Le pape exhorte les prêtres et séminaristes à « ne jamais finir la journée » sans se mettre devant le Seigneur, sans rendre visite au tabernacle, en se posant cette question : « Que s’est-il passé aujourd’hui dans mon cœur ? »
Le pape François a reçu les recteurs et les élèves des Collèges pontificaux de Rome, lundi dernier, 12 mai 2014, dans la salle Paul VI du Vatican. La rencontre a eu lieu sous forme d’un dialogue de plus d’une heure.
Le pape les a appelés à « la vigilance », qui consiste à « regarder son cœur » car l’homme doit être « maître de son cœur » : « si l’on n’y prend pas garde, le cœur va partout; et l’imagination suit derrière… ».
Quand le cœur est agité, a-t-il poursuivi, le chrétien est appelé à « chercher refuge sous le manteau de la Mère de Dieu » et « y attendre que revienne un peu le calme, en priant, en se confiant à la Vierge ».
« Un prêtre qui oublie la Mère, surtout dans les moments d’agitation, il lui manque quelque chose. C’est un prêtre orphelin… », a-t-il ajouté.
Le pape a aussi évoqué le « leadership » du pasteur, qui ne peut emprunter « qu’un seul chemin » : « le service, être au service… Servir c’est faire tant de fois la volonté des autres ». Celui qui a « beaucoup de qualités » mais qui n’est pas « un serviteur », ne peut avoir de leadership.
« L’humilité doit être l’arme du pasteur : humble, toujours au service. Il doit rechercher le service », a insisté le pape en confiant sa souffrance d’évêque lorsqu’il appelait une paroisse et « tombait sur la messagerie… Comment peux-tu conduire un peuple si tu ne l’entends pas, si tu n’es pas à son service ? »
Anne Kurian
Voici la deuxième partie de notre traduction des échanges entre les participants et le pape François (cf. Zenit du 15 mai 2014 pour la première partie) :
Dialogue du pape François avec les séminaristes et prêtres
Un séminariste – Bonjour, Saint-Père. Je suis Daniel Ortiz et je suis mexicain. Ici à Rome j’habite au collège Mater Ecclesiae. Votre Sainteté, dans la fidélité à notre vocation nous avons besoin d’un constant discernement, de vigilance et de discipline personnelle. Vous, comment avez-vous fait, quand vous étiez séminariste, quand vous étiez prêtre, quand vous étiez évêque et maintenant que vous êtes pape ? Et que nous conseillez-vous à ce propos ? Merci.
Merci. Tu as dit le mot « vigilance ». Ça c’est un comportement chrétien : la vigilance. La vigilance sur soi-même : que se passe-t-il dans mon cœur ? Car là où est mon cœur, là est mon trésor. Que s’y passe-t-il ? Les Pères de l’Orient disent que l’on doit savoir reconnaître si notre cœur est agité ou au calme. Première question: vigilance sur ton cœur. Est-il agité ? S’il l’est, impossible de voir ce qu’il y a à l’intérieur. Comme la mer, n’est-ce pas ? On ne voit pas les poissons, quand la mer est comme ça … le premier conseil, quand le cœur est agité – c’est le conseil des pères russes – : aller sous le manteau de la Sainte Mère de Dieu. Rappelez-vous que la première antienne latine est celle-ci: dans les moments d’agitation, chercher refuge sous le manteau de la Sainte Mère de Dieu. C’est l’antienne « Sub tuum presidium confugimus, Sancta Dei Genitrix », la première antienne latine de la Vierge. Curieux, n’est-ce pas ? Veiller. On est agité ? D’abord aller là, et là attendre que revienne un peu le calme : en priant, en se confiant à la Vierge… Certains d’entre vous me diront: « Mais, Père, en cette époque si moderne, où existe la psychiatrie, la psychologie, je crois qu’en ces moments d’agitation il vaudrait mieux aller chez un psychiatre pour qu’il m’aide… ». Je n’écarte pas cela, mais avant tout aller voir la Mère : car un prêtre qui oublie la Mère, et surtout dans les moments d’agitation, il lui manque quelque chose. C’est un prêtre orphelin : il a oublié sa mère ! Et dans les moments difficiles, un enfant va toujours trouver sa mère, toujours. Et nous, dans la vie spirituelle, nous sommes des enfants, ne l’oublie jamais ! Veilleurs sur l’état de son cœur. Un moment d’agitation, aller chercher refuge sous le manteau de la Sainte Mère de Dieu. Les moines russes le disent, et c’est vrai, il en est ainsi. Et puis que faire ? J’essaie de comprendre ce qui se passe, mais toujours en paix. Comprendre en paix. Puis la paix revient et je peux faire la discussio conscientiae.
Quand je suis en paix, que tout est calme : « Que s’est-il passé aujourd’hui dans mon cœur ? ». C’est cela être vigilant. Veiller n’est pas aller à la salle des tortures, non ! C’est regarder le cœur. Nous devons être maîtres de notre cœur. Qu’éprouve mon cœur, que cherche-t-il ? Qu’est-ce qui m’a rendu heureux aujourd’hui et qu’est-ce qui ne m’a pas rendu heureux ? Ne pas finir la journée sans avoir fait cela. Quand j’étais évêque, je demandais aux prêtres: « Dis-moi, comment vas-tu au lit, toi? ». Et eux ne comprenaient pas. « Mais que veut-il dire ? ». « Oui, comment finis-tu ta journée ? ». « Oh, crevé, Père, car il y a tant de travail, la paroisse, tant de travail… Puis je dîne un peu, je mange un morceau et je vais me coucher, je regarde la télévision et me détends un peu… ». « Et tu ne passes pas par le tabernacle, d’abord ? ». Il y a des choses qui nous font voir où est notre cœur. Ne jamais, jamais – c’est cela être vigilant ! – jamais finir la journée sans aller un peu là-bas, devant le Seigneur; regarder et demander : « Que s’est-il passé dans mon cœur ? ». Dans les moments tristes et dans les moments heureux : comment était cette tristesse ? Comment était cette joie ? C’est cela être vigilant. Prendre garde aussi aux dépressions et aux enthousiasmes. « Aujourd’hui je suis déprimé, je ne sais pas ce qui m’arrive ». Veiller : pourquoi suis-je déprimé ? Ne devrais-tu pas aller trouver quelqu’un qui t’aide ?… C’est cela être vigilant. « Oh, je suis joyeux ! ». Mais pourquoi le suis-je, aujourd’hui ? Que s’est-il passé dans mon cœur ? Il ne s’agit pas d’une introspection stérile, non, non ! C’est connaître l’état de mon cœur, ma vie, comment je marche sur le chemin du Seigneur. Car, si l’on n’y prend pas garde, le cœur va partout; et l’imagination suit derrière: « elle galope… »; Et on risque de mal finir. J’aime cette question sur la vigilance. Ce ne sont pas des choses vieillottes, dépassées. Ce sont des choses humaines, et comme toutes les choses humaines, elles sont éternelles. Nous les aurons toujours avec nous. Veiller sur le cœur ! Dans leur sagesse les premiers moines chrétiens enseignaient cela, à veiller sur son cœur.
Puis-je faire une parenthèse ? Pourquoi j’ai parlé de la Vierge ? Je vous conseillerai ce que je vous ai dit auparavant, de chercher refuge… Une belle relation avec la Vierge ; cette relation avec la Vierge nous aide à avoir de bons rapports avec l’Église : toutes les deux sont des Mères… Vous connaissez le beau passage de Saint Isaac, l’abbé de l’Étoile: ce que l’on peut dire de Marie on peut le dire de l’Église et aussi de notre âme. Toutes les trois sont féminines, toutes les trois sont Mères, toutes les trois donnent la vie. Les relations avec la Vierge sont des relations de fils… Veillez à cela : si on n’a pas de bonnes relations avec la Vierge, il y a quelque chose d’orphelin dans mon cœur. Je me souviens, un jour, il y a trente ans, j’étais dans le nord de l’Europe : je devais aller à l’Université de Cordoue, où j’étais à l’époque vice-chancelier. Et une famille de catholiques pratiquants m’a
invité; c’était un pays un peu trop sécularisé. Et au dîner, ils avaient beaucoup d’enfants, étaient tous deux des professeurs universitaires, et tous deux catéchistes. A un certain moment, en parlant de Jésus Christ – enthousiastes de Jésus Christ ! il y a trente ans de cela – ils ont dit : « Oui, grâce à Dieu, nous avons dépassé l’étape de la Vierge… ». C’est-à-dire? Ai-je demandé. « Oui, parce que nous avons découvert Jésus Christ, et nous n’en avons plus besoin ». J’étais un peu peiné, je n’ai pas bien compris. Et nous avons parlé un peu de cela. Ce n’est pas être mûr ! Non ça n’est pas être mûr. Oublier la mère est une mauvais chose… Et pour le dire autrement : si tu ne veux pas la Vierge comme Mère, sois bien sûr que tu l’auras comme belle-mère ! Et cela n’est pas bon ! Merci.
Un séminariste – Vive Jésus, vive Marie ! Merci, Saint-Père, pour vos paroles sur la Vierge. Je m’appelle don Ignacio et je viens de Manille, Philippines. Je suis en train de suivre un doctorat en mariologie à la Faculté de Théologie Marianum, et je réside au Collège pontifical philippin. Saint Père ma question est : l’Église a besoin de pasteurs capables de guider, gouverner, communiquer comme nous le demande le monde d’aujourd’hui. Comment apprend-t-on et exerce-t-on la fonction de leadership dans la vie sacerdotale, en assumant le modèle du Christ qui s’est abaissé en assumant la croix, la mort sur la croix, en assumant la condition de serviteur jusqu’à mourir sur la croix? Merci.
Mais ton évêque est un grand communicateur !
C’est le cardinal Tagle…
Le leadership… c’est le cœur de la question… Il y a une seule voie – ensuite je parlerai des pasteurs – mais pour leadership il y a un seul chemin: le service. Il n’y en a pas d’autres. Si tu as beaucoup de qualités – communiquer, etc – mais que tu n’es pas un serviteur, ton leadership tombera, ne sert pas, n’est pas capeler d’appeler. Seulement le service : être au service… Je me souviens d’un père spirituel très bon, les gens allaient tellement le voir qu’il ne pouvait prier tout le bréviaire. Et la nuit il allait voir le Seigneur et disait: « Seigneur, regarde, je n’ai pas fait ta volonté, et la mienne non plus ! J’ai fait celle des autres ! ». Ainsi, tous les deux – le Seigneur et lui – se consolaient. Servir c’est faire tant de fois la volonté des autres. Un prêtre qui travaillait dans un quartier très modeste – très modeste ! – dans une villa miseria, une favela, a dit: « J’aurais besoin de fermer les fenêtres, les portes, toutes, car à un certain moment, ils sont si nombreux à venir me demander telle ou telle chose spirituelle, matérielle, qu’à la fin j’aurais envie de tout fermer. Mais cela n’est pas ce que dit le Seigneur », disait-il. C’est vrai : on ne peut pas guider un peuple sans le servir.
Le service du pasteur. Le pasteur doit toujours être à la disposition de son peuple. Le pasteur doit aider le peuple à grandir, à marcher. Hier, dans la lecture, un verbe à suscité ma curiosité, le verbe « pousser » : le pasteur pousse les brebis pour qu’elles sortent chercher de l’herbe. Cela m’a intrigué: il les fait sortir avec force ! Le ton du texte original est celui-ci: il fait sortir, mais avec force. C’est comme chasser de là: « allez, allez ! ». Le pasteur qui fait grandir son peuple et qui est toujours avec lui. Parfois, le pasteur est obligé de marcher devant, pour indiquer la route ; d’autres fois, au milieu, pour savoir ce qui se passe; tant de fois, derrière, pour aider les derniers mais pour suivre aussi le flair des brebis qui savent où trouver la bonne herbe. Le pasteur… Saint Augustin, en citant Ézéchiel, dit qu’il doit être au service des brebis et souligne deux dangers : le pasteur qui exploite les brebis pour manger, pour faire de l’argent, par intérêt économique, matériel, et le pasteur qui exploite les brebis pour bien s’habiller. La viande et la laine. Saint Augustin le dit. Lisez ce beau sermon De pastoribus. Il faut le lire et le relire. Oui, ce sont les deux péchés des pasteurs: l’argent pour devenir riches. Ils font les choses pour de l’argent – des pasteurs affairistes – et la vanité. Les vaniteux sont ces pasteurs qui se croient à un niveau supérieur, plus haut que leur peuple, détachés… Pensez-y, des pasteurs-princes. Le pasteur affairiste et le pasteur-prince. Ce sont les deux tentations dont parle saint Augustin dans son sermon, en citant ce passage d’Ézéchiel.
C’est vrai, un pasteur qui se cherche, en passant par le chemin de l’argent ou le chemin de la vanité, n’est pas un serviteur, n’a pas de vrai leadership. L’humilité doit être l’arme du pasteur: humble, toujours au service. Il doit rechercher le service. Et cela n’est pas facile d’être humble, non, cela n’est pas facile ! Les moines du désert comparent la vanité à l’oignon: quand tu prends un oignon, tu commences à l’éplucher, tu te sens vaniteux et commences à éplucher la vanité. Et tu y vas, tu y vas, une autre pelure, et une autre, et une autre, une autre, une autre… à la fin tu arrives à… rien. « Ah grâce à Dieu, j’ai épluché mon oignon, j’ai épluché la vanité ». Fais comme ça et tu sentiras l’oignon ! C’est ce que disent les pères du désert. La vanité c’est comme ça. Un jour j’ai entendu un jésuite – un brave homme –, mais il était si vaniteux, si vaniteux… Et nous lui disions tous : « Tu es si vaniteux ! », mais il était si bon que nous lui pardonnions tous. Et il est allé faire des exercices spirituels, et quand il es rentré il nous a dit, à nous dans la communauté: « Quels beaux exercices ! J’ai fait huit jours de Ciel, et je me suis trouvé si vaniteux ! Mais grâce à Dieu, j’ai vaincu toutes les passions ! ». La vanité c’est cela ! Il est si difficile d’enlever au prêtre sa vanité.
Mais le peuple de Dieu te pardonne tant de choses: il te pardonne si tu as glissé, au plan effectif, il te le pardonne. Il te pardonne si tu as glissé avec un peu plus de vin, il te le pardonne. Mais il ne te pardonne pas si tu es un pasteur attaché à l’argent, si tu es un pasteur vaniteux, que tu ne traites pas bien les personnes. Car le vaniteux ne traite pas bien les gens. Argent, vanité et orgueil. Les trois marches qui nous conduisent à tous les péchés. Le peuple de Dieu comprend nos faiblesses, et il les pardonne ; mais ces deux-là, il ne les pardonne pas ! L’attachement à l’argent chez le pasteur, il ne pardonne pas. C’est curieux n’est-ce pas ? Ces deux défauts, nous devons lutter pour ne pas les avoir.
Puis le leadership doit aller avec le service, mais doit être un amour personnel envers les gens. Un jour j’ai entendu un curé qui disait: « Cet homme connaissait le nom de tous les habitants de son quartier, même le nom des chiens! ». C’est beau ! Il était proche, il connaissait chaque personne, connaissait l’histoire de toutes les familles, et il savait tout. Et il aidait. Il était si proche… Proximité, service, humilité, pauvreté et sacrifice. Je me souviens des vieux curés de Buenos Aires, quand il n’y avait pas de téléphone portable, la messagerie; ils dormaient avec le téléphone près d’eux. Personne ne mourait sans les sacrements. On les appelait à n’importe quelle heure: ils se levaient et y allaient. Service, service. Et lorsque j’étais évêque, je souffrais quand j’appelais une paroisse et tombais sur la messagerie… là il n’y a pas de leadership ! Comment peux-tu conduire un peuple si tu ne l’entends pas, si tu n’es pas à son service ? Voilà ce sont les choses qui me viennent à l’esprit… pas dans l’ordre, mais pour répondre à ta question…
A suivre, lundi prochain, 19 mai…
Traduction de Zenit, Océane Le Gall