Elham Manea, militante des droits de l’homme et professeur d’université exprime sa « déception », sa « colère » et sa « douleur » après la sentence émise par le tribunal de Djeddah, en Arabie Saoudite, condamnant le blogueur Raif Badawi, le 7 mai 2014, à 10 ans de prison et plus de 260 000 dollars d’amende. Mais une autre accusation pourrait entraîner la peine de mort. Une campagne internationale est organisée pour lui venir en aide.
Il avait été condamné une première fois à sept ans et à 600 coups de fouet, pour avoir, d’après la première sentence du tribunal pénal de Djeddah, « fondé le site des Libéraux saoudites » et pour avoir écrit et publié ses écrits sur ce site, sur son blog, et sur les réseaux sociaux, ou les écrits ceux d’autres personnes, qui « offensaient les préceptes islamiques ». Mais aussi pour avoir attaqué certains oulémas et les institutions chargées de faire respecter la charia, comme la « Commission pour la promotion du bien et l’interdiction du mal », la police religieuse. Et enfin pour avoir, par ces actes, « troublé l’ordre public ».
La même sentence (n. 34184394) propose aussi la condamnation pour « apostasie », pour avoir offensé le Prophète, une condamnation qui prévoit dans toutes les écoles juridiques la condamnation à mort (cf. p.16 de la sentence).
Arrestation de son avocat
La sévérité des sentences ne semblent pas aller cependant dans le sens du roi Abdallah qui a invité, le 3 mars 2014, selon le quotidien arabe Asharq al-Awsat, à diffuser une culture de la « modération » et de la « tolérance » dans les pays musulmans, en parlant de « responsabilité commune » qui concerne « les gouvernements, les responsables politiques et les organisations non-gouvernementales ».
Le tribunal reproche notamment à Raif Badawi le fait que « un million d’Arabes chrétiens aiment sa page Facebook » (cf. p. 6 de la sentence).
A propos de l’interdiction de fêter la Saint-Valentin par la « Commission pour la promotion du bien et l’interdiction du mal », Raif Badawi avait écrit sur son blog un message intitulé : « Tous mes vœux à tous les peuples de la terre pour la fête de l’amour, tous mes vœux à nous pour notre vertu ».
Le 15 avril dernier, Walid Abu al-Khair, l’avocat de la défense de Raif Badawi, a été arrêté et accusé de « désobéissance à l’égard du souverain », de « manque de respect des autorités », d’« offense du système judiciaire », d’« inciter les organisations internationales contre le Royaume saoudite » et enfin d’avoir fondé illégalement, c’est-à-dire sans autorisation, son association « Monitor of Human Rights in Saudi Arabia ».
Abu al-Khair, qui avait déjà reçu des menaces par le passé, avait déclaré : « Je ne me repens pas de mes actions, je suis dans mon droit. Si tu as une raison de vivre dans la vie, tout devient alors plus facile ».
Selon la loi saoudite anti-terrorisme approuvée le 16 décembre 2013, le « terrorisme » désigne « tout acte criminel, conséquence d’un plan personnel ou collectif, direct ou indirect, qui vise à porter atteinte à l’ordre public de l’État, ou à faire vaciller la sécurité de la société ou la stabilité de l’État, ou à mettre en danger l’unité nationale, ou à suspendre la loi fondamentale de gouvernabilité et certains de ses articles, ou à insulter la réputation de l’État ou sa position, ou à causer des dommages à l’une de ses fonctions publiques […] » (art. 1).
La liberté religieuse en question
La situation de Raif Badawi, marié et père de trois petites filles qui vivent actuellement au Canada, est une nouvelle occasion de manifester en faveur du caractère sacré de la vie de tous les êtres humains sans condition : des manifestations se sont tenues en sa faveur le 3 mai en Suède, en Suisse, au Canada, en Espagne et dans d’autres pays : des amis, des militants et des ONG y ont participé ainsi que le Centre d’enquête américain. Une des premières manifestations en soutien de Badawi, détenu depuis juin 2012 dans la prison de Briman, a eu lieu, à Rome, en janvier dernier, devant l’ambassade saoudite.
Des voix s’élèvent aussi dans l’islam pour la liberté de conscience et de religion, et de changer de religion.
Un intellectuel tunisien, Mohammed Charfi, rappelle, dans son essai « Islam et liberté » (Casbah Editions, Alger, 2000), déclare, à propos de l’apostasie, certains versets coraniques en faveur de la liberté de conscience à partir de « Nulle contrainte en religion » (II, 256) : tout y sert à démontrer que « Dieu n’est pas fanatique ».
Le théologien égyptien Gamal al-Banna lui-même, frère du fondateur des Frères musulmans, a déclaré : « Ils sont apostats. Mais ils sont libres de l’être. Dieu dit : ‘Quiconque le veut, qu’il croit, et quiconque le veut qu’il mécroie’ (XVIII, 29) ». Selon lui, « le Coran ne pose aucune interdiction à la liberté de conscience ».
Avec Anita Bourdin et Constance Roques pour la traduction