« Le pape tient beaucoup à ce que ce parcours synodal, qui est un long parcours, se fasse sans que l’on réduise son horizon (…). Conservons vraiment cette ampleur et l’importance du problème à affronter sans nous réduire à penser qu’il ne s’agit que d’un point particulier, même si celui-ci est sensible », déclare le père Federico Lombardi, dans un long entretien au micro de Radio Vatican, en italien, avec Alessandro Gisotti, centré sur sa visite historique en Terre Sainte et les points forts des échanges que le pape François a eus avec la presse à bord de l’avion le ramenant de Tel Aviv à Rome, lundi dernier, 26 mai.
P. Lombardi – Nous avons vu un nombre incroyable d’évènements, de signes et je crois que le fait d’avoir été si nombreux en un temps si court doit nous inviter maintenant à une réflexion posée, afin de pouvoir les réassimiler dans toute leur richesse, car si nous les tenons collés tous ensemble nous courons le risque de perdre tant de leurs aspects. Il y a donc certainement l’aspect œcuménique de la rencontre avec le patriarche Bartholomée, qui fut un peu l’occasion de ce voyage. Mais, d’autres dimensions comme les relations avec le monde juif et avec le monde musulman, ou des questions comme le climat de paix que l’on doit construire et de quelle manière, ont été de formidables sujets, qui demandent une longue méditation pour capter leur richesse. Je dirais que nous avons perçu que 50 ans se sont écoulés depuis cette première rencontre (entre Paul VI et Athënagoras ndr). Ces années ne sont pas passées inutilement d’un point de vue œcuménique, en particulier, les relations avec l’orthodoxie, mais avec toutes les confessions chrétiennes. Certes, la célébration, en priant ensemble en la Basilique du Saint-Sépulcre, fut un moment spirituel particulièrement intense. Un autre moment particulièrement intense d’un point de vue spirituel, concernant ce voyage du pape en Terre Sainte, fut la Messe de clôture au Cénacle: un lieu de très forte inspiration, lieu de l’Eucharistie, lieu de la Pentecôte, de la descente de l’Esprit… Il ne faut donc pas perdre ce moment et cette dimension spirituelle que le pape, même dans un laps de temps aussi concentré, a vécu très profondément.
A la fin du voyage, comme lorsqu’il est revenu de Rio, il y a eu la conférence de presse dans l’avion. Nous avons encore une fois été touchés par la liberté du pape, qui ne craint aucune question…
Oui. Je suis très frappé par ça. Non seulement il ne craint, mais il veut être disponible pour affronter chaque question. J’ai essayé, comme dans le voyage à Rio, et aujourd’hui, de limiter le temps et le nombre des questions, ou d’orienter les sujets davantage sur le voyage. Pas le pape. Et il a voulu explicitement cette ouverture, cette disponibilité à répondre à n’importe quelle question qu’on lui poserait. Il a voulu aussi continuer à donner beaucoup de temps à disposition et ce sont les limites nécessaires d’un voyage qui n’était pas très long, comme celui de son retour de Terre Sainte vers Rome, qui ont mis une limite à ce temps qu’il aurait encore prolongé.
En réponse à une question, le pape François a parlé du statut de Jérusalem et a réaffirmé la vision de l’Eglise catholique sur cette question …
Oui, ce point est important, car il y a eu une question sur le sujet et le pape a dit clairement que le problème, d’un point de vue, disons, politique, de la souveraineté territoriale sur la ville, si celle-ci doit être la capitale d’un Etat ou de deux, et quelles seraient alors les frontières, n’entre pas dans les compétences du Saint-Siège, mais doit être résolu par des négociations bilatérales entre les parties intéressées, entre les israéliens et les palestiniens, et doit tenir compte aussi des résolutions de l’Onu. Donc cet aspect n’entre pas dans les compétences du pape, ou du Saint-Siège. Mais le Saint-Siège, depuis longtemps, a dit qu’elle était sa position sur le statut, disons, particulier de la Ville sainte. Donc, ce qui intéresse le Saint-Siège, c’est la dimension religieuse de la ville, surtout de la « vieille ville », car c’est là que se trouvent les lieux saints, qui intéressent les chrétiens, mais aussi les juifs et les musulmans du monde entier. Donc, pour cette « Jérusalem historique et sacrée, le Saint-Siège souhaite qu’aucune partie ne la réclame exclusivement pour soi, car c’est un patrimoine qui appartient au monde entier et parce que les lieux saints ne sont pas des musées ou des monuments mais doivent être des lieux où les communautés de croyants puissent être présents, vivre leur foi. C’est pourquoi le Saint-Siège, traditionnellement, parle d’un statut spécial, garanti internationalement qui puisse garantir le caractère historique, matériel et religieux, des lieux saints. Et parle d’un libre accès pour les résidants et les pèlerins, qu’ils soient autochtones ou provenant de différentes parties du monde.
La comparaison faite par le pape entre la pédophilie pratiquée par un membre du clergé et une messe noire a fait le tour du monde. Comment avez-vous accueilli ces paroles?
Le pape a dit des choses importantes sur cette question, la pédophilie, qu’on lui a à nouveau posée. Pédophilie concernant le cas particulier de personnes exerçant un ministère dans l’Eglise catholique. Même si nous savons que le problème est beaucoup plus large. Le pape a fait cette comparaison qui est plutôt originale. C’est d’ailleurs une de ses caractéristiques, faire des comparaisons fortes. D’un point de vue sacré, le caractère sacré de la vie humaine, en particulier de la vie des innocents, des enfants innocents, violé par ce crime. Alors, la messe noire est le sacrilège, c’est quand le Corps du Christ est instrumentalisé, pour être offensé, c’est donc un crime d’un point de vue de notre foi, de notre façon de voir le sacrement de l’Eucharistie : un crime vraiment très grave, de mépris à l’égard du corps du Christ et de sa dignité. Alors, le fait de comparer le crime de la pédophilie à ceci est une condamnation d’une dureté incroyable, pour un croyant c’est peut-être même la plus dure des condamnations que l’on peut faire car il dit: nous violons la chair du Christ, nous violons une dignité qui est pour nous sacrée, qui, pratiquement, est celle des enfants innocents. C’est donc en ce sens une comparaison qui exprime une condamnation fondamentale très forte de la part du pape face à ce genre de crime.
Mais, dans les réponses que le pape a données sur le sujet, i y a deux autres choses sur lesquelles je voudrais revenir. La première nouvelle que le pape a donnée est sa décision de rencontrer prochainement des victimes d’abus sexuels. Mais là, le pape a fait une confusion – et c’est compréhensible – de dates, en ce sens qu’il a parlé de début juin, alors qu’en fait, si j’ai bien compris, la date n’a pas encore été fixée. Et puis le pape a également redit sa volonté d’une intervention ferme, qui ne s’arrête pas non plus devant une distinction épiscopale, au cas où il y aurait de graves responsabilités qui demandent d’intervenir. Le pape n’est pas entré dans le cadre spécifique des responsabilités d’évêques par omission, mais il a également bien présent à l’esprit le problème qu’il peut y avoir aussi, chez ceux qui gouvernent, des responsabilités pour des choses qui ne sont pas faites, et pas seulement pour le mal commis personnellement. C’est un problème qu’il a bien en tête et pour lequel vaut aussi le principe qu’il a manifesté concernant les responsabilité, dont il faut tenir compte. Mais, il n’est pas entré dans cette dimension spécifique.
Le pape a aussi parlé de la réforme de la curie, de l’IOR. Une réforme, a-t-i
l dit, qui doit être continue malgré les problèmes rencontrés …
Naturellement, nous savons que cette question est traitée avec beaucoup d’attention, une attention continue. Et le pape a dit, comme il avait déjà dit d’autres fois, qu’une partie, quelque peu « anticipée », concerne les questions de nature économique, car celles-ci s’étaient manifestées, disons ça comme cela, à l’attention publique, il fallait donc intervenir avec une certaine urgence ou une certaine priorité. Il a également fait allusion au travail en cours au IOR, avec les différentes commissions, et aux affaires de comptes, c’est à dire de ceux qui ont un titre crédible pour pouvoir bénéficier de ce service.
Pour finir, le pape a voulu préciser que le prochain synode sur le synode n’est pas un « Synode sur la communion ou les divorcés ». Là aussi François a invité à éviter les réductions casuistiques …
Oui, c’était une intervention très importante. Le pape a longuement répondu à cette question. On voit que la préoccupation est de faire en sorte que le synode et son déroulement ne perdent pas leur dimension profondément pastorale. Un thème comme celui de la famille, sa mission, le témoignage chrétien dans la vie familiale, est un thème énorme, vital et crucial. Alors, le fait de se limiter parfois à toucher un point – pour autant qu’un thème comme celui de la Communion pour les divorcés soit délicat, douloureux, important – risque de limiter beaucoup la perspective et l’attention. Alors qu’une grande réflexion sur la famille, sur sa nature, sur comment conserver et promouvoir ses valeurs, au profit de tous, de l’amour entre l’homme et la femme … peut-être d’une très grande utilité pour tout le peuple chrétien et je voudrais dire pour l’humanité. Donc le pape tient beaucoup à ce que ce parcours synodal, qui est un long parcours, se fasse sans que l’on réduise son horizon: il y aura le Synode de cet automne puis celui de l’année prochaine … le chemin est long. Conservons vraiment cette ampleur et l’importance du problème à affronter sans nous réduire à penser qu’il ne s’agit que d’un point particulier, même si celui-ci est sensible.
Source: Radio Vatican
Traduction de Zenit