernadette à Cauterets. Mais, même à Cauterets, la police veillait, sur instruction du préfet. A Lourdes, la situation n’était pas simple : il était interdit de colporter des nouvelles au sujet de la Grotte ; de faux visionnaires, garçons ou filles, singeaient Bernadette ; l’attraction de la Grotte ne faiblissait pas, au grand dam du commissaire. Des guérisons se produisaient. L’évêque se tenait encore dans un silence prudent. 

Au mois de juin, le préfet demanda d’interdire l’accès à la Grotte. Le maire fit ériger une barricade, plusieurs fois démontée et jetée dans le Gave, mais patiemment rétablie par le maire qui, sous l’Empire, n’avait guère de pouvoir. Ceux qui colportaient des nouvelles ou franchissaient la barricade se voyaient dresser procès-verbal et devaient, théoriquement, payer une amende. Quelques femmes, la veille du 16 juillet, étaient même passées en jugement à Pau : elles étaient revenues, acquittées !

De tout cela, Bernadette se tenait à distance. Elle n’allait pas à la Grotte et n’encourageait pas les contrevenants. Elle ne voulait en rien être mêlée aux guérisons, si ce n’est par sa prière. Pour elle, un événement capital s’était produit, le 3 juin : sa Première Communion, qu’elle renouvelait aussi souvent que cela lui était permis. Le soir de ce jour tant attendu, elle avait reçu le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel. Sous ce vocable, la Vierge était vénérée dans une chapelle de l’église paroissiale.

Le 16 juillet, Bernadette était allée à la Messe. Le prêtre avait dit, en latin : « Je suis la mère du bel amour, de la crainte, de la science et de la sainte espérance. En moi est toute la grâce de la voie et de la vérité ; en moi est toute l’espérance de la vie et de la vertu… Ma mémoire passera dans la suite des siècles » (Sagesse 24, 18-20). Si elle avait compris et si elle avait pu répondre, Bernadette n’aurait pas manqué de dire : « C’est bien vrai ! »

Dans la journée, elle se sent attirée vers la Grotte, comme elle ne l’avait plus été depuis des mois. Pour ne pas ajouter à la confusion qui règne en ville, elle attendra le soir, ne préviendra que la plus jeune de ses tantes, Lucile (qui ne pourra s’empêcher d’en entraîner deux autres) et se dissimulera dans une grande cape. Le petit groupe reste sur la rive droite du Gave qui, il est vrai, à l’époque, était plus proche de la Grotte qu’aujourd’hui.

Comme les autres fois, l’entourage ne voit rien, sinon le visage transfiguré de Bernadette. Il n’y aura rien de spectaculaire ce soir-là, contrairement au « miracle du cierge », le 7 avril. Pas plus que le 7 avril, la Vierge ne prononce aucune parole. Aux interrogations habituelles après les apparitions, Bernadette répondra que la Vierge lui paraissait aussi proche d’elle que si la barrière n’avait pas existé et qu’elle ne l’avait jamais vue aussi belle. Reverra-t-elle la Vierge ici-bas ? Elle n’en sait rien. En tout cas, elle ne vivra pas dans cette attente, mais dans celle de la vision céleste : ce sera encore bien mieux ! C’était la certitude amoureuse qui s’exprimait dans le cantique de jadis : « J’irai la voir un jour… »

Dans le scenario des apparitions, rien n’est insignifiant, même quand elles sont silencieuses : ni les dates, ni les circonstances, ni les gestes.

Le 16 juillet est la fête de l’ordre du Carmel, un ordre marqué par la recherche du silence et la pratique de la pénitence. Dès l’été 1858, Bernadette déclarera qu’elle sera religieuse. Sa recherche durera longtemps, puisqu’elle n’entrera au noviciat des sœurs de Nevers que huit ans plus tard. Assez naturellement, elle avait été mise en contact avec le Carmel de Bagnères. Mais elle constata rapidement que sa santé ne lui permettrait pas de suivre la règle. Elle dira aussi, plus tard, qu’elle ne se voyait pas dans une vie intégralement contemplative, elle qui était douée pour l’action et se plaignait de ne pas savoir méditer.

En réalité, elle réalisera bien la vocation du Carmel : vivre cachée. Contrairement aux autres, l‘apparition du 16 juillet n’a que très peu de témoins et ces témoins resteront si discrets que, pendant longtemps, certains auteurs l’ignorèrent. Elle est pourtant certaine et le Mandement de Mgr Laurence, en 1862, l’atteste.

Après le 16 juillet 1858, Bernadette vivra près de vingt-et-un ans : elle s’est cachée de plus en plus. A Lourdes d’abord, pensionnaire à l’hospice des Sœurs, partiellement protégée des curieux. A Nevers ensuite : « Je suis venue ici pour me cacher. » Une Sœur témoigne : « A la chapelle, elle aimait à se cacher dans son voile, en l’avançant le plus possible de chaque côté. C’est ma petite chapelle à moi, répondait-elle. »

Elle a elle-même noté les paroles d’un prédicateur : « Dans votre dernière retraite, je vous avais conseillé de vous tenir toujours bien cachée, à l’exemple de Marie. Dès ce moment, vous vous tiendrez encore plus cachée avec elle au pied de la croix… Enfermez-vous bien avant dans le cœur de Notre-Seigneur comme dans un tombeau. » Ces paroles, qu’elle a voulu vivre puisqu’elle les a notées, font écho à celles de saint Paul : « Vous êtes morts et votre vie est désormais cachée avec le Christ en Dieu » (Colossiens 3, 3). Aux derniers jours de sa vie, elle se cacha dans sa « chapelle blanche », avec une seule image, celle d’un prêtre élevant l’hostie. Dans ses nuits d’insomnie, elle s’unissait aux Messes qui, quelque part dans le monde, se célébraient à cette heure même.

Comment ne pas penser à la carmélite que fut sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face ? Elle était si bien cachée en Dieu qu’une Sœur se demandait ce qu’on pourrait bien écrire à son sujet après sa mort. Quant à Bernadette, elle entendit une novice s’étonner en la voyant : « Bernadette, ce n’est que ça ? »

« Il suffit d’aimer » : la formule pourrait venir aussi bien de l’une que de l’autre.
Bernadette et Thérèse : deux femmes à la vocation universelle ; l’une partie d’une grotte et l’autre, entrée au couvent à l’âge de quinze ans. Le pape Pie XI les vénérait toutes les deux : en 1925, il canonisait Thérèse et béatifiait Bernadette qui fut canonisée le 8 décembre 1933, en la solennité de l’Immaculée Conception, l’année du 19ème centenaire de la Rédemption. Le pape avait choisi la date. La Vierge aussi avait bien choisi sa date, à l’intention de Bernadette et d’elle seule, en lui apparaissant la dernière fois le 16 juillet 1858.

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Jacques Perrier

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