« Un jour, je suis allé chez mon père spirituel et lui ai dit que j’étais en colère contre quelqu’un… Et lui m’a posé une seule question : « Dis-moi, as-tu prié pour lui ? ». Et j’ai dit : « Non ». « Nous avons fini », m’a-t-il dit » : c’est l’anecdote racontée par le pape François pour encourager à « prier pour ceux avec lesquels on a des problèmes ou pour ceux que l’on n’aime pas ».
Le pape François a reçu les recteurs et les étudiants des Collèges pontificaux de Rome, lundi dernier, 12 mai 2014, dans la salle Paul VI du Vatican. La rencontre a eu lieu sous forme d’un dialogue qui a duré plus d’une heure, après une allocution du cardinal Beniamino Stella, préfet de la Congrégation pour le clergé.
Le pape a notamment mis en garde contre « le danger du ‘trop académique’ qui transforme les futurs prêtres « non pas en pères mais en ‘docteurs’ ». Il les a invités à « soigner leur vie spirituelle et leur vie apostolique » car « le purisme académique ne fait pas du bien ».
« Le Seigneur vous a appelés à être des prêtres : c’est la règle fondamentale », a-t-il insisté en donnant également quelques conseils pour grandir dans la vie communautaire : « Ne jamais, jamais dire du mal des autres. Si j’ai quelque chose contre l’autre, ou que je ne suis pas d’accord : le dire en face… Les commérages sont la peste d’une communauté. »
Le pape a invité par ailleurs à « comprendre l’Église avec les yeux du chrétien ; comprendre l’Église avec l’esprit du chrétien ; comprendre l’Église avec le cœur du chrétien; comprendre l’Église en agissant en chrétien. Dans le cas contraire, on ne comprend pas l’Église, ou on la comprend mal ».
A.K.
Voici notre traduction de la première partie des échanges entre les participants et le pape François :
Dialogue du pape François avec les séminaristes et prêtres
Bonjour, je vous remercie infiniment de votre présence. Je remercie le cardinal Stella pour ses paroles, et je m’excuse du retard. Oui, parce qu’il y a des évêques mexicains en visite ad limina… et quand on est avec des mexicains, on est vraiment bien, si bien que le temps passe et on ne s’en rend pas compte !
Aux 146 parmi vous qui sont des pays du Moyen Orient et à certains qui êtes d’Ukraine aussi, je veux dire que je suis très proche de vous en ce moment de souffrance ; vraiment, très proche, et dans la prière. On souffre tellement, dans l’Église ; l’Église souffre tellement et l’Église souffrante est aussi une Église persécutée dans certaines régions, et je suis très proche de vous. Merci. Et maintenant je voudrais … Il y avait des questions, je les ai vues, mais si vous voulez les changer ou les faire un peu plus spontanées, il n’y a pas de problème, soyez libres !
Un séminariste – Bonjour, Saint-Père. Je m’appelle Daniel, je viens des États-Unis, je suis diacre et viens du Collège Nord-américain. Nous sommes venus à Rome pour une formation académique et pour avoir toujours foi en cet engagement. Comment ne pas négliger une formation intégrale, tant au niveau personnel qu’au niveau communautaire ? Merci.
Merci pour la question. C’est vrai : votre but principal, ici, est la formation académique, avoir un diplôme en ceci ou cela… Mais il y a le danger du « trop académique ». Oui, les évêques vous envoient ici pour passer des diplômes, mais aussi pour retourner dans votre diocèse. Mais au diocèse vous devez travailler au presbytère, comme prêtre, des prêtres diplômés. Et celui qui tombe dans ce danger du « trop académique », revient non pas en père mais en ‘docteur’. Et ça c’est dangereux. Il y a quatre piliers dans la formation sacerdotale : je l’ai dit tant de fois, vous l’avez peut-être entendu. Quatre piliers : la formation spirituelle, la formation académique, la formation communautaire, et la formation apostolique. C’est vrai qu’ici, à Rome, on souligne – et c’est pour ça que vous avez été envoyés – la formation intellectuelle ; mais les trois autres piliers doivent être cultivés, et tous les quatre interagissent entre eux, et je ne comprendrais pas qu’un prêtre vienne décrocher un diplôme ici, à Rome, et qu’il n’ait pas une vie communauté, cela ne va pas. Soit il ne soigne pas sa vie spirituelle – la messe quotidienne, la prière quotidienne, la lectio divina, la prière personnelle avec le Seigneur – soit sa vie apostolique : en fin de semaine faire quelque chose, changer un peu d’air, mais aussi d’air apostolique, faire quelque chose… C’est vrai, l’étude est une dimension apostolique ; mais il est important aussi de soigner les trois autres piliers! Le purisme académique ne fait pas du bien, ne fait pas du bien. C’est pourquoi ta question me plaît, parce qu’elle me donne l’occasion de vous dire ces choses-là. Le Seigneur vous a appelés à être des prêtres, des prêtres : c’est la règle fondamentale.
Et il y a une autre chose que je voudrais souligner : si on ne voit que la partie académique, on risque de glisser vers les idéologies, et cela rend malade, cela abîme la conception de l’Église. Pour comprendre l’Église il faut étudier mais aussi prier, en vivant dans la communauté et menant une vie apostolique. Si nous glissons vers une idéologie, et prenons ce chemin-là, nous aurons une herméneutique non chrétienne, une herméneutique de l’Église idéologique. Et cela fait mal, c’est une maladie. L’herméneutique de l’Église doit être l’herméneutique que l’Église nous offre, que l’Église nous donne. Comprendre l’Église avec les yeux du chrétien ; comprendre l’Église avec l’esprit du chrétien ; comprendre l’Église avec le cœur du chrétien; comprendre l’Église en agissant en chrétien. Dans le cas contraire, on ne comprend pas l’Église, ou on la comprend mal. C’est pourquoi il est important de souligner, oui, le travail académique car c’est pour cela que vous avez été envoyés ; mais ne pas négliger les trois autres piliers : vie spirituelle, vie communautaire et vie apostolique : Je ne sais si cela répond à ta question … Merci.
Un séminariste – Bonjour, Saint-Père. Je suis Thomas, de la Chine. Je suis un séminariste du Collège Urbain. Parfois, vivre en communauté n’est pas facile : que nous conseillez-vous, en partant aussi de votre expérience, pour faire de notre communauté un lieu de croissance humaine et spirituelle, et d’exercice de charité sacerdotale ?
Un jour, un vieil évêque d’Amérique Latine a dit : « un mauvais séminaire vaut mieux que pas de séminaire du tout ». Se préparer au sacerdoce tout seul, sans communauté, n’est pas bien. La vie du séminaire, autrement dit la vie communautaire, est très importante. Elle est très importante car il y a le partage entre les frères, qui marchent vers le sacerdoce; mais il y a aussi des problèmes, il y a des luttes : des luttes de pouvoir, des luttes d’idées, voire des luttes cachées; et arrivent les vices capitaux: l’envie, la jalousie… Mais viennent aussi les bonnes choses : les amitiés, l’échange d’idées, c’est ce qui est important dans la vie communautaire. La vie communautaire n’est pas le paradis, ni même le purgatoire – non, ce n’est pas ça … [éclat de rires], mais ce n’est pas le paradis ! Un saint jésuite disait que, pour lui, la vie communautaire était la plus grande des pénitences. Pas vrai ? Aussi je crois que nous devons avancer, dans la vie communautaire. Mais comment ? Il y a quatre ou cinq choses qui nous aiderons beaucoup. Ne jamais, jamais dire du mal des autres. Si j’ai quelque chose contre l’autre, ou que je ne suis pas d’accord : le dire en face ! Nous les clercs, nous avons la tentation de ne pas dire les choses en face, d’être trop
diplomates, ce langage clérical… Mais ça nous fait du mal, nous fait du mal !
Je me souviens, il y a 22 ans : je venais d’être nommé évêque, et j’avais un secrétaire au vicariat – Buenos Aires est divisée en quatre vicariats – dans ce vicariat j’avais comme secrétaire un jeune prêtre, ordonné récemment. Et moi, les premiers mois, j’ai fait quelque chose, et j’ai pris une décision un peu diplomatique – trop diplomatique – avec les conséquences qui viennent de ces décisions que l’on ne prend pas dans le Seigneur… Et à la fin je lui ai dit: « Mais regarde ce problème, je ne sais pas comment arranger cela… ». Et lui m’a regardé en face – un jeune ! – et il m’a dit: « Parce que vous avez mal fait : Vous n’avez pas pris une décision paternelle ! », et il m’a dit trois ou quatre choses biens sonnées !! Avec beaucoup de respect, mais il me les a dites. Et puis, quand il est parti, j’ai pensé : « celui-là je ne l’éloignerai jamais de son poste de secrétaire: c’est un vrai frère ! ». A l’opposé, il y a ceux qui te disent de belles choses devant et par derrière pas si belles… Ceci est important… Les commérages sont la peste d’une communauté; toujours parler en face, toujours. Et si tu n’as pas le courage de parler en face, parle au Supérieur ou au directeur, il t’aidera. Mais ne va pas dans les chambres de tes camarades pour dire du mal! On dit que les commérages sont une affaire de femmes, mais c’est aussi celle des hommes, ça nous concerne nous aussi! Nous jacassons pas mal ! Et cela détruit la communauté.
Écouter les différentes opinions et en discuter, mais bien, en cherchant la vérité, en cherchant l’unité, ça c’est autre chose ! Ça aide la communauté. Mon père spirituel un jour – j’étais étudiant en philosophie; lui était un philosophe, un métaphysicien, mais il était un bon père spirituel –, je suis allé chez lui et lui ai dit que j’étais en colère contre quelqu’un : « Contre celui-ci… »; J’ai dit au père spirituel tout ce que j’avais en moi. Et lui m’a posé une seule question : « Dis-moi, as-tu prié pour lui ? ». C’est tout. Et j’ai dit : « Non ». Et lui est resté en silence. « Nous avons fini », m’a-t-il dit. Prier, prier pour tous les membres de la communauté, mais prier principalement pour ceux avec lesquels j’ai des problèmes ou pour ceux que je n’aime pas, car il est naturel, instinctif, parfois de ne pas aimer quelqu’un. Prier, et le Seigneur fera le reste, mais toujours prier. La prière communautaire. Ces deux choses – sans trop m’étendre – je vous garantis que si vous faites ces deux choses, la communauté ira de l’avant, pourra bien vivre, bien parler, bien discuter, prier ensemble. Deux petites choses : ne pas dire du mal d’autrui et prier pour ceux avec lesquels j’ai des problèmes. Je pourrais en dire plus, mais je crois que cela suffit.
Un séminariste – Bonjour, Saint-Père.
Bonjour.
Je m’appelle Charbel, je suis un séminariste du Liban et j’étudie au Collège Sedes Sapientiae. Avant de poser ma question, je voudrais vous remercier d’être proche de notre peuple au Liban et dans tout le Moyen Orient. Ma question est celle-ci : l’année dernière, vous avez quitté votre terre et votre patrie. Que nous recommandez-vous pour gérer au mieux notre arrivée et notre séjour à Rome ?
Mais c’est diffèrent… votre arrivée à Rome, comparé au transfert de diocèse qu’ils m’ont fait faire : c’est un peu diffèrent, mais c’est bien… Je me souviens de la première fois où j’ai quitté ma terre pour venir étudier ici… D’abord il y a la nouveauté, c’est la nouveauté des choses, et nous devons être patients avec nous-mêmes. Les premiers temps, c’est comme un temps de fiançailles : tout est beau, ah les nouveautés, les choses… mais on ne saurait le reprocher, c’est comme ça ! C’est ce qui arrive à tout le monde, tout le monde vit cela. Et puis, pour en revenir à l’un des piliers, il y a avant tout l’intégration dans la vie de la communauté et dans la vie d’études, directement. Je suis venu pour cela, faire cela. Et puis, chercher un travail pour la fin de semaine, un travail apostolique, c’est important. Ne pas rester fermés et ne pas être dispersés.
Les premiers temps, on est dans une période de nouveautés : « je voudrais faire ceci, aller à ce musée, ou voir ce film, je voudrais faire ceci, cela… ». Mais allez-y, ne vous inquiétez pas, c’est normal. Mais ensuite, il faut agir pour de vrai. Qu’est-ce que je suis venu faire ? Étudier pour de vrai ! Et profiter de toutes les opportunités que nous donne ce séjour. Les nouveautés de l’universalité : connaître des personnes de tant de lieux différents, de tant de pays différents, de tant de cultures différentes; l’opportunité du dialogue entre vous : « Mais c’est comment dans ta patrie ? » et « Comment c’est là-bas ? Et chez moi c’est… »; cet échange fait beaucoup de bien, beaucoup de bien. Je n’en dirai pas plus. Mais n’aie pas peur de cette joie face aux nouveautés : c’est la joie des premières fiançailles, avant que ne commencent les problèmes. Et vas-y ! Ensuite agis pour de vrai !
A suivre, demain, 16 mai…
Traduction de Zenit, Océane Le Gall