« Le pape François veut nous guider au long de ce parcours de carême, pour qu’il soit pleinement vécu par toute l’Église, dans la conscience de l’engagement que chaque baptisé et que chaque pasteur doit avoir envers les pauvres. », explique le cardinal Sarah.
Le cardinal Robert Sarah, président du Conseil pontifical Cor Unum – dit « de la charité du pape » – a en effet présenté le Message de carême du pape François, ce mardi 4 février, au Vatican, entouré du secrétaire de ce dicastère, Mgr Giampietro Dal Toso, et du sous- secrétaire, Mgr Segundo Tejado Munoz, et d’un couple missionnaire pendant trois ans en Haïti, et leurs deux enfants de 6 et 4 ans.
Le thème du Message du pape est :« Il s’est fait pauvre pour que vous deveniez riches par sa pauvreté » (cf. 2 Co 8,9).
Une occasion pour le pape, explique le cardinal guinéen, pour « ramener à une vision intégrale de la pauvreté. », qui n’est pas sociologique et qui n’est pas non plus la « misère ».
Et de préciser: « De même que le Christ est descendu de son trône royal pour accomplir la volonté du Père et venir ainsi à la rencontre de ses frères qui ont besoin du salut, ainsi le chrétien entre dans une dynamique de pauvreté et de don, parce qu’il est riche du fait qu’il est fils de Dieu. »
Dans son message, le pape dénonce trois formes de misère: « La misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La première « touche ceux qui vivent dans des conditions indignes de la personne humaine… Face à cette misère, l’Église offre son service, sa « diakonia », pour aller au devant des besoins et guérir ces plaies qui défigurent le visage de l’humanité ». La misère morale « consiste à devenir esclaves du vice et du péché ». Cette « forme de misère, qui est aussi la cause de la ruine économique, est toujours liée à la misère spirituelle qui nous touche lorsque nous nous éloignons de Dieu et que nous refusons son amour ». Quelques paragraphes auparavant, le pape indique même que « il n’y a qu’une seule véritable misère : ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ ». »
Il conclut avec les paroles du pape: « L’Évangile est le véritable antidote à la misère spirituelle » et avec une exhortation à l’engagement en faveur de l’homme, de tout homme: « L’œuvre de développement ne peut donc pas consister à provoquer de nouveaux besoins mais à prendre au sérieux ce qu’est la personne. »
A.B.
Intervention du cardinal Sarah
Chers amis,
Je vous remercie de votre présence pour la présentation habituelle du Message de carême du Saint-Père, et je salue tout particulièrement le couple d’époux Anna Zumbo et Davide Dotta qui, avec leurs enfants Giona et Tobia, ont récemment vécu une expérience importante de charité sur la terre de Haïti, frappée en 2010 par un tremblement de terre qui a entraîné la mort de plus de 220.000 personnes et qui a touché environ trois millions de personnes. J’y retournerai à nouveau au mois de mars pour inaugurer une école que nous avons financée au nom du Saint-Père en signe de sa présence et de ses encouragements envers ces populations.
Je suis particulièrement heureux de pouvoir présenter aujourd’hui à la presse et au monde entier le Message pour le carême consacré cette année au thème de la pauvreté, sous le titre significatif : « Il s’est fait pauvre pour que vous soyez enrichis de sa pauvreté » (cf. 2 Co 8,9). C’est un message extraordinaire, à travers lequel le pape François veut nous guider au long de ce parcours de carême, pour qu’il soit pleinement vécu par toute l’Église, dans la conscience de l’engagement que chaque baptisé et que chaque pasteur doit avoir envers les pauvres.
Le texte du message de carême de cette année est concentré sur la pauvreté et sur la pauvreté du Christ en particulier. Comme vous le savez, ce concept de la pauvreté est très cher au pape François qui, depuis le début de son pontificat, a voulu mettre un accent particulier sur cette dimension de la vie du chrétien. En rappelant encore cette attitude de pauvreté chrétienne, il nous aide à suivre un parcours en vue d’une compréhension plus profonde de la « pauvreté ».
En effet, la vision chrétienne de la pauvreté n’est pas la même que celle qui gouverne le sens commun. Trop souvent, on considère la pauvreté simplement dans sa dimension sociologique et on la comprend comme un manque de biens. En outre, le concept d’ « Église pauvre pour les pauvres » est souvent évoqué comme une forme de contestation de l’Église, en opposant malheureusement une Église des pauvres, une Église bonne, une Église qui fait le bien, une Église dont la mission principale serait celle de la promotion sociale, à une Église de la prédication et de la vérité, à une Église consacrée à la prière et à la défense de la doctrine et de la morale.
Je suis très reconnaissant envers le pape François de nous ramener à une vision intégrale de la pauvreté. En effet, pour un chrétien, pour comprendre la pauvreté, la première référence est le Christ qui s’est fait pauvre pour nous enrichir de sa pauvreté. C’est le titre de ce message aujourd’hui, qui est tiré de la seconde Lettre aux Corinthiens. Le choix de la pauvreté de la part du Christ nous suggère qu’il existe une dimension positive de la pauvreté, qui résonne d’ailleurs aussi dans l’Évangile qui proclame bienheureux les pauvres. Il est évident que, dans cette dimension de la pauvreté, il y a un aspect de dépouillement et de renoncement. Mais ceci est possible parce que – je cite le message – la vraie « richesse de Jésus est son être de Fils ».
Ne pensons pas mettre en ordre nos consciences bourgeoises, veut nous dire le pape, en dénonçant le manque de biens des autres ou en dénonçant la pauvreté en tant que système. La pauvreté touche la profondeur du cœur humain : de même que le Christ est descendu de son trône royal pour accomplir la volonté du Père et venir ainsi à la rencontre de ses frères qui ont besoin du salut, ainsi le chrétien entre dans une dynamique de pauvreté et de don, parce qu’il est riche du fait qu’il est fils de Dieu.
Quand l’Église parle de pauvreté, elle ne veut pas et, à l’exemple du Christ, elle ne peut donc pas entendre la pauvreté comme si elle contestait l’existence de la pauvreté en tant que telle, parce qu’elle sait que la pauvreté fait l’objet d’un choix précis, fait par amour pour le Christ et pour ses frères. C’est pour cela que le message de carême que nous présentons aujourd’hui s’appuie sur une distinction importante entre pauvreté et misère. Ce n’est pas la pauvreté, qui est une attitude évangélique, mais c’est la misère que nous voulons combattre. Il n’est pas utile de rappeler que cela a été le témoignage de l’Église dès le début de son existence, lorsque, dans la première communauté chrétienne, l’on subvenait aux besoins les uns des autres. L’histoire de l’Église est pleine d’exemples de personnes qui, par amour du Christ pauvre, ont choisi la pauvreté pour combattre la misère. Notre dicastère, Cor Unum, qui suit les organismes catholiques qui se consacrent au service de la charité, sait combien, dans le monde entier, l’Église est appréciée pour ce témoignage de personnes concrètes qui, non par idéologie ou au nom d’un monde fait à notre image et à notre ressemblance, mais par amour pour le Christ, paient de leur personne pour affronter la misère humaine.
Dans son discours, le Saint-Père énumère trois types de misère : la misère matérielle, la misère morale et la misère spirituelle. La première « touche ceux qui vivent dans des conditions indignes de la personne humaine… Face à cette misère, l’Église offre son service, sa « diakonia », pour aller au devant des besoin
s et guérir ces plaies qui défigurent le visage de l’humanité ». La misère morale « consiste à devenir esclaves du vice et du péché ». Cette « forme de misère, qui est aussi la cause de la ruine économique, est toujours liée à la misère spirituelle qui nous touche lorsque nous nous éloignons de Dieu et que nous refusons son amour ». Quelques paragraphes auparavant, le pape indique même que « il n’y a qu’une seule véritable misère : ne pas vivre en enfants de Dieu et en frères du Christ ».
« L’Évangile, écrit le pape, « est le véritable antidote à la misère spirituelle ». Je crois que cette vision ample de la pauvreté, de la misère et, en conséquence, de l’aide que l’Église offre à l’homme, nous aide aussi à avoir une vision plus complète de qui est l’homme et de ses besoins, sans tomber dans un réductionnisme anthropologique qui prétend résoudre les problèmes de la personne simplement parce qu’il a résolu les problèmes de son bien-être physique et matérielle.
D’autre part, cette vision profonde, que le pape François nous a communiquée dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium, n’est pas nouvelle pour lui. Je cite le numéro 200 : « Étant donné que cette Exhortation s’adresse aux membres de l’Église catholique, je veux dire avec douleur que la pire discrimination dont souffrent les pauvres est le manque d’attention spirituelle. L’immense majorité des pauvres a une ouverture particulière à la foi ; ils ont besoin de Dieu et nous ne pouvons pas négliger de leur offrir son amitié, sa bénédiction, sa Parole, la célébration des Sacrements et la proposition d’un chemin de croissance et de maturation dans la foi. L’option préférentielle pour les pauvres doit se traduire principalement par une attention religieuse privilégiée et prioritaire ».
Nous comprenons tous que cette phrase est centrale, précisément pour ne pas transformer l’Église en cette ONG dont le pape François parlait dans sa première messe en tant que pape, avec les pères cardinaux. Malheur à nous si notre regard sur celui qui est dans le besoin faisait abstraction de cette misère spirituelle qui se loge souvent dans le cœur de l’homme et le fait profondément souffrir, même s’il dispose de nombreux biens matériels. Malheur à nous si l’Église ne voyait pas précisément, dans ces blessures profondes du cœur qui viennent de l’éloignement de Dieu et de la méconnaissance de son amour de Père, l’origine de toute souffrance et donc la première mission que Dieu lui confie. Malheur à nous, si Église pauvre signifiait seulement une Église sans biens matériels.
Mais si nous voulons accueillir pleinement le message du pape François, nous devons le décliner dans sa signification anthropologique. L’homme, par nature, est enfant de Dieu. C’est cela sa richesse ! La grande faute de la culture moderne est d’avoir pensé à un homme heureux sans Dieu, niant ainsi ce qu’il y a de plus profond dans la personne, à savoir son lien existentiel avec un Père qui lui donne la vie. Et je vois là une grande continuité du Magistère de ce pape avec Benoît XVI, qui a indiqué, à plusieurs reprises, et peut-être peut-on dire qu’il a fait de cette dénonciation de l’absence de Dieu dans la culture moderne le cœur de son Magistère. De même que c’est un délit de priver le pauvre de la présence de Dieu, de même, c’est un délit de considérer l’homme et de le faire vivre comme si Dieu n’existait pas, de nier la nature de créature et donc, la profonde appartenance, la filiation de l’homme par rapport à Dieu. Je remercie le pape François qui a voulu nous rappeler ce souffle profond qui doit animer notre vision de la personne et donc aussi de l’aide que nous devons apporter. L’œuvre de développement ne peut donc pas consister à provoquer de nouveaux besoins mais à prendre au sérieux ce qu’est la personne.
Par ailleurs, n’est-ce pas le propre du carême que de faire en sorte que la pensée du frère qui est dans le besoin jaillisse d’un temps de plus grande ouverture et contemplation de l’action de Dieu ? Je vous remercie donc pour l’attention que vous voudrez bien réserver à ce message et à sa diffusion, pour permettre que tous, nous apprenions à regarder la pauvreté du Christ et, surtout que, dans l’Église, nous épousions cette pauvreté pour regarder l’autre avec les yeux du Christ. Je vous remercie.
Traduction de Zenit, Hélène Ginabat