Ce texte est parvenu à certains lecteurs avec des fins de paragraphes tronquées dans le service du 17 février. Le voici à nouveau.
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C’est le jour de la troisième apparition et la première fois que « Aquero » rompt le silence. Alors que Bernadette lui tend un papier et une plume pour écrire son nom, elle répond que ce n’est pas nécessaire. Suit une demande : « Voulez-vous me faire la grâce de venir ici pendant quinze jours ? » ; et une promesse à deux faces : celle du bonheur, non pas dans ce monde mais dans l’autre. Les apparitions suivantes permettront de méditer ces paroles.
Aujourd’hui arrêtons-nous au fait que l’Eglise, au moins en France, a choisi la date du 18 février pour fêter sainte Bernadette. Ailleurs, comme c’est la coutume, la date est celle de son décès, le mercredi de Pâques 16 avril 1858. Mais cette date tombe très souvent pendant la Semaine Sainte (comme cette année) ou la première semaine de Pâques : dans ces deux cas, Bernadette disparaît. Ce qui convient bien à son humilité (que fait-on d’un balai ? On le range « dans un coin, derrière la porte »). Mais il en va de Bernadette comme de celle qui l’a choisie pour confidente : mission accomplie, le temps est venu pour que « toutes les générations la proclament bienheureuse ».
Bernadette est morte en 1879. Elle a été béatifiée en 1925 et canonisée en 1933 par le pape XI. Ce pape, grand érudit, aimait beaucoup Bernadette qui, au moment des apparitions, ne savait encore ni lire, ni écrire. Il choisit pour la célébration, qui fut splendide, la date du 8 décembre, en la solennité de l’Immaculée Conception. Pie IX avait proclamé ce dogme le 8 décembre 1854.
Trois ans et demi plus tard, la Vierge allait plus loin encore que le dogme : elle n’a pas seulement été conçue sans le péché commun à toute l’humanité ; elle dit : « Je suis l’Immaculée Conception. » La formule était tellement invraisemblable que le premier réflexe du curé fut de dire qu’une dame ne pouvait pas porter ce nom-là. Mais, paradoxalement, c’est ce qui le convainquit : Bernadette ne pouvait pas avoir inventé ces mots.
Cependant, si Bernadette est reconnue comme sainte, ce n’est pas à cause des apparitions. Celles-ci ont été reconnues authentiques par Mgr Laurence en 1862 : depuis, l’affaire est entendue. Les apparitions de La Salette, avant Lourdes, avaient été reconnues par l’évêque de Grenoble ; les deux voyants n’ont pas été canonisés. A la rue du Bac, la « médaille miraculeuse » a été éditée à des millions d’exemplaires et Catherine Labouré a été canonisée; les apparitions n’ont pas été formellement reconnues.
Bernadette est sainte, non pas à cause des apparitions, mais à cause de sa qualité exceptionnelle (« héroïque », dit l’Eglise) de vie chrétienne. Un des signes de sa sainteté, c’est justement qu’elle n’ait jamais failli à l’humilité. « Bernadette » était un diminutif, utilisé pour la distinguer de sa tante Bernarde. Il n’y a pas beaucoup de saints qui soient inscrits au calendrier de l’Eglise universelle sous le nom d’un diminutif. Alors que l’affluence à la grotte allait croissante au long de la quinzaine, que des guérisons extraordinaires se produisaient, liées à la source que Bernadette avait découverte, que l’approbation de l’Eglise vint assez vite, que la réputation de Lourdes se répandit, non seulement en France et en Europe mais dans le monde entier grâce aux missionnaires, Bernadette ne semble jamais avoir été effleurée par la moindre tentation de vanité. Entre les apparitions et sa mort, Bernadette a vécu vingt-et-un ans, le plus souvent dans une communauté religieuse : à l’hospice de Lourdes puis à Nevers au milieu d’innombrables novices et sous le regard vigilant de religieuses qui n’étaient pas prêtes à s’en laisser conter.
Toute sa vie, Bernadette a recherché le Christ, « mon Jésus » comme on disait à l’époque. Pour se préparer à le recevoir dans la communion, dans les premiers jours de janvier 1858, elle a quitté Bartrès où elle était bien nourrie pour rejoindre le cachot, un lieu de misère et de famine. Toute sa vie sera eucharistique. Elle sera heureuse chaque fois qu’elle pourra communier : la communion quotidienne n’était pas encore la coutume, même dans les congrégations religieuses. Ses sœurs aimeront la regarder discrètement quand elle allait communier, qu’elle prolongeait son action de grâces, qu’elle adorait le Saint-Sacrement au tabernacle, comme quand elle faisait le signe de la Croix.
Bernadette a aussi rencontré le Christ dans l’Eglise, en particulier dans les prêtres. Le 13 février, deux jours après la première apparition, elle s’était confiée à l’abbé Pomian. Elle sut voir le Christ dans ses supérieures et dans ses sœurs. Mais elle n’oubliait pas la parole de Jésus : « Ce que vous avez fait au plus petit de mes frères… J’étais malade et vous m’avez visité. » Les sœurs malades aimaient être soignées par elle, tant était grande sa charité qui n’excluait ni la compétence ni la fermeté.
Enfin, comme tous les saints, Bernadette a rencontré le Christ dans sa Passion. Elle n’avait aucune complaisance pour la souffrance et, dès qu’elle pouvait, elle reprenait son service. Sa plus grande souffrance était de ne pas pouvoir servir autant qu’elle l’aurait désiré.
S’il est permis de repérer les différentes composantes de la sainteté chez Bernadette, on ne trouve rien qui ne soit commun à tous les chrétiens. Elle ne nous fait pas peur. C’était une sainteté ordinaire. Mais à un degré extraordinaire.
Seigneur, tu as préparé Bernadette
Pour qu’elle soit témoin des apparitions
Et porteuse du message.
Dans la transparence de son cœur,
Par son humilité et son courage,
Elle a déjoué tous les pièges du Malin,
Toutes les ruses des malins.
Ce que tu as réalisé en sainte Bernadette, Seigneur, est admirable.
Nous te rendons grâce.