Depuis la deuxième apparition, Bernadette a toujours été entourée. La foule est même devenue très dense sur un espace, à l’époque, fort étroit devant la Grotte. Aujourd’hui, mardi 23 février 1858, quelques notables se sont joints aux groupes qui descendent vers Massabielle, avant même le lever du jour.
Mais pourquoi ces gens viennent-ils à la Grotte ? Les sceptiques et les adversaires ne font pas partie de ces assemblées improvisées. Ils ne voudraient pas se ridiculiser en se mêlant à des gens qu’ils prennent pour des simples d’esprit. Pour eux, ce n’est même pas la peine d’aller voir, puisque ce genre de racontars relève forcément de la psychiatrie ou, au moins, d’une imagination excessive. Et puis, de quoi auraient-ils l’air au Café Français, là où se réunit l’intelligentsia locale, là où l’on lit les journaux qui viennent de Paris, là où l’on parle de choses sérieuses, c’est-à-dire de politique, de progrès et d’économie ? Estrade, venu à la Grotte pour accompagner sa sœur, est le premier à oser témoigner devant ces Messieurs : « Cette enfant dans son extase, c’est un tableau qu’aucun peintre ne pourrait égaler. Expliquez-le comme vous voudrez. »
Ceux qui se retrouvent à la Grotte sont venus pour voir Bernadette. Le curé a interdit à ses vicaires de s’y rendre mais il a été assez sage pour ne pas imposer aux fidèles une consigne qu’ils n’auraient pas suivie.
A la Grotte, personne ne demande à voir Aquero. Plus tard, au printemps, des visionnaires prétendront bénéficier du même privilège que Bernadette. Leur mime est ridicule, parfois grotesque, voire terrifiante. Après avoir semé le trouble quelques jours, ces imposteurs aidèrent à la reconnaissance des apparitions, tant le contraste était flagrant.
Si les gens viennent à Massabielle alors qu’il fait nuit et que nous sommes en plein hiver, c’est pour voir Bernadette, tellement elle est belle quand elle est en présence de la Dame. Ils sont attirés, comme Bernadette l’avait été dès la première apparition, avant même que la Dame ne l’invite à revenir. Tout de suite, Bernadette avait parlé d’une belle Dame.
Certes, la beauté peut nous glacer autant que nous encourager. La beauté d’Aquero, au contraire, est toute douceur, tout sourire : elle invite Bernadette à s’approcher. La lumière qui l’accompagne n’a rien d’aveuglant.
Ce qui a joué dès le premier instant entre la Vierge et Bernadette joue maintenant entre Bernadette et l’assistance. En faisant le signe de la Croix, la Dame l’a appris à Bernadette ; elle égraine son chapelet au rythme de Bernadette. En regardant Bernadette à Massabielle, on apprend à prier. Les assistants ne voient pas la Vierge mais ils contemplent le reflet de la belle Dame sur le visage de sa confidente, sa complice. Jésus, « Lumière du monde », avait dit à ses disciples : « Vous êtes la lumière du monde ». Ils le sont s’ils reflètent eux-mêmes celui qui est la Lumière. Le texte de l’Evangile continue : « … afin que, voyant vos bonnes œuvres, les hommes glorifient votre Père qui est dans les cieux. »
Le Christ lui-même ne prétend pas être la source dernière de la Lumière. Il est « l’image et le reflet de Dieu », « l’image du Dieu invisible », « le resplendissement de sa gloire ». C’est en lui et par lui que nous voyons le Père : « Qui m’a vu a vu le Père. » Le christianisme est tout entier un réseau de relations, de renvois, de médiations. Le Christ ne s’est pas accaparé l’exclusivité de la médiation. Il y associe sa Mère et tous les saints : ils ne se substituent pas au Christ ; ils y renvoient.
Ainsi, Massabielle est un beau symbole de l’Eglise. Ceux qui sont là ont pris le risque de venir. En attendant l’arrivée de Bernadette, ils se préparent dans la prière. Ils se bousculent parfois les uns les autres pour être plus près d’elle puisqu’elle se place toujours au même endroit. Mais dès qu’elle vient, le silence se fait. Tous se recueillent. Ils prient dans leur cœur. Ils la regardent. Il suffit de la regarder.
Toute sa vie, Bernadette sera assiégée par toutes sortes de gens qui cherchent à la voir. Pour être protégée de cette curiosité indiscrète, elle acceptera de devenir pensionnaire, à Lourdes, chez les sœurs de Nevers, avant d’entrer elle-même dans la congrégation. Tous ceux qui insistent pour la voir ne seront pas toujours animés d’intentions pures. Mais même ceux-là se laissaient le plus souvent convertir par son humilité, la simplicité de son témoignage, la lumière de son regard.
En cela, Massabielle et Bernadette sont un modèle pour chaque chrétien, pour chaque communauté. Que tous puissent dire des chrétiens, comme le docteur Dozous à Bernadette : « Je ne sais pas ce que tu vois, mais maintenant je crois que tu vois quelque chose. »
O Marie,
Tu as éclairé le visage de Bernadette
Par la lumière de la grâce qui est en toi.
Beaucoup se sont laissé toucher par cette lumière et cette beauté.
Qu’il en soit ainsi de nous, de l’Eglise dont tu es la Mère :
Puissions-nous refléter quelque chose de cette lumière
Pour que d’autres se mettent en quête de celui qui en est la source.
Au Nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit.
Amen !